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La fraude au président en droit bancaire

Antonin Péchard est élève avocat au barreau de Paris et chargé d'enseignement à Sciences Po Paris.

 

Le 3 juillet 2015, la Fédération bancaire française publiait une mise en garde destinée à attirer l’attention des banques sur la recrudescence de la technique dite de la « fraude au président » pendant les périodes estivales. En effet, depuis plusieurs années, ce type de fraude fait des ravages dans l’économie française. La FBF, dans sa mise en garde, affirme qu’il existe plus de 1 200 cas, pour un montant supérieur à 400 millions d’euros.

Modus operandi

Le modus operandi est étonnement simple :

  • créez une adresse mail qui ressemble à l’adresse professionnelle ou personnelle du PDG de l’entreprise visée,

  • prenez contact par mail avec un salarié ayant accès aux comptes bancaires de la société,

  • indiquez-lui qu’il a été choisi, en raison de ses qualités professionnelles et personnelles, pour vous aider à procéder à un achat (par exemple, une fusion) et que l’opération doit rester strictement secrète, même vis-à-vis de ses propres collègues et notamment de ses supérieurs,

  • faites procéder à des virements sur des comptes ouverts à l’étranger (le plus souvent, en Roumanie ou à Chypre), afin de ralentir les éventuelles procédures d’opposition, mais au sein de l’UE pour accélérer l’effectivité des virements et faciliter le retrait.

Il convient de nuancer cette simplicité avec toute la préparation et toute l’ingénierie que suppose cette méthode. Il est certain que les délinquants sont extrêmement bien renseignés, au préalable, sur la société visée : ces derniers parviennent à obtenir, avant tout contact avec le salarié pigeonné, les numéros de comptes, un spécimen de la signature du président, ou encore le nom et le profil du salarié qui sera choisi pour effectuer les virements.

Les cas connus mentionnent, pour la plupart, qu’une personne se présente par téléphone comme l’avocat mandaté par le président -qui n’est joignable que par mail puisqu’il est en vacances- pour donner du crédit à ce mensonge (et permet donc de caractériser une escroquerie).

De même, les escrocs multiplient les opérations jusqu’à ce qu’ils sentent que le doute commence à peser sur leur mise en scène : ils appellent alors la société en se présentant comme une officier de police judiciaire (en empruntant, parfois, la véritable identité d’un OPJ), afin d’obtenir des informations sur une éventuelle plainte qui aurait été déposée contre eux, entre temps.

Lorsque les dirigeants rentrent de vacances, les escrocs ont déjà vidé les comptes destinataires des sommes escroquées. Le sable fin des îles sur lesquelles les PDG ont passé leurs congés n’a pas eu le temps d’oublier les pieds de ces derniers que ceux de leurs escrocs l’ont déjà foulé… Aujourd’hui, il n’existe pas un cas, à notre connaissance, dans lequel l’identité de ces indélicats a été retrouvée.

Les sociétés victimes de ces méthodes sont mises en danger, et avec elles principalement leurs employés, ainsi que l’industrie française, à l’image de BRM, mise en liquidation en 2015 suite à une fraude au président.

Cette situation interroge donc sur la responsabilité du banquier dans les cas de virements frauduleux, dont les contours sont mal définis par la loi ; la jurisprudence opère une casuistique créatrice en la matière.


Réparation du préjudice

Le banquier agit toujours en tant que dépositaire du compte en banque. À cet égard, il n’est pas responsable des opérations de paiement par carte bancaire que son client, le déposant, utilise seul sous sa responsabilité.

C’est pourquoi, dans le cadre des paiements par carte bancaire, le Code monétaire et financier prévoit expressément et spécifiquement une responsabilité de plein droit du banquier.

À l’inverse, les virements répondent au régime de droit commun du mandat, ce qui permet de faire l’économie d’une disposition spéciale, mais qui donne dès lors naissance à une casuistique importante en la matière, notamment concernant la faute de la victime.

À noter que le cas des chèques, quant à lui, est encadré par le droit international et une jurisprudence foisonnante.

  • Responsabilité de plein droit du banquier

En principe, le banquier est responsable de plein droit des opérations de virement effectuées sans mandat valable.

Or, en la matière, la jurisprudence considère que, dès lors que le mandat n’émane pas véritablement de la personne qui se prétendait mandant auprès du mandataire, ce dernier a agit sans mandat valable et, dans le cas du banquier, avec la seule qualité de simple dépositaire.

Dans cette mesure, il est responsable de plein droit vis-à-vis du dépositaire et bénéficie seulement de la possibilité d’engager une action récursoire contre le bénéficiaire.

La banque étant réputée disposer de moyens plus efficaces que ses clients pour retrouver les escrocs, et étant également largement couverte par ses assurances, cette solution semble bien opportune.


Juridiquement, elle est imparable.

  • Responsabilité limitée par la faute de la victime

La responsabilité de la banque ne fait aucun doute, mais elle doit être nuancée par la possibilité pour elle d’invoquer la faute de la victime, susceptible de constituer une limitation, voire une exonération de sa propre responsabilité.

Toutefois, les cas de faute de la victime sont encore très restreints.

Par exemple, si la banque vient invoquer la fidélité de l’imitation de la signature du président sur l’ordre de virement, elle ne reporte pas expressément la faute sur la victime et cet argument n’est donc pas de nature à réduire sa propre responsabilité.

La banque doit alors contester le fait que la signature elle-même n’est pas celle du mandant, tel que celui-ci le soutien. Ce moyen de défense est néanmoins dangereux pour l’établissement teneur de compte : il suppose, en effet, de faire peser sur la victime un soupçon de fraude et de tentative d’escroquerie au jugement, mais aussi et surtout, la charge de la preuve pèse sur la banque.

De manière générale, afin de voir limitée sa propre responsabilité, il est inutile pour le banquier de soulever son absence de faute, ou même la force majeure, la jurisprudence considérant que cette responsabilité est engagée de plein droit, autrement dit sans faute.

La faute de la victime est retenue lorsque la société a très négligemment transmis des informations ayant permis ou facilité la fraude aux escrocs.

Dernière décision en date : un changement de fondement juridique ?

La décision de première instance la plus récente que nous avons retrouvée, en date d’octobre 2014, est éclairante sur la manière dont ces fraudes sont traitées par la juridiction commerciale. En effet, dans cette décision, les conseillers consulaires ont repris dans la motivation de la décision l’ensemble des négligences (fautes d’omissions) commises par la banque, dans le cadre de ces opérations, alors même que sa responsabilité devait être engagée de plein droit.

Plus étonnant encore, le Tribunal a pris le parti de changer le fondement sur lequel il fonde la responsabilité de plein droit du banquier en cas de fraude au virement. Ce changement semble très conforme au droit, notamment au regard de l’adage specialia généralibus derogant, puisque c’est l’article L. 133-18 du Code monétaire et financier qui y est visé et qui prévoit une responsabilité spécifique du banquier pour toute opération bancaire (dont font expressément partie les virements) contestée par le client.

Cette décision a été confirmée par un arrêt d’appel en date du 14 avril 2016. À l’avenir, c’est donc sur ce fondement que les victimes d’opérations de virements frauduleuses devront se reposer pour engager la responsabilité de plein droit de leur banquier.

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