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Le parquet européen, un nouvel acteur dans la lutte anti-fraude

Sélim Teurki, étudiant en droit et écrivain, revient sur la création du Parquet européen.

 

D’après une étude de l’Institute for Advanced Study, 50 milliards d’euros par an sont détournés en raison de la fraude à la TVA, ce qui représente une perte sèche de 20 milliards d’euros pour la France.

Face à ce problème d'envergure, les ministres de la Justice de l’Union européenne réunis au sein du Conseil « Justice et affaires intérieures » ont adopté le 12 octobre 2017 le règlement instituant le Parquet européen. Celui-ci aura pour mission la défense des intérêts financiers de l’Union européenne, en particulier la lutte contre les fraudes à la TVA et aux subventions européennes prévue par la directive 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

Toutefois, le Parquet européen ne prendra ses fonctions qu’en 2020. Retour sur une adoption encore controversée aujourd’hui…

La complexe adoption du Parquet européen : de l’unanimité à la coopération renforcée

L’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) offre la possibilité de l’instituer à l’unanimité des États membres.

Cette proposition s’est pourtant confrontée à de nombreuses oppositions, notamment celles du Royaume-Uni, de la Hongrie, de Malte, de l’Irlande, du Danemark, de la Suède, de la Pologne, ou encore des Pays-Bas. Ces blocages résultent de l’attribution de certaines prérogatives nationales à une instance européenne, à savoir la possibilité offerte à cette dernière d’intervenir dans le champ juridique national.

En l’absence d’unanimité, l’instauration d’une coopération renforcée est alors demandée par un groupe d’États membres, lesquels souhaitent la création du Parquet européen. Dans ce cas, la coopération renforcée permet à un certain nombre d’États de déterminer des règles qui s’appliquent à eux, indépendamment des oppositions des autres pays membres.

Cette coopération renforcée a été dès lors mise en place, à la demande de vingt États membres de l’Union européenne, dont l’Italie, l’Espagne, le Portugal la France et l’Allemagne.

Mais le traité prévoit toutefois que si l’un des opposants actuels change de position, il pourra alors adopter le Parquet européen ultérieurement, ce qui laisse une porte ouverte à de futurs adhérents.

La France est pour sa part favorable à l'instauration d'un Parquet européen. Pour Rachida Dati, eurodéputée et ancienne garde des Sceaux, « créer cet organe, de créer ces procédures, d’avoir des magistrats compétents et spécialisés, c’est une avancée majeure » sur le plan judiciaire.

Le Parquet européen accentuera la pression de la justice grâce à l’action publique commune, id est il « sera possible de faire simultanément une enquête en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne », ce qui permettra « une perquisition simultanée, [une] audition simultanée des suspects sans passer par la coopération judiciaire qui était une procédure lourde », explique l’eurodéputée et ancienne magistrate Eva Joly.

Toutefois, les magistrats européens renverront les poursuites pénales devant les juridictions nationales puisque le projet instituant le Parquet européen ne prévoit en aucun cas la mise en place de tribunaux pénaux européens (Chantal CUTAJAR, « Le parquet européen pour lutter contre la fraude financière à l’échelle européenne », JCP G, n°43, 23 octobre 2017).

Cette adoption ravit la Cour des comptes car, dans son rapport spécial, elle recommandait en 2015 l’adoption du Parquet européen. Son président, M. Klaus-Heiner Lehne, dans son discours de 28 septembre 2017, affirmait son souhait de renforcer la confiance des citoyens dans les institutions européennes et nationales afin de justifier l’utilisation efficiente du budget européen.

La volonté de M. Klaus-Heiner Lehne a été entendue puisque la mise en place du Parquet européen permettra la protection des intérêts de l’UE et, de facto, consolidera la légitimité des institutions européennes, permettant ainsi une protection étendue des intérêts de l’UE.

Par ailleurs, cette autorité indépendance connaîtra une forte interdépendance avec d’autres organes pour exercer au mieux ses fonctions.

