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Le viol n'est pas un délit

Amaury Bousquet, étudiant à l'Institut de criminologie de Paris, s’insurge contre la pratique, usuellement usitée, de la requalification des faits de viol en délit.

 

Par commodité, il est fréquent que des actes de viol (à savoir une pénétration sexuelle forcée, par contrainte, menace ou violence, imposée au partenaire en violation de son consentement ) soient requalifiés en simple agression sexuelle par les autorités de poursuite. Le crime devient délit. 70 ou 80% des viols, selon les chiffres agités par les associations, seraient correctionnalisés. Autant dire que c'est un procédé systématique, devenu habitude.

En clair, le procureur et le juge d’instruction, ligués, tentent de convaincre le plaignant de l’opportunité d’une requalification de l’infraction qu’elle a subie. Parfois, c’est le propre défenseur de la victime qui fait pression sur son client afin que celui-ci accepte, plus ou moins tacitement et plus ou moins consciemment, que son affaire soit jugée par un tribunal correctionnel plutôt que par une cour criminelle.

De pragmatiques observateurs plaident, au bénéfice de la « correctionnalisation », la célérité et la souplesse du jugement des prévenus en correctionnelle comparée à la lourdeur de la procédure d'assises. Ces avantages sont incontestables. La correctionnalisation judiciaire décharge les cours d'assises et accélère la répression. L’efficacité de la répression et l’indigence matérielle de l’institution justifieraient, de ce point de vue, ce qui n’est rien d’autre qu’une « disqualification » du viol.

Pour d’autres, les jurés tirés au sort seraient moins réceptifs à la souffrance des victimes, donc moins prompts à sanctionner sévèrement le viol que les magistrats professionnels qui siègent en correctionnelle. Ainsi, les verdicts criminels seraient au mieux aléatoires, au pire relativement cléments. C’est parfaitement inexact. Au contraire, minorer la gravité du viol et la sévérité des peines susceptibles d'être prononcées, comme la pratique le veut en l'état, ne constitue-t-il pas typiquement une marque d'indulgence à l'égard des violeurs ? Quelle farce !

Le législateur, pourtant habituellement très en pointe lorsqu’il s’agit d’accroître à l’insensé les droits des plaignants, s’accommode fort bien de cette pratique. La loi Perben 2 l’a presque ancrée dans les textes. La partie civile ne peut dénoncer la requalification que pendant le temps de l’instruction . À l’audience, il est trop tard. Tant pis pour elle s'il lui a fallu du temps pour prendre conscience de la portée de ce choix procédural. Et le tribunal lui-même, à l'heure de l'audience, ne peut relever d'office sa propre incompétence lorsque le renvoi a été ordonné à l’issue d’une information judiciaire, laquelle est la voie d’entrée dans le procès privilégiée en matière de mœurs .

C’est courir derrière La Palice que d’écrire que les conséquences de la correctionnalisation du viol ne sont pas neutres. Le viol est punissable de quinze ans de réclusion criminelle. Dans une forme aggravée, le condamné encourt jusqu’à la réclusion à perpétuité, la peine maximum du droit répressif français. Pour leur part, les agressions sexuelles « au bas mot » sont punies de cinq ans d’emprisonnement. En outre, le délai de prescription de l'action publique est raccourci : de dix ans pour le crime de viol, il est ramené à trois ans pour le « délit » de viol ; de vingt ans à dix ans pour les victimes mineures.

Les collectifs de victimes crient à la négation du viol et de la douleur de celle et ceux qui l’ont subi. Il s’agit en effet d’un crachat de l’institution au visage des victimes. Rien de moins. N’est-il pas déjà éminemment délicat, pour une victime de viol de prendre conscience de la gravité des agissements qu'elle a subis, de mettre des mots dessus, et de se déplacer porter plainte devant des policiers qui, bien souvent, sont mal à l’aise ou maladroits et ne savent pas accompagner décemment la personne ? Alors que dire si, au surplus, la justice dénie, pour des raisons essentiellement d’opportunité, la nature des actes relatés en ne daignant pas emprunter pour le viol la voie traditionnelle du jugement des crimes ?

Le jugement du viol aux assises a vocation à acter la reconnaissance juridique, officielle sociale de la gravité de ce crime. Ce n'est pas pour rien que le Code pénal de 1994 a prévu une peine de réclusion criminelle : le viol est avec le meurtre l'un de ces crimes, rares, dont l’extrême gravité font qu'ils sont admis universellement. À la différence que le viol, qui ne peut – quasiment – jamais tolérer aucune espèce d'excuse ou d'explication audible, exige une répression implacable en tout état de cause.

Juger le viol en cour d'assises n’est pas salvateur pour la victime. Il est réel que le déroulement et, bien souvent, l'aboutissement d'un procès d'assises en bonne et due forme sont autant d'épreuves supplémentaires pour la victime, honteuse, à laquelle on demande de se confronter au cynisme de son agresseur, de s’expliquer en public, en présence de médias, sous le regard curieux de badauds. Un procès criminel n'a rien de cathartique, je n'y crois pas. La solennité pour elle-même ne sert à rien. L’exposition et le tumulte d’une audience correctionnelle sont moindres.

En revanche, minimiser la gravité du viol, au fond nier sa nature, est une forfaiture pour les autorités judiciaires qui tolèrent cette pratique, voire la suggèrent aux plaignants. C’est en outre une décision indigne, entachée d’illégalité. La hiérarchie des valeurs sociales, reprise par l’échelle des fautes pénales et des sanctions qui leur sont attachées, s’en trouve bouleversée. Un viol ne serait finalement rien de plus qu'un attouchement. La correctionnalisation est une « disqualification ». Une telle acception est intolérable. C’est un détournement de la loi à des fins extra-judiciaires.

Il est urgent de rétablir une hiérarchie entre les infractions prévues par les textes pénaux et de la cohérence dans les sanctions qui leur sont attachées. Un criminel est plus qu’un délinquant et un délinquant n'est pas un criminel. Le viol n'est pas un délit, mais un crime, et il doit le rester, quoi que puissent en penser ceux qui croient servir les intérêts de la victime en déniant la gravité de l’infraction dont elle témoigne.

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