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L'expert, source de l'erreur judiciaire

Loren Nordman est assistante de justice au Tribunal de Grande Instance de Paris.

 

« Une erreur judiciaire est toujours un chef d’œuvre de cohérence »[1]. En effet, elle résulte souvent d’un quiproquo censé, d’un désir de vengeance, d’un coupable vraisemblable, et d’une volonté de réponse pénale immédiate, et par excès de logique l’erreur naît.


On croit l’expliquer par la phrase « l’erreur est humaine » cependant si l’on constate que l’erreur est aberrante si l’on part du postulat que nous cherchons la vérité alors peut on assigner des causes précises à l’erreur ce qui permettrait de les prévenir et de les éviter de ne pas la subir passivement ?

Ce thème de l’erreur judiciaire fait partie des sujets éternels en droit pénal.

La difficulté avec « l’erreur judiciaire » est qu’elle n’est pas définie par le code de procédure pénale, ni d’ailleurs par aucun autre code mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’existe pas. Au contraire, l’erreur judiciaire est bien réelle mais elle semble indicible.

Afin de la définir, il convient donc de se rapporter aux dictionnaires classiques de la langue française, le Vocabulaire juridique de Cornu, nous en donne une définition juridique donc plus rigoureuse : « une erreur de fait qui, commise par une juridiction de jugement dans son appréciation de la culpabilité d’une personne poursuivie, peut, si elle a entraîné une condamnation définitive, être réparée sous certaines conditions au moyen d’un pourvoi en révision

En partant d'un raisonnement empirique sur les erreurs judiciaires reconnues, il est possible d'en identifier les causes, afin de comprendre par quels procédés, la justice est vouée à se tromper, donc mettre en lumière ses sources pour mieux l’éviter.


Il apparaît logique de traiter premièrement les facteurs possibles de l’erreur judiciaire, d’émettre une classification.


Il est possible de dissocier deux sources de l’erreur judiciaire, l’une étant attribuable à la nature faillible de l’homme et l’autre attribuable aux défaillances d’un système judiciaire imparfait

L'adage « Erratum est humanum » vaut autant pour le justiciable que pour l’auxiliaire de la justice.

D'une part, l’homme peut être facilement déstabilisé par la machine judiciaire, lorsqu’il fait l’objet d’une enquête et qu’il est amené à avouer ou lorsqu’il est entendu comme simple témoin.

D'autre part, il n’y a pas que le simple justiciable qui est amené à commettre des erreurs, les auxiliaires de la justice peuvent se tromper. Parmi les nombreuses personnes qui participent à l’élaboration du procès peut chacune commettre une erreur dans son domaine de spécialité, l’expert qui vient éclairer la cour peut finalement l’obscurcir , le juge ou les enquêteurs.


Le dernier rebondissement dans l'affaire Omar RADDAD, nous suggère de s'intéresser à l'influence d'un homme en particulier, celui de l'expert.


L'expert possède un rôle central dans la détermination de la vérité judiciaire

« Un expert ne se trompe pas » affirmait le juge d’instruction Roger.Le rôle tenu par l’expert auprès du juge est important, l’expert en latin désigne « un homme ayant des connaissances spéciales dans son art et suffisantes pour que l’on puisse s’en rapporter à son appréciation dans une décision à prendre.

L’expert est désigné afin d’éclairer le juge sur des points scientifiques(en matière de psychiatrie, médecine légale, graphologie, balistique) auxquels, le juge seul ne peut pas apporter de réponse car il n’a pas les connaissances nécessaires dans le domaine requis. L’indépendance, la compétence et la renommée d’un expert, font que son rapport d’expertise est considéré comme très fiable. En effet, on accorde à la parole de l’expert une confiance indéfectible, ce qui est source d’une forte influence sur la décision prise par le juge.


Par leur spécificité, technicité, et complexité, certains rapports d’expertises font que leur contenu peut échapper aux magistrats ou au jury, et il y a une tendance à ne pas les remettre en cause.


Effectivement.


« Comment le juge peut-il faire confiance à ce qu’il ne maîtrise pas, sinon aveuglement ? Le juge choisit un expert en qui il a confiance. Le temps et les connaissances techniques lui manquent pour critiquer un rapport. L’analyse s’impose au juge en raison de sa clarté »[2]


Même si le juge n’est pas lié par les conclusions de l’expert, le juge boit ses paroles et cette validation presque automatique des rapports d’expertises est dangereuse, étant donné que errare humanum est, l’expert qui est un homme peut se tromper et mener à des erreurs judiciaires. D’ailleurs l’histoire des cours d’assises a pu le démontrer à plusieurs reprises.

D’une part, en 1888 dans l’affaire DRUAUX, Madame DRUAUX est condamnée aux travaux forcés à perpétuité pour avoir empoisonné à la cantharide son mari et son frère. Pour la déclarer coupable, les juges se sont basés sur les rapports de deux experts qui avaient retrouvé des traces de ce poison dans le corps des victimes. Cependant plusieurs années après, les locataires de la maison Druaux sont morts dans les mêmes circonstances. Finalement les nouveaux experts nommés ont constaté que la maison était à côté d’un four à chaux qui causait une infiltration d’oxyde de carbone. Dès lors les experts s’étaient tous les deux trompés en concluant à un empoisonnement alors qu’il s’agissait d’une intoxication accidentelle. Cette affaire met en exergue les risques liés à l’influence du rapport d’expertise dans la prise de décision du magistrat.

D’autre part, dans les affaires DREYFUS ou d’Omar RADDAD ( cette affaire ne constitue pas une erreur judiciaire au sens strict du terme car la condamnation d’Omar n’a pas été révisée, il a été gracié, mais on peut tout de même émettre des doutes quant à sa culpabilité surtout aujourd'hui grâce aux traces d’ADN découvertes en 2015 sur des scellées ne sont finalement pas les siennes ), les juges ont eu recours à des graphologues. Le rôle de l’expert graphologue a été essentiel dans le cas Dreyfus, en dehors des considérations politiques, militaires ou religieuses, l’expert Gobert ne reconnaît pas l’écriture de Dreyfus sur le bordereau litigieux, un autre expert est consulté, Bertillon qui affirme que l’auteur du bordereau est Dreyfus, puis les trois autres experts nommés reconnaissent l’écriture de Dreyfus ; on conclut donc à sa culpabilité et on le condamne le 19 décembre 1894 à la déportation perpétuelle.

Il y a eu également des divergences d’expertises en graphologie dans l’affaire RADDAD, le 24 juin 1991 le cadavre de Ghislaine MARCHAL est découvert dans la cave de sa villa à Mougins ainsi que l’inscription ensanglantée sur les portes de la cave « Omar m’a tuer », son jardinier Omar RADDAD est immédiatement mis en cause. La question se pose de savoir si cette inscription est de la main de la victime ou de celle d’un tiers. Les experts nommés par le magistrat confirment qu’il s’agit de l’écriture de Ghislaine MARCHAL, tandis que les 13 experts de la défense apportent un démenti à ces conclusions, pourtant Omar sera déclaré coupable.

Bien que la loi ait édicté des règles précises qui encadrent les expertises et leurs recours, on ne pourra jamais empêcher l’influence déterminante qu’exerce une expertise sur l’intime conviction des juges et du jury.


 

[1] Daniel PENNAC, Monsieur Mallaussène, Gallimard, 1997


[2] Henri CHARLIAC, L’expertise en matière criminelle, Paris, Dalloz, 1937

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