Le Parquet européen, indépendant et complémentaire avec les autres organes anti-fraude

Basée au Luxembourg, cette nouvelle institution indépendante est étagée en deux niveaux distincts. D’un part, un niveau central constitué d’un bureau central où siègent notamment des procureurs européens issus de chaque État membre, un chef du parquet, assisté de deux adjoints qui superviseront toutes les enquêtes et poursuites ; d’autre part, un niveau décentralisé composé de procureurs européens délégués affectés dans les États membres.

Toutefois, les magistrats européens renverront les poursuites pénales devant les juridictions nationales puisque le projet instituant le Parquet européen ne prévoit en aucun cas la mise en place de tribunaux pénaux européens.

Par ailleurs, le Parquet européen agira en toute indépendance. Les membres du Parquet « sollicitent ni acceptent d’instructions d’aucune personne extérieure au Parquet européen, d’aucun État membre, d’aucune institution, d’aucun organe ou organisme de l’Union ». En outre, les acteurs européens ne doivent pas influencer le parquet dans l’exercice de ses fonctions et respecter son indépendance.

Outre cette indépendance, la force du Parquet européen résultera de ses étroites relations avec d’autres organes anti-fraude.

Créé en 1999, l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) dispose d’un pouvoir d’enquête sur la fraude, la corruption et les fautes commises au sein des institutions européennes en vue de protéger les intérêts financiers de l’Union. Néanmoins, l’OLAF n’émet uniquement que des recommandations aux États membres. Ainsi, le Parquet européen, en relation avec le travail en amont de l’OLAF, procédera aux sanctions.

L’article 86 du TFUE, paragraphe 4, impose l’institution d’un Parquet européen « à partir d’Eurojust » (ou Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne). Cette dernière tend à encourager, en partie, la coordination et la coopération judiciaire des enquêtes entre les États membres. À cela, il semble que le Parquet européen apportera son pouvoir juridictionnel même si les contours de cette collaboration restent encore flous.

Le Parquet européen fournira également son aide aux tribunaux nationaux, dont la juridiction s’étend aux fraudes intérieures. Ainsi, les affaires européennes, demandant une collaboration des différents tribunaux nationaux, passeront au second plan. De cette manière, le Parquet européen s’attellera à la sphère européenne pour ensuite notifier les suspects aux tribunaux nationaux. Dans le cas de la France, le Parquet européen les dénoncera au parquet national financier.

Initialement, les compétences d’Europol incarnent la répression européenne puisqu’elle combat en premier lieu la criminalité et le terrorisme. En conséquence, la collaboration entre le Parquet européen et Europol essaiera de s’affirmer puisque Emmanuel Macron, lors de son intervention sur l’avenir de l’Europe à la Sorbonne, a affiché son souhait d’élargir le champ d’application du Parquet européen à la cybercriminalité et au terrorisme.

Depuis le mandat d’arrêt européen institué en 2002, la justice des vingt-huit États membres n’a plus connu un tel progrès. Le Parquet européen pourrait-il marquer le renouveau du projet européen ?

 

Sources :

  • Study and Reports on the VAT Gap in the EU-28 Member States : 2017 Final Report, TAXUD/2015/CC/131, Directorate General Taxation and Customs Union.

  • En direct de l’Europe. L’UE adopte le parquet européen anti-fraude, un progrès majeur, 15 octobre 2017 ; https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-de-l-europe/en-direct-de-l-europe-l-ue-adopte-le-parquet-europeen-anti-fraude-un-progres-majeur_2397134.html

  • Cour des comptes, rapport spécial numéro 24 « Lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire : des actions supplémentaires s’imposent », 2015.

  • Discours de M. Klaus-Heiner Lehne, Au moment de la présentation du rapport annuel 2016 de la Cour des comptes européenne à la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen.

  • Chantal Cutajar, « Le parquet européen pour lutter contre la fraude financière à l’échelle européenne », JCP G, n°43, 23 octobre 2017.

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