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"J’en appelle au Gouvernement et aux élus afin qu’ils mettent fin à cette honte nationale"

Interview. Madame Dominique Simonnot, éducatrice à l'administration pénitentiaire puis journaliste spécialiste des affaires judiciaires (Libération et Le Canard Enchaîné), auteure de plusieurs ouvrages sur la justice et l'univers carcéral, est, depuis le 14 octobre 2020, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

En mai 2021, elle dénonce des traitements « inhumains et dégradants » et une grave violation des droits dans le centre de détention pour détenus vieillissants de Bedenac.

Le 7 février 2022, dans une tribune publiée dans "Le Monde", elle tire la sonnette d'alarme en dénonçant la surpopulation carcérale et les conditions indignes de détention dans les prisons françaises.

 

En 2020, la CEDH a condamné la France pour conditions de détention inhumaines et dégradantes et l’a invitée à prendre des mesures générales pour mettre fin à la surpopulation. Dans votre tribune en date du 7 février 2022 publiée dans "Le Monde", vous dénonciez la surpopulation carcérale et les conditions indignes de détention. Que faire pour rendre ce sujet prioritaire ?


En ne cessant pas de dénoncer ce scandale, sans se lasser. Comment ose-t-on, aujourd’hui en France, enfermer tant de monde dans de pareilles conditions !


Je rappelle que notre pays compte plus de 71000 détenus, qui, dans les maisons d’arrêt sont entassés à trois, 22 heures sur 24 dans un espace vital très réduit, souvent au milieu de vermines qui grouillent et leur grimpent dessus.


Comment avons-nous pu collectivement nous habituer à une situation qui, finalement, tient du châtiment corporel ?


Un de mes collègues du CGLPL m’a fait remarquer qu’il ne viendrait à l’idée de personne de faire monter 8 personnes dans un ascenseur prévu pour 4, mais qu’en prison, cela ne semblait gêner ni le Gouvernement, ni les magistrats qui continuent à y expédier de plus en plus de monde… Or, l’enfermement, surtout dans de telles conditions, n’est pas, et de loin, la seule sanction qui vaille.


Des études montrent que les peines dites alternatives – travail d’intérêt général, placement extérieurs, sursis probatoire, etc. - ou encore les sorties anticipées et accompagnées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation donnent de bien meilleurs résultats en termes de retour à la société que la prison et les sorties dites « sèches ».


En Allemagne, par exemple, une prison se déclare surpeuplée quand elle atteint le taux de 90% d’occupation et les magistrats s’y tournent résolument vers les alternatives.


Ce pays voisin compte beaucoup moins de prisonniers que la France, où l’on paye très cher - 110 euros la journée de prison par détenu – une véritable fabrique de la récidive. Je ne vois pas que l’on sorte meilleur après quelques mois dans les conditions décrites plus haut dans des établissements sur-occupés à 150, 200, voire 230.


L’urgence est à la décélération et à une loi de régulation carcérale. Un système obligeant, dès qu’un détenu est incarcéré en surnombre, à en libérer un autre, le plus proche de sa sortie et sous le contrôle des juges d’application des peines.


En ce moment, nous courons à la catastrophe et j’en appelle au Gouvernement et aux élus afin qu’ils mettent fin à cette honte nationale.

En septembre 2021, l’OJP a rendu un rapport sur les prisons ouvertes afin de promouvoir leur développement. Que pensez-vous des prisons ouvertes ? Peuvent-elles constituer à l’avenir une solution alternative à la prison classique ?


Ce que vous appelez « prison ouverte » existe en France dans deux établissements pénitentiaires. Pas plus.


Cependant d’autres lieux, telles les fermes Emmaüs ou les « placements extérieurs » accueillent des détenus (en début ou en fin de peine et pour moins d’un an à purger chez Emmaüs) qui continuent d’effectuer leur condamnation et travaillent dans la journée. Les détenus y sont « acteurs » de leur détention, savent qu’il existe un contrat, basé sur la confiance et que le retour en prison est possible.


Malgré de bons résultats, malgré l’accompagnement des détenus, le retour à la société par le biais d’une formation, d’un travail, d’une vie en collectivité, malgré un coût bien moindre qu’une cellule de prison (65 euros par jour), ces placements extérieurs plafonnent à environ 900 par an. De timides efforts voient pourtant le jour, depuis quelque temps, avec le développement de SAS (structures d’accompagnement vers la sortie) au régime plus souple et qui dépendent de l’administration pénitentiaire.


N’empêche, la France en la matière se montre beaucoup plus frileuse que l’Allemagne ou les pays nordiques qui privilégient ce mode d’exécution des sanctions pénales, au motif, bienvenu, que la réinsertion prime sur l’incarcération. Cette timidité française qui s’apparente à de la démagogie explique en partie le niveau aberrant de la surpopulation carcérale.

