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La présentation d'excuses en droit civil (droit comparé français/québécois)

Gabriel Meunier est avocat et étudiant-chercheur au Laboratoire de cyberjustice à Montréal.

 

La majorité des juridictions de Common Law ont une loi qui permet la présentation d’excuses sans admission de responsabilité dans le cadre de litiges civils et pénaux. La France et le Québec, États civilistes, n’ont toujours pas de telle loi. Nous vous proposons un tour d’horizon sur cette notion révolutionnaire, qui aurait avantage à se mettre au service d’une justice civiliste plus réparatrice.

Que sont les excuses ?


La définition d’excuse qui s’applique en l’espèce est celle «d’exprimer des regrets pour quelque chose que l’on a fait de mal». Ce terme est l’équivalent français du mot anglais « apology ». Une première source de confusion sur l’utilisation de la notion d’excuse en droit civil est qu’elle est souvent associée à d’autres définitions, soit « une circonstance propre à disculper » ou « une dispense ».

Contexte historique


Le Massachusetts fut le premier État à adopter, en 1986, une loi sur la protection juridique des excuses. À cette époque, la fille d’un sénateur était décédée dans un accident de voiture et le conducteur avait refusé de s’excuser par crainte de l’impact desdites excuses sur le litige civil concernant cette affaire. Cette tragédie incite le Massachusetts à instaurer un régime de protection destiné à fournir un environnement favorable pour quiconque souhaiterait offrir ses excuses.

Le texte de loi se lit comme suit : «Statements, writings or benevolent gestures expressing sympathy or a general sense of benevolence relating to pain, suffering or death of a person involved in an accident and made to such person or to the family of such person shall be inadmissible as evidence of admission of liability in a civil action.»

Entre 2000 et 2009, 36 États américains ont emboité le pas en adoptant une législation protégeant la présentation d’excuses dans le cadre d’un litige civil. En revanche, parmi ceux-ci, certains ont décidé de limiter ce régime aux seuls cas résultant d’une erreur médicale. En 2002, la majorité des États fédérés de l’Australie ont adopté une loi protégeant les excuses complètes. Depuis 2006, au Royaume-Uni, la présentation d’excuse est protégée depuis l’adoption du Compensation Act.

C’est aussi en 2006 qu’une première province canadienne, la Colombie-Britannique, adopte le Apology Act qui favorise la présentation d’excuses. Cette pièce législative servira de modèle duquel s’inspireront en 2007 la Saskatchewan dans les amendements (partie 23.1) de son Evidence Act et le Manitoba dans sa Loi sur la présentation d’excuses, puis l’Ontario dans sa Loi sur les excuses de 2009.

Le contexte québécois


En droit québécois, les juges ont la discrétion d’admettre ou non les excuses. Or, selon le Professeur Antaki, il y a de fortes chances que cette admission par le juge des excuses résulte en un aveu judiciaire ou extrajudiciaire. Le Professeur Antaki ajoute que nos règles d’admission de la preuve contradictoire, issues du droit anglais, nécessiterait du législateur québécois l’ajout d’une protection judiciaire s’il souhaite favoriser l’expression d’excuses par les justiciables.

Objectif d’une loi sur les excuses


Selon le Professeur Nabil Antaki, l’objectif d’une telle loi est :

«principalement de renforcer l'utilité des excuses dans le cadre du règlement des différends dans une affaire civile et de favoriser la réconciliation interpersonnelle. Les excuses peuvent comprendre les aveux explicites ou implicites des actes préjudiciables, en plus des manifestations de sympathie et de regret. En bref, une telle loi prévoit que la présentation d’excuses par une personne ne constitue pas un aveu de faute ou de responsabilité de sa part et qu’elle n’est pas admissible dans le cadre d’une instance civile, d’une instance administrative ou d’un arbitrage pour établir la faute ou la responsabilité de quiconque dans l’affaire.»

Ainsi une telle loi permettrait à un individu d’exprimer ou de demander pardon à une autre partie sans que cela entraîne de conséquence juridique. Ceci permet de donner un visage plus humain à la justice.

