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Clarisse Serre : « Plaider reste notre raison d’être »

Formée auprès des plus grands (Pierre Haïk, Jacqueline Laffont, Paul Lombard), Clarisse Serre s'est installée à Bobigny en 2013. Avocate franche et percutante, elle défend le who’s who du grand banditisme et du trafic de stup. Remarquable plaideuse, elle a défendu Michel Lepage, Mehdi Hornec, le cercle Wagram et Zaher Zenati, l’un des complices de l’évasion d’Antonio Ferrara. À ses heures perdues, elle conseille la série Engrenages sur Canal+. Ses confrères la surnomment « la lionne ». Étoile montante du barreau pénal, elle figurait à la 21ème place du classement GQ des avocats les plus puissants de France en 2018.

 

Comment la pratique du droit pénal a-t-elle évolué depuis votre prestation de serment ?


J’ai prêté serment en 1995. A cette époque, nous étions peu à la sortie de l’école du barreau à vouloir nous orienter vers le droit pénal. Ce qui n’est plus le cas aujourd'hui si j’en juge au nombre de CV que je reçois...


La pratique a évolué, ce qui est normal, car le droit n’est pas figé dans le marbre et doit s’adapter à la société. Pour autant, ce qui est curieux, et nouveau, au pénal, c’est la prédominance de l’écrit sur l’oral. Lorsque j’ai commencé, mes patrons faisaient peu de demandes d’actes par exemple, et l’audience, en particulier aux assises, était concentrée sur la plaidoirie. Aujourd’hui, même dans les dossiers les moins techniques, l’écrit, et ce dans un souci d’exercer au mieux les droits de la défense, s’est considérablement développé. Dans les dossiers d’instruction, il est très fréquent de déposer des demandes d’actes, des requêtes en nullités, des demandes d’expertises etc. Ces demandes sont, à la fois, indispensables pour compléter une instruction, mais aussi pour préparer une audience. Même en matière criminelle, lors des procès d’assises, ces demandes servent et, lors du procès, la plaidoirie, certes incontournable, n’est plus suffisante. Il faut poser des questions aux experts, aux témoins et aux parties. La technicité, la complexité des dossiers nécessite un travail approfondi tel qu’une plaidoirie, aussi bonne soit-elle, ne peut à elle seule suffire.


Cette évolution est curieuse car le pénal, dans l’imaginaire collectif, se résume souvent et seulement à l’avocat plaideur. Elle est aussi curieuse car certains regrettent cette tendance vers l’écrit alors qu’à l’extérieur des prétoires, l’art oratoire, l’éloquence n’ont jamais eu autant de succès. Le temps passé à plaider représente peu de temps sur l’ensemble du travail d’un pénaliste. Mais plaider reste notre raison d’être. Les écrits laissent une trace écrite alors que la parole est fugace. Dès lors, cette parole donc être utile et convaincante pour retenir l’attention des magistrats et des jurés, et emporter leur conviction vers notre objectif. Cette évolution nous oblige à davantage de rigueur.


La pratique a aussi évolué sur de nombreux points tels que les relations avec les magistrats. La méfiance envers les avocats est significative à cet égard. Je pense que cela repose sur une méconnaissance de notre profession. Cela dépend aussi de l’humain. Je considère que le stage effectué au sein de cabinets d’avocats par les auditeurs de justice participe à leur très bonne formation. La réciproque devrait être obligatoire pour tous les avocats. Il est donc nécessaire de s’adapter, notamment en s’entourant de jeunes avocats.


La loi justice du 23 mars 2019 a créé les cours criminelles départementales pour accélérer le jugement de certains crimes. Qu'en pensez-vous ?


J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet. Je continue de penser que ce n’est pas une bonne idée. Les faits les plus graves, les crimes, sont jugés par des magistrats professionnels et des magistrats dits « d’un jour », les jurés populaires. Rappelons que la peine maximale encourue est la perpétuité. C’est dire l’importance de la décision à prendre. Les jurés ont à cœur de rendre la justice. Leur serment rappelé par les présidents d’assises à chaque audience d’assises leur fait obligation de ne trahir ni les intérêts de la société, ni ceux de la partie civile, ni de ceux de l’accusé. Si je rappelle cela, c’est parce que je m’interroge sur la création de ces cours criminelles : pourquoi faire disparaître les jurés ? Sous prétexte d’économie ? les jurés coûteraient donc chers ? Sous prétexte de gain de temps ? Pour l’avocate pénaliste que je suis, c’est inconcevable que le gain de temps soit mis en exergue. Juger vite n’est pas la garantie d’un procès équitable. S’il est certain qu'aux assises, les délais sont trop longs actuellement, c’est pour au moins deux raisons : d’une part, le manque de magistrats, d’autre part, le recours excessif à la détention provisoire à mon sens.


Alors pourquoi avoir voulu supprimer les jurés populaires ? Par peur de leur décision ? Trop d’acquittements ont fait jaser ? C'est oublier que les jurés sont indépendants et n’ont de compte à rendre à personne, sauf à leur conscience : si le doute existe, la loi et le serment que les jurés prêtent leur demandent de voter en faveur de l'acquittement. Lorsque je lis le compte-rendu fait par la presse de certains procès, c’est édifiant : « Mais comment cet homme a-t-il pu être acquitté ? ». Je pense notamment à l’acquittement d’un homme accusé de viol sur une jeune fille âgée de 11 ans par la cour d’assises de Melun. La plupart du temps, la presse ne fait pas état de cette règle selon laquelle le doute doit profiter à l’accusé.