En 2021, 122 personnes se sont donné la mort en prison, contre 111 en 2020 et 114 en 2019 (source : bilan du ministère de la Justice). Le 2 mars 2022, Yvan Colonna était agressé par un autre détenu dans la cour de promenade de la prison d’Arles. Quelles sont les pistes d’amélioration de la sécurité des détenus ?


Exceptée la mort, je ne vois pas le rapport entre les suicides de détenus et le meurtre d’Yvan Colonna. En ce qui concerne les suicides, nous recevons ou écoutons de nombreux témoignages de détenus désespérés.


Beaucoup évoquent un sentiment d’abandon total. Pas d’accès aux soins, pas de travail, pas de formation, pas de réponse à leurs courriers destinés aux autorités… Autant de carences, encore une fois dues à la surpopulation qui vicie absolument tout. Il faut savoir que les prisons n’adaptent pas leur fonctionnement – nombre d’agents pénitentiaires, de médecins, de soignants, heures d’enseignement, de travail, locaux d’activités, de détente – au nombre de détenus. Ainsi une maison d’arrêt de 100 places mais comptant 200 détenus, ne verra pas ses effectifs augmenter en proportion. A l’ouverture de la prison de Toulouse- Seysses, en 2003 , il y avait un surveillant pour 53 détenus. Aujourd’hui, c’est un surveillant pour 150 détenus.


Dans ces conditions, il faut imaginer les tensions entre les captifs entassés à 3 dans 1,4m2 d’espace vital chacun et entre les surveillants et les prisonniers.


Je reviens de la prison de Gradignan, sur-occupée à 235%, où les suicides s’enchaînent. La vision des cellules vétustes est effrayante, les détenus n’y ont que 0,80 m2 chacun quand ils sont trois et ne peuvent se mouvoir, sans que l’un se replie sur son lit. Les matelas au sol y sont souvent posés en équilibre sur le frigo et la table, afin d’éviter que les cafards enrobés de poussières ne leur entrent dans le nez, à chaque respiration.


Comment ne pas se sentir abandonné ? C’est à la fois scandaleux et invivable.


La première des sécurités est, donc, selon le CGLPL, de réduire drastiquement le nombre des détenus.

Crédit : T. Chantegret / CGLPL


L’indemnité inflation de 100 euros, annoncée en octobre 2021 et promise par le gouvernement, ne concerne pas l’immense majorité des personnes incarcérées. Les détenus travaillant en prison en sont notamment exclus, d’où le régime dérogatoire du travail en prison. Considérez-vous que ce régime dérogatoire doive perdurer ?


C’est un sujet très compliqué, car le peu d’entreprises qui font travailler les prisonniers, menacent régulièrement de se retirer, lorsqu’on leur impose plus de contraintes. C’est pourquoi le CGLPL a salué la petite avancée que constitue le contrat d’emploi pénitentiaire qui vient d’être institué, en lieu et place de l’acte unilatéral d’engagement qui reliait jusque-là la personne détenue à l’administration pénitentiaire.


Ce contrat précise les règles relatives à la durée du travail (possibilité d’un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée, à temps plein ou temps partiel) et prise en compte des heures supplémentaires (repos compensateur équivalent ou majoration de rémunération). Il prévoit aussi des modalités de formation, de suspension et de cessation de la relation de travail. A ce titre, on constate que le détenu demeure une variable d'ajustement en cas de fluctuation de l'activité : quand il y a du travail, il est payé, quand il n'y en a pas, il ne l'est pas.


Il prévoit également – mais pour plus tard - une habilitation par ordonnance des dispositions législatives permettant « d’ouvrir des droits sociaux aux travailleurs détenus dès lors qu’ils sont utiles à leur réinsertion » : assurance vieillesse et chômage notamment. Sur le chômage, ne seront ouverts que des droits à la sortie (sur la base du travail réalisé avant la détention si on est pas incarcéré trop longtemps, et du travail réalisé en détention), mais pas d'allocation chômage possible quand on est encore détenu.


C’est un progrès, mais encore insuffisant. Le CGLPL visite encore des ateliers dignes du siècle dernier.