En effet, à l’heure actuelle où le Québec n’a toujours pas adopté de loi sur la présentation d’excuses, l’impact juridique d’excuses est incertain. Les excuses pourraient être utilisées pour établir la preuve d’une faute ou d’une responsabilité, ce qui décourage les justiciables de présenter des excuses. Notons en premier lieu que le Fonds d’indemnisation du Barreau du Québec interdit aux avocats de s’excuser ou de reconnaître une responsabilité dans le cadre d’un litige de responsabilité professionnelle. La même situation s’applique en termes de responsabilité médicale, et ainsi de suite dans toute cause civile ou pénale qui peut impliquer une responsabilité ou une faute.

Or, il est tout à fait normal et humain qu’un avocat dont un client a perdu un droit par sa faute ou un chirurgien dont le patient est décédé sur la table d’opération ait envie de présenter ses excuses au client ou à la famille du patient. Ceci ne déroge pas à leurs codes de déontologie et fait plutôt honneur à leurs professions. Or, présentement, les assureurs leurs imposent le silence, au grand malheur à la fois des personnes qui désirent offrir ses excuses que de celles qui pourraient en bénéficier.


Facteurs sociologiques favorables à la présentation d’excuses


Selon le Professeur Antaki, deux facteurs sociologiques sont favorables à l’émergence de la présentation d’excuses en règlement de litiges :

«La littérature considère que deux facteurs sociologiques sont à l’origine du mouvement global vers la protection des excuses :

  • une tendance mondiale qui voit de nombreux gouvernements, églises et autres institutions régler publiquement certains litiges par des compensations pécuniaires accompagnées d’excuses ;

  • le contexte extrêmement lourd et onéreux des litiges médicaux et la tendance générale de tous les systèmes de justice occidentaux de vouloir une justice accessible, d’éliminer les délais et les coûts des litiges par des règlements satisfaisants et efficaces au moyen des méthodes appropriées de règlement des conflits et de la justice participative.»

Ainsi, la présentation d’excuses s’inscrit dans une tendance forte de règlement alternatif des conflits, qui vise à diminuer les coûts et les délais. De plus, de grandes institutions ont déjà défriché la voie aux excuses, au Canada comme ailleurs.

La tendance mondiale aux excuses

Le psychiatre Aaron Lazare note une hausse majeure du nombre d’excuses d’acteurs institutionnels à partir des années 1990. Citons notamment, au Canada :

  • Brian Mulroney aux Canadiens d’origine japonaise en 1988;

  • Les églises et gouvernements responsables de l’éducation des autochtones;

  • Justin Trudeau, toujours relativement aux peuples autochtones, en 2015;

Pendant la même période, des excuses ont été offertes à l’internationale par :

  • Les papes Jean-Paul II, Benoît XVI et François, dans différents contextes;

  • Les présidents des compagnies Ford, Toyota et Volkswagen;

  • Les athlètes Jeanson (2007), Riis (1996), Jones (2007), Sharapova (2016);

Que les excuses soient sincères ou non, opportunistes ou non, il est évident qu’il y a une tendance mondiale aux excuses, qui sont de plus en plus présentes dans le discours public.

Contexte médical et légal

Avec l’évolution de nos sociétés, il devient évident que la compensation monétaire ne suffit pas toujours à réparer un préjudice et qu’il faut introduire des outils s’adressant aux besoins émotifs et psychologiques des plaignants.

C’est dans le contexte des poursuites médicales que ce phénomène s’est illustré de la façon la plus flagrante et que le législateur de différents États a décidé d’adopter des lois sur les excuses. L’auteur Prue Vines ajoute : «Le législateur ne fut pas le seul intervenant dans ce processus. Il est évident que le lobby des assureurs et des médecins a joué aussi un rôle; leur intérêt étant certes de baisser les primes, les indemnités et les litiges.»