Créer ces cours criminelles, c’est donc réduire les cours d’assises à des magistrats professionnels, pour rendre des décisions qui pourraient convenir à tous. Ce n’est pas cela, la justice. Ce n’est pas de l’à peu près. Et puis surtout : rien n’explique la suppression des jurés si ce n’est la crainte de leur voix, qui est pourtant la garantie de l’exercice démocratique. Sans compter qu'il faudra trouver des magistrats professionnels pour composer ces cours. Il en faut cinq par cour. On manque déjà de magistrats en France. Où va-t-on les trouver ? Si on les enlève de leurs fonctions actuelles, alors qui les remplacera pendant leur absence ?


Depuis des années et des années, les gouvernements successifs ont développé un syndrome de la législation galopante : toujours plus de lois. Pourtant, cette inflation législative constitue une fausse bonne idée puisque la majorité des nouvelles législations existaient déjà auparavant. Ce qu'il faut faire c'est donner à la justice pénale de véritables moyens. Et arrêter de faire comme au temps de Nicolas Sarkozy où à chaque fait divers, on votait une nouvelle loi alors que l'arsenal repris existait déjà. Ce qui manque en France, ce ne sont pas des lois, mais bien les moyens de rendre une justice de qualité, avec des magistrats en nombre suffisant, des greffiers payés à la hauteur de leur travail, des ordinateurs qui fonctionnent, des stylos, du papier !


© Clarisse Serre

Vous défendez le gratin du pénal violent : trafiquants, voyous, terroristes et délinquants chevronnés. Choisissez-vous vos clients ?


Je ne choisis pas mes clients. Ce sont eux qui me choisissent. C’est d’ailleurs un honneur à chaque fois. Donner sa confiance, confier sa défense à un avocat, ce n’est pas rien, d’autant qu’au pénal les enjeux personnels sont considérables aussi bien pour les victimes que pour les auteurs. Je suis distante avec mes clients. C’est nécessaire. Il faut garder son indépendance et garder sa crédibilité auprès des magistrats. Par exemple, je ne veux pas que mes clients me tutoient.


Le 30 janvier 2020, la France a une nouvelle fois été condamnée par la CEDH pour les conditions de détention dans ses prisons. Pensez-vous que la prison a encore du sens au XXIème siècle ?


La surpopulation carcérale est un véritable enjeu, mais aucun homme politique ne veut s’engager sur ce terrain. On ne peut pas être élu si on présente un programme de réduction du nombre de détenus et d’amélioration des conditions de détention. L’opinion publique, dans sa grande majorité, considère que ceux qui sont détenus le méritent et que « c’est bien fait pour eux si les conditions sont exécrables ». Puis, lorsqu'un jour le citoyen lambda doit être confronté à la prison, alors le discours est tout autre : « Mais comment Maître, on ne peut pas se doucher tous les jours ? ».


Les peines courtes devraient être remplacées par des mesures de travail d'intérêt général (TIG), qui me paraissent avoir plus de sens : travailler gratuitement pour la collectivité par exemple, nettoyer les bordures d’autoroute, aider des personnes âgées, faire des stages de sensibilisation à l’usage des produits stupéfiants, aller rendre visite à des victimes d’accidents de la route etc. Je pense également qu’il existe des alternatives à la détention provisoire, comme le placement sous bracelet électronique ou la caution, qui ne sont pas assez développés. Ceci étant, la prison ne peut, à mes yeux, être supprimée car elle permet l’exécution des peines les plus lourdes, en particulier les peines criminelles. Mais se pose une autre question : celles des longues peines.


Ce qui est marquant, c’est que peu de magistrats se rendent régulièrement en prison pour constater par eux-mêmes les conditions. Personnellement, je ne supporte plus d’aller en détention, par exemple à Fresnes, car les parloirs avocats sont dans un état exécrable.


Quelles motivations vous ont conduit vers le droit pénal ?


J’ai toujours voulu exercer en droit pénal. J’aime l’humain. Naïvement au départ, je voulais défendre « la veuve et l’orphelin » et puis, au fil du temps, j’ai surtout défendu. Défendre, c’est trouver l’argument que personne n’a vu. C’est trouver la faille. C’est avoir l’esprit critique toujours en éveil. C’est ne pas se satisfaire des a priori - et même de combattre ses propres a priori. C’est, enfin, se surpasser pour rendre humain celui qui peut paraître ne plus l’être.


En 2013, vous avez quitté Paris pour vous installer à Bobigny. Pourquoi ?


Quitter Paris était un nouveau challenge. Tout ne passe pas par Paris. Au contraire, il y a de très bons avocats partout en France, mais on ne parle que trop souvent de Paris. Les clients ont longtemps pensé que choisir un avocat à Paris était gage de succès. Bien sûr qu’à Paris il y a d’excellents avocats, cela ne se discute pas, mais je dis que l’avenir n’est plus uniquement à Paris. J’ai la chance de plaider partout en France. Ce n’est pas l’adresse qui fait l’avocat ; c’est l’avocat qui fait l’adresse.

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