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L’incitation à la haine : quand le Péché devient un Crime

Antoine de Fouquières est juriste à Hô Chi Minh Ville. Il s'intéresse à l'incrimination de l'incitation à la haine introduite par la loi Pleven.

 

Avec sa grande Hache, elle est devenue la pire ennemie des polémistes, des auteurs controversés et des journalistes audacieux, tranchant sans ménagement dans leurs articles et leur portefeuille.

La Haine est devenue le nouveau point Godwin. Accuser son contradicteur de répandre la haine est devenu l’argument massue qui vient assommer avec violence toutes contradictions, toutes conversations. Cependant, cette dernière accusation est bien plus grave puisqu’elle peut aboutir à une peine pour… incitation à la haine. C’est bien l’incitation à provoquer un sentiment, la haine que la loi Pleven du 1er juillet 1972 réprime.

René Pleven annonçait fièrement, lorsqu’il a présenté ce projet de loi aux parlementaires que : « avec ce texte, la France sera, à ma connaissance, le premier pays du monde à avoir une définition aussi extensive de la discrimination dans ses lois pénales ». Il pouvait en effet être fier de la modernité de ce texte qui allait nous faire revenir 800 années en arrière…

C’est au 12ème siècle que les sentiments intimes sont exclus du champ du droit pénal. En effet, Pierre Abélard, théologien, philosophe mais surtout un des premiers grands maîtres de l’Université française, introduit dans son ouvrage Ethique une distinction fondamentale entre Péché et Crime : "Le Péché, relevant de l’intimité personnelle, n’est connu que de Dieu car Lui seul peut sonder les cœurs et les reins". Ainsi, le péché ne peut être jugé que par Dieu, il est hors d’atteinte des tribunaux humains et du pouvoir temporel.

Le Crime (qui désigne aujourd’hui l’infraction à savoir les contraventions, les délits et les crimes) est un acte qui trouble l’ordre public de façon visible, il viole la loi des hommes. Il est donc observable, quantifiable et mesurable et entre dans le champ de la justice humaine.

Cette distinction étant faite et appliquée ; apparaît trois siècles plus tard l’imprimerie, puis la presse écrite, ensuite les maisons d’éditions, la philosophie des Lumières, la multiplication des pamphlets… L’amour pour les débats endiablés devient en France une violente passion. Face à la vague d’attentats anarchistes (largement encouragée par certains journaux) sur le territoire français à la fin du 19ème siècle, la Troisième République adopte le 29 juillet 1881 la fameuse loi sur la liberté de la presse : la provocation publique aux crimes et aux délits est pénalisée (rentre également dans son champ d’application la diffamation, l’injure, la diffusion de fausses nouvelles et l’incitation à l’émeute). Finalement, cette loi parvenait à endiguer les appels à la violence tout en permettant aux idées, des plus extrémistes aux plus loufoques, d’être librement exprimées. Le pluralisme avait un effet modérateur et l’opinion publique faisait son tri.


Malheureusement, un siècle plus tard, la loi Pleven fait de la loi de 1881 une monstruosité en introduisant sournoisement dans le droit pénal français deux nouvelles notions dont le flou juridique est aussi dense que dangereux : la provocation à la discrimination mais aussi et surtout la provocation à la haine.

« Ceux qui […] auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personne à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 2000 F à 30000 F ou de l’une de ces deux peine seulement. »

La première critique que l’on peut faire à cette loi est évidente : comment les tribunaux pourraient ils mesurer objectivement l’incitation à un sentiment qui n’implique d’ailleurs pas systématiquement un passage à l’acte délictueux ? C’est impossible, mais la loi Pleven leur permet le plus légalement du monde de sanctionner quelque chose de l’ordre de l’intime, qui n’est pas un fait et est soumis à une interprétation totalement arbitraire (violant donc l’important principe de droit énoncé à l’article 111-4 du code pénal : « La loi pénale est d’interprétation stricte »).

Cette loi ne condamne plus un fait mais une intention or un même discours peut inciter à la joie, à la peur, à la tristesse, au rire, au mépris, à la haine, à autant de sentiments qu’il existe de sensibilité, et l’orateur n’a qu’un contrôle très partiel sur cette incitation. Ainsi, cette loi est profondément malsaine puisqu’elle recherche l’intention coupable de l’auteur de l’incitation (cf « il n’y a point de crime et de délit sans intention de le commettre » article 121-3 du code pénal).

L’iniquité de cette loi ne s’arrête pas là, elle énonce également que : « Toute association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre le racisme, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles […] de la présente loi ». Basile Ader, spécialiste du droit de la presse, avait déjà prévenu que la conséquence immédiate de cette loi sera « une inflation constante des contentieux, qui tend non seulement à faire du juge l’arbitre des causes les plus variées, mais aussi et surtout à privatiser l’action publique en autorisant les associations à la déclencher ». L’action publique devient la fille de joie de n’importe quel maquereau affirmant qu’il n’aime pas le racisme depuis 5 ans. Cette loi peut être (et elle l’est) instrumentalisée à des fins politiques ou financières par des associations qui ne sont pas directement lésées et qui n’ont pas en vu l’intérêt général puisque ce sont des groupes privés.

La dernière infamie de cette loi surgira en 1975 à l’article R.625-7 du nouveau code pénal : « La provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. » Ainsi, toutes les conversations privées tombent sous la coupe du droit pénal. Surveillez vos paroles, gardez vous des débats, attention même à vos bons mots, une incitation à la haine est si vite arrivée.

La nature du droit pénal est de punir un acte portant atteinte à l’ensemble de la société (par exemple le vol entre dans le champ du droit pénal car la société considère que la propriété est une valeur sociale protégée, il s’agit de protéger la société contre le vol). Cette loi est donc une exaction grave du droit pénal ; comment une parole prononcée en privé incitant potentiellement à un sentiment, la haine, et ne débouchant sur aucun acte extérieur et visible, peut il porter atteinte à la société ? La pénalisation de la provocation, publique ou privée, aux crimes et aux délits suffisait déjà à entériner les incitations à la violence (qui est un comportement et non un sentiment) et donc à protéger la société tout en préservant la liberté d’expression.

La loi Pleven du 1er juillet 1972 fait partie de ces lois qui, pleines de bonnes intentions, font du droit pénal, par essence répressif, un droit préventif. La loi Pleven n’a fait qu’annoncer les abus de l’état d’urgence et des lois luttant contre le terrorisme. La soif inextinguible de sécurité des citoyens et le pathos ambiant prennent dangereusement le pas sur les libertés fondamentales et le logos juridique français.


Platon écrit dans La République que « le propre de l'injustice est d'engendrer la haine » ; il serait tristement amusant de voir la loi Pleven engendrer la haine à cause de son injustice alors même qu'elle tente de la combattre...

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