Ce à quoi, le Professeur Antaki ajoute : «Mais le législateur y a vu un besoin d’équilibre entre la nécessité d’une industrie d’assurance professionnelle viable et les besoins intangibles, moraux et psychologiques des victimes et de leurs familles. Le phénomène a été recensé aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. En Australie et en Grande-Bretagne, l’adoption de ces lois s’est faite de concert avec des profonds changements dans l’administration des règles de la responsabilité civile et de l’administration des procès dans un but d’accessibilité à la justice pour les individus.»

Or, les études de Prue Vines ont confirmé que l’essence de la relation médecin-patient rend souhaitable une communication en toute franchise. D’un côté, il est souhaitable que le client explique en toute honnêteté les symptômes qu’il éprouve s’il souhaite que le médecin lui offre le traitement le plus approprié à sa condition. De l’autre côté, la confiance du patient est gravement atteinte si, suite à un acte ou un diagnostic pouvant potentiellement mener à une faute professionnelle, le médecin s’enferme dans son mutisme. L’auteur Vines estime que dans cette situation, il est souvent souhaitable et nécessaire dans l’intérêt supérieur de la relation médecin-patient que le médecin admette son erreur et/ou s’excuse.

Pourquoi les excuses sont-elles souhaitables et nécessaires?

Le psychiatre Aaron Lazare identifie quatre raisons pour lesquelles une personne désire présenter ses excuses :

  • Pour rétablir une relation compromise

  • Pour exprimer ses regrets quant à la souffrance infligée

  • Pour réduire un châtiment

  • Pour exprimer sa souffrance

Les raisons pour lesquelles une personne désire présenter ses excuses expliquent ses corollaires qui sont le rôle que ces excuses peuvent jouer pour la personne qui s’excuse :

  • Une offre de paix

  • Un acte d’humilité

  • Une circonstance atténuante du châtiment

  • Un moyen d’atteindre une paix mentale

Pour la personne qui reçoit les excuses, ce processus produit aussi des effets positifs. Les excuses forment une transaction qui permet un retour à l’équilibre et l’harmonie. La personne fautive reconnaît que le sens moral lui a manqué et se met donc en position de vulnérabilité. La personne qui reçoit les excuses se trouve en position de pouvoir, ce qui rend sa dignité à la personne lésée. Cette dernière peut en premier lieu accepter ou refuser les excuses de celui qui lui a fait mal, ainsi que lui pardonner ou non dans un second temps, ce qui démontre qu’elle possède le contrôle absolu suite à cette transaction.

Cependant, comme l’affirme les auteurs Trudy Govier et Alice Miller, il faut que le pardon soit librement donné et que les personnes à qui on a fait du mal ne soit pas pressées de pardonner. En effet, une telle façon de faire pourrait avoir comme conséquence de les rendre «davantage meurtries parce que l’on exerce des pressions sur elles afin qu’elles répriment ou transforment leur colère»[1].

Non seulement les excuses apportent des bienfaits à la personne qui les reçoit, mais le pardon peut aussi apporter des bénéfices à la personne qui pardonne. Comme le dit T. Govier : «À certains égards importants, le pardon peut également être avantageux pour la victime : il est bon pour sa santé mentale. Elle renonce à ses sentiments de colère, de ressentiment et de faine à l’endroit de l’agresseur; elle accepte qu’une injustice a été commise, en n’atténuant pas cette injustice mais en étant disposée à aller de l’avant au lieu de s’appesantir du passé.»

Pardonner ne signifie pas oublier. Il s’agit de renoncer à son ressentiment et à accepter que l’auteur de la faute s’est repenti. Il va sans dire qu’il s’agit là d’un processus éprouvant. Néanmoins, puisque le but fondamental de la justice est de réparer le préjudice, il faut avoir une vision holistique de ce concept de réparation, qui transcende la quantification monétaire du préjudice et qui considère l’aspect de la réparation de l’âme. En conclusion, il est souhaitable et nécessaire que le Québec et la France se mettent au diapason de ce qui se fait dans les juridictions de Common Law en matière de présentation d’excuses, afin de rendre la justice réparatrice.


 

[1] T. Govier, Dilemnas of Trust, Montréal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 199.

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