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Lutte contre la fraude fiscale : étude des apports de la loi du 23 octobre 2018

Membres de l'Institut du Droit Pénal Fiscal et Financier (IDPF2), Sahand Saber et Delphine Parigi sont avocats aux barreaux de Paris et de Nice. Avocat du couple de la Contrescarpe agressé par Alexandre Benalla en 2018, de la Licra au procès d'Abdelkader Merah ou encore de l'ancien footballeur international Michel Bastos poursuivi pour fraude fiscale, il a fondé son cabinet en 2016. Il intervient principalement en droit pénal général et des affaires. Delphine Parigi a fondé son cabinet en 2011 après avoir été formée chez EY à Paris et New York. Fiscaliste, elle est membre du conseil d'administration de l'Association des Avocats Fiscalistes et dispense des cours à l'université de Nice Sophia Antipolis ainsi qu'à l'EDHEC. Ils reviennent sur la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale.


 

Quels sont, dans les grandes lignes, les apports de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale ?

Le principal mérite de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale est de tenter d’objectiver les conditions de pénalisation des rehaussements en cas de contrôle fiscal. Longtemps, les contribuables souffraient d’un manque de visibilité sur l’issue pénale de la procédure de contrôle fiscal. La possibilité d’une procédure pénale était soumise à la seule appréciation de l’administration fiscale.

Le rôle du « verrou de Bercy » cultivait cette incertitude. Mais avec cette réforme, l’administration fiscale est soumise à l’obligation de transmettre automatiquement au procureur de la République tous les rehaussements d’impôts ayant établi que le montant des droits éludés s’élève à 100.000 euros assorti au moins d’une majoration de 40%, de 80% ou de 100%. Lorsque le contribuable est soumis à une obligation de déclaration auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), ce montant est ramené à 50.000 euros.

Il n’appartient ainsi plus à l’administration fiscale de décider d’une action pénale ni à Bercy de valider une telle démarche. Le parquet est seul à décider de cette opportunité. Aussi, si le verrou de Bercy a disparu pour les sommes évoquées, le parquet demeure sous l’autorité de la chancellerie et des décisions d’ordre politique peuvent être prises. Le parquet exerce donc le filtre antérieurement dévolu à la Commission des infractions fiscales. Cette situation nouvelle offre une meilleure visibilité procédurale et permet à la défense d’anticiper les conséquences d’un contrôle. Si cette restriction significative imposée au verrou de Bercy passe pour une pénalisation plus importante du contrôle fiscal, il signe néanmoins l’abolition d’une forme d’arbitraire dont le verrou de Bercy était le symbole. L’objectif de la loi du 23 octobre 2018 était de mieux détecter, appréhender et sanctionner la fraude par un renforcement des moyens alloués à la lutte contre la fraude. Cependant l’alourdissement de l’arsenal des sanctions dont la sélection est initiée par une administration fiscale, non formée à la procédure judiciaire, laisse craindre des transmissions hâtives et une difficile maîtrise des nouveaux accès à l’information par les agents administratifs.

Que faut-il penser de la création d'une « police fiscale », vantée comme une nouvelle arme contre la fraude fiscale ? La fraude fiscale n’est plus seulement une source d’enrichissement mais aussi une source de financement des activités criminelles et terroristes. Jusqu’à cette loi, les enquêtes complexes étaient auparavant diligentées par la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) sans qu’elle ne dispose toutefois des moyens. Avec la création du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEFJ), la « police fiscale », qui est composée de 25 agents à ce jour, c’est chose faite. Bien que rattaché au ministère du Budget, ce service, dont les agents sont issus de l’administration fiscale et qui est placé sous l’autorité d’un magistrat, peut procéder, à l’instar des officiers de police judiciaire, à des garde-à-vue, des écoutes téléphoniques, des opérations de filatures ou de géolocalisation. La création de cette police fiscale par la loi modifiant l’article 28-2 du code de procédure pénale, suit donc la logique de pénalisation du contrôle fiscal en renforçant les outils de l’État pour détecter et déjouer les fraudes fiscales les plus complexes. En pratique, il ressort des premiers dossiers traités par la police fiscale un traitement systématique des dossiers fiscaux médiatiques, de type « Panama Papers ».