A Chaumont, en 2019, le CGLPL relevait : "Faute d'espace permettant d'organiser le travail en concession dans des ateliers exclusivement dédiés à cette activité et spécialement aménagés à cet effet, tout le travail productif s'effectue à la maison d’arrêt de Chaumont exclusivement en cellule. Par l'intermédiaire d'un concessionnaire, des entreprises locales ou non confient à la prison de Chaumont des travaux à effectuer : emballages de produits de beauté de luxe, armature métallique de valises à roulettes pour une célèbre marque, mais surtout montage des trois pièces métalliques permettant de fermer les bocaux de conserve en verre fabriqués en grande quantité – cinq millions par an – par une entreprise sise près de Chaumont. Pour ce faire, chaque matin, en reprenant la production de la veille, le concessionnaire amène devant les cellules des travailleurs – vingt sont en cellule double et deux en cellule individuelle – les pièces à assembler, l'importance de cette livraison variant suivant la productivité de chaque personne détenue. Il en résulte un encombrement parfois considérable des cellules concernées : cartons empilés sur le sol et dans les étagères, pièces métalliques répandues sur la table. La situation est encore plus grave lorsque les personnes détenues doivent dans leur cellule tordre une barre métallique plongée dans un bain-marie. Les personnes détenues travaillant dans leur cellule, porte fermée, aucune supervision et aucun contrôle des modalités d'exercice de ce travail ne sont effectués, qu'il s’agisse de sa durée ou de ses conditions matérielles. En tout état de cause, le travail en cellule ne tient aucun compte des règles, même minimales, du code du travail. De plus, les travailleurs n'ont même pas le droit de prendre une douche après leur longue journée d'activité".


Donc, si les perspectives en faveur d’un rapprochement de l’encadrement des conditions de travail du détenu et du travailleur libre doivent être saluées, il faut s’interroger sur les conditions de mise en œuvre de toutes ces dispositions (encore vagues en pratique), qui feront certainement l’objet d’importantes négociations avec les différents acteurs notamment entre l'ATIGIP (Agence du TIG et de l’insertion professionnelle) et les concessionnaires qui menacent de déserter les établissements si les contraintes s'intensifient et leur responsabilité davantage engagée...


Par ailleurs, la rémunération du travail pénitentiaire demeure faible et hétérogène, ce qui, est dénoncé à maintes reprises par le CGLPL.


Il faut donc espérer qu’un nombre important de détenus et leurs avocats portent ces dérives devant les tribunaux et que la jurisprudence fera avancer les droits

En raison du contexte sanitaire, la visio-audience s’est développée de manière significative. Depuis la prison, les personnes incarcérées sont entendues par les magistrats à travers un écran. Si ce dispositif répond essentiellement à des besoins économiques et pratiques, assiste-t-on à une dégradation de la justice ?

Absolument ! Ces audiences par visio tiennent souvent du tragi-comique. Le CGLPL y assiste, notamment dans les hôpitaux psychiatriques durant la crise sanitaire lorsque les patients en soins sans consentement demandent à sortir de ce régime fermé ou lorsque les juge des libertés et de la détention se penchent sur les conditions de l’isolement et de la contention. Et également dans les centres de rétention. Ou au tribunal lors de demandes de mise en liberté des détenus.


L’écran laisse voir au patient, détenu ou retenu , le juge, son greffier et souvent l’avocat, qui lui, doit choisir entre se tenir aux côtés de son client ou aux côtés du juge. Même quand le système marche – ce qui est loin d’être toujours le cas – le bruit du clavier de l’ordinateur du greffe rend inaudibles les propos.


Le cadrage empêche de voir ou de saisir les réactions ou mimiques de tous les acteurs de la scène. Si le procureur parle, le focus est sur lui et on ne voit plus le juge ni l’avocat et inversement. Si un interprète est nécessaire, l’image le montre quand il traduit, mais on ne capte plus l’image du demandeur ni des magistrats ni de l’avocat.


Lorsque la machine déraille les voix deviennent inaudibles ou couvertes par les crachotements.


En résumé, il s’agit d’audiences au rabais qui ne devraient pas exister…

Le 1er février 2022, l’Observatoire international des prisons publiait sur son site internet le témoignage d’un surveillant pénitentiaire qui, témoin de violences commises il y a quelques années par un collègue à l’encontre d’un détenu dans une maison d’arrêt du sud de la France, n’a pas dénoncé les faits à l’administration. Quel regard portez-vous sur la surveillance des surveillants ?


Tout d’abord, cette surveillance devrait être sans faille en interne. Ce n’est hélas, pas (souvent) le cas, même si les choses ont évolué, si je regarde 20 ans en arrière. Mais pas assez. Dans les prisons visitées par le CGLPL, il arrive que nous signalions, au procureur de la République, et après des informations recoupées, des infractions commises en détention. Ce sont même des surveillants qui nous en parlent, écoeurés par certains comportements. C’est notre rôle aussi. C’est aussi celui des avocats qui, informés par leurs clients, doivent également dénoncer des faits susceptibles de tomber sous le coup de la loi.

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