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Abaisser la majorité pénale, vaste foutaise

Amaury Bousquet, étudiant à l'Institut de criminologie de Paris, passe au crible la proposition de François Fillon, candidat à l'élection présidentielle, d'abaisser la majorité pénale.

 

Du fond des âges, les jeunes font office de bouc-émissaires lorsqu'il s'agit de trouver à l’insécurité et à la psychose des coupables : gang des Apaches au début du XXe siècle, bandes urbaines, petits dealers...

François Fillon, candidat de la droite à la présidentielle, vient d'annoncer qu'il souhaitait que les jeunes âgés de 16 ans soient jugés comme des adultes. Mal conseillé, il feint d’oublier que ces derniers sont déjà responsables pénalement.

En aucun cas la loi ne fixe d'âge minimum en dessous duquel un mineur ne pourrait rendre des comptes à la justice. Autrement dit, il n'existe pas de minorité ou de majorité pénale. C’est un abus de langage.

En réalité, le critère pour apprécier si le mineur auteur doit être ou non condamné n'est pas l'âge mais le discernement, c'est-à-dire l'aptitude du jeune à comprendre et mesurer la nature et la portée de ses actes : ainsi, aux termes de l’article 122-8 du Code pénal ainsi, “les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables (...)”.

De fait, un gamin de 10 ans peut tout à fait être condamné comme responsable d'une infraction pénale si le juge l'a estimé suffisamment clairvoyant, conscient de ses actes, mature - mutatis mutandis.

Ce qui varie en fonction de l’âge, ce sont les sanctions susceptibles d'être prononcées :


  • En dessous de 13 ans, on n'encourt que des mesures éducatives : admonestation, remise aux parents, placement en centre éducatif fermé, obligation de réparation etc. Ces mesures peuvent être prononcées quel que soit l'âge du mineur en cause - tant mieux. Les juges apprécient celles qui leur semblent appropriées.

  • À partir de 13 ans, un mineur peut être condamné à une peine de prison, laquelle, pour simplifier, ne peut excéder la moitié du quantum prévu pour un majeur coupable des mêmes faits : on parle d’excuse de minorité ;

  • Enfin, entre 16 et 18 ans, à titre exceptionnel et sur décision motivée tenant compte de la personnalité du prévenu et des circonstances particulières propres à l’infraction commise, la juridiction peut écarter l'excuse de minorité et condamner un mineur à la totalité de la peine privative de liberté prévue pour un adulte. À l’heure actuelle, l’excuse de minorité est écartée d’office, c’est ce que la loi prévoit, pour les multi-récidivistes de plus de 16 ans.


En 2015, 4700 emprisonnements fermes ont été décidés contre des mineurs. Au total, 800 mineurs sont en prison à ce jour, dont 25% ont moins de 16 ans.

Si ce que désire obscurément François Fillon est de raser les spécificités de la procédure pénale des mineurs pour la calquer sur celle applicable aux adultes, les apprentis justiciables, mineurs, comparaîtraient, pour y être jugés “comme des grands” devant un tribunal correctionnel classique ou une cour d’assises de droit commun, et non plus devant un juge ou un tribunal des enfants.

Conséquence immédiate, oubliant que la première fonction de la justice des mineurs est d’éduquer (et d’élever), aucune mesure éducative ne pourrait plus être prononcée, le risque étant alors de laisser le mineur s'enferrer dans un cercle criminel duquel il sera incapable de sortir - et pour cause. Raisonnement qui peut d’ailleurs parfaitement être transposé au-delà de la seule justice des mineurs : réduire l’office de justice à sa dimension répressive, c’est le jeu du perdant-perdant.

Le 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a jugé que “l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs à raison de leur âge” et “la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées” constituent les deux pans d’un principe de rang constitutionnel : la spécificité de la justice pénale des mineurs, reconnue comme PFRLR. C’est à ce titre que le Conseil constitutionnel opère un contrôle de proportionnalité particulier s’agissant des textes de loi sur le sujet.

La Convention internationale du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant stipule dans ses articles 37 et 40 que l’enfant accusé ou condamné ne doit pas être traité comme un adulte. La justice doit prendre son âge en considération et privilégier des sanctions éducatives de nature à permettre une réhabilitation intelligente du jeune, qui ne gâchent pas trop tôt, et trop brutalement, la préparation de son avenir. La prison, notamment, ne peut être qu’un recours ultime.

La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains”, avertissaient, comme un exorde à la prudence, les rédacteurs de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, leitmotiv qu’il s’agirait de garder prudemment à l’esprit.

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