Le « name and shame », comme sanction administrative de la fraude fiscale, ne contrevient-il pas au droit à l'oubli et au droit au respect de la vie privée ? Le « name and shame » était déjà prévu dans la loi antérieure. Seulement, sa rédaction était différente. Le juge avait la faculté de l’ordonner. Aujourd’hui, la logique est contraire : le juge a la faculté de ne pas l’ordonner, sous réserve d’une décision spécialement motivée prenant en considération les circonstances de l'infraction et la personnalité de son auteur. Le Législateur a ainsi voulu éviter un risque de dérive lié à cette peine. Le principe a donc changé, mais la latitude du juge pour l’ordonner demeure la même. C’est en revanche à l’avocat de la défense qu’il revient la mission d’anticiper ce risque pour son client. Le droit à l’oubli et le droit au respect de la vie privée ne s’en trouvent pas affectés car pour une personne physique, la durée de la peine est déterminée par le juge qui ne peut ordonner qu’elle soit prise pour une durée supérieure à deux mois.

Que penser de l'extension de la CRPC et de la CJIP à la fraude fiscale ? La CRPC et la CJIP répondent à un souci d’efficacité face à l’accroissement du contentieux qu’engendre la loi de 2018. En permettant au parquet de prendre l’initiative des poursuites, le législateur n’a pas manqué de mesurer les conséquences sur l’activité des juridictions déjà surchargées. Ces mesures ont toutefois de réelles conséquences pour le contribuable visé. Avant la loi Sapin II qui a institué la CJIP, les entreprises n’avaient que la CRPC comme solution de justice négociée. Mais la CRPC s’est révélée inadaptée à certaines entreprises, en particulier les sociétés qui emploient de nombreux salariés car la décision qui en émane a valeur de condamnation pénale. Ceci peut avoir pour conséquence d’exclure l’entreprise des marchés publics et l’empêcher de conclure une CJIP ultérieurement (selon les lignes directrices de l’AFA-PNF). La CJIP, en revanche, a cette particularité de protéger l’entreprise dans ses intérêts en ce que sa conclusion ne constitue pas une condamnation pénale inscrite au casier judiciaire. L’avenir économique de l’entreprise en ressort mieux protégé, autant que l’avenir des emplois créés s’en retrouve peu bouleversé. C’est toutefois un acte contraignant qui donne le droit au Parquet d’interrompre son application et mettre à nouveau en mouvement l’action publique, et donc son renvoi devant le Tribunal correctionnel, si l’entreprise n’en respecte pas les termes. L’inconvénient de la CJIP est qu’elle ne statue pas sur le sort des dirigeants de l’entreprise. Elle créé au contraire un conflit d’intérêt entre l’entreprise et ses dirigeants puisque les dirigeants reconnaissent les faits dans l’intérêt de l’entreprise mais peuvent se disputer sur la question de leur responsabilité personnelle. Il paraît aussi bien difficile pour le chef d’entreprise qui a conclu une CJIP de contester sa propre responsabilité devant le tribunal correctionnel. Un tel débat est possible et pertinent si les dirigeants sont nombreux et que l’organisation de l’entreprise fait intervenir plusieurs acteurs. Mais si les décisions reposent sur une seule personne, la conclusion de la CJIP par l’entreprise qu’il dirige l’obligerait à la cohérence en reconnaissant pleinement sa responsabilité personnelle. En ce sens, la CJIP peut avoir pour conséquence de priver le chef d’entreprise d’un débat sur les éléments matériels de l’infraction et ainsi sur sa responsabilité pénale.


© Hamilton. REA

Quels sont les enseignements du jugement Balkany ? Le jugement Balkany apparaît comme une nouvelle étape de l’hypermoralisation de la fiscalité et de la vie publique. Depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008, la lutte contre la fraude fiscale et la corruption sont des sujets de préoccupation majeure respectivement pour les finances publiques et les citoyens. Il fallait donc un procès symbole. Celui de Jérôme Cahuzac ne l’a pas été car l’ancien ministre n’a pas été incarcéré. Ces procès apparaissent comme la représentation déformée de la nouvelle valeur de transparence fiscale. Il convient de rappeler que l’obligation de déclarer un compte à l’étranger est énoncée dans le code général des impôts depuis 1991. L’omission n’était alors pas considérée comme une fraude fiscale mais comme une simple erreur déclarative par le législateur. L’inflation continue des sanctions qui a atteint son paroxysme pas la loi du 23 octobre 2018 est récente et nécessitait un symbole. Patrick Balkany était le bon candidat, notamment parce qu’il avait déjà été condamné en 1997 pour prise illégale d’intérêts. Le jugement du tribunal de Paris résonne ainsi comme un avertissement et un virage dans la répression des délits économiques et financiers. La condamnation a été toutefois si disproportionnée qu’elle a donné le sentiment d’une justice engagée dans une campagne auprès de l’opinion publique. L’opinion publique voulait une condamnation spectaculaire et elle l’a eue. Les juges ont pensé que ce mandat de dépôt était la seule façon de dire que les responsables politiques sont comptables de leurs agissements au même titre que n’importe quel citoyen. Ce n’était pas raisonnable. La cour d’appel a d’ailleurs réformé la décision des juges de première instance et prononcé une condamnation à 3 ans d’emprisonnement sans mandat de dépôt, ce qui correspond à la jurisprudence traditionnelle en matière de fraude fiscale.

Comment la lutte contre la fraude fiscale a-t-elle évolué ces dernières années ? Depuis 2013, l'affaire Cahuzac et la montée en puissance progressive de l'arsenal répressif dédié, la France n'est-elle pas passée maîtresse en son royaume, que ce soit en matière de lutte anticorruption ou de lutte contre la fraude fiscale ? Ces réformes procèdent de l’expression d’une nécessité de financement du modèle social français fondé sur la solidarité et la garantie d’une classe moyenne préservée. Elles visent à mieux réguler le contrôle des échanges internationaux et la répartition de la charge de l’impôt entre les pays, dont certains encourageaient le Treaty shopping par leur fiscalité privilégiée sans conditions, au détriment des contribuables français. Dans le même temps, les services fiscaux de certains États européens ont dédié des moyens plus importants pour la lutte contre la fraude fiscale. Il y avait donc pour la France un double enjeu : améliorer la justice fiscale en modernisant les moyens de lutte contre la fraude et recouvrer plus efficacement les sommes éludées pour diminuer les impôts des Français. En ce sens, la France a plutôt rattrapé son retard au niveau des personnes physiques. Certains pays, tels que le Portugal sont beaucoup plus en avance sur le contrôle des schémas de TVA. Aujourd’hui, l’ensemble de ces mesures sont mises à l’épreuve. Nous verrons ces prochaines années leurs résultats et les éventuels ajustements à envisager. La crainte demeure toutefois que cette judiciarisation à marche forcée ne soit pas accompagnée d’un renforcement des droits de la défense. Si la lutte contre la fraude fiscale est chose normale, il faut rappeler que toute personne poursuivie est présumée innocente, de telle sorte que la procédure doit faire du prévenu le premier acteur de la procédure. A quand la suppression du verrou de Bercy ?

Le parquet voulait sa suppression, il a obtenu son affaiblissement. Le champ des dossiers que l’administration fiscale peut désormais décider de transmettre à la Commission des infractions fiscales est extrêmement réduit. Il s’agit des dossiers à « faible » enjeu financier, à savoir des dossiers de montants de droits éludés supérieurs à 100 000 € ayant donné lieu à des majoration de 40% sans réitération de mêmes faits lors de précédents contrôle et des dossiers de montants de droits éludés inférieures à 100 000 € ayant donné lieu à des majorations de 40%, 80% ou 100%. En réservant à l’administration fiscale le droit de choisir l’orientation des fraudes les plus modestes, la loi l’invite à étendre le champ de la pénalisation et à agir sur la peur des contribuables. Dans un contexte de réduction drastiques des effectifs de l’administration fiscale et de contrainte de résultats, la mise en pratique de ce nouveau verrou semble irréelle. Si elle est employée, cette stratégie apparaît non rentable pour les finances publiques, et ce malgré l’automatisation. Il conviendra de suivre les statistiques de transmission pour déterminer s’il s’agit d’un simple affaiblissement ou de la fin d’une époque.

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