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Droit de grâce : privilège de monarque ou contre pouvoir républicain ?

Xavier de Bonnaventure enseigne à l'Université de Saint Denis. Spécialisé en droit constitutionnel, il propose ici une réflexion sur le droit de grâce.

 

L’affaire Jacqueline Sauvage a suscité une émotion médiatique considérable, divisant les français: martyr de la cause des violences faîtes aux femmes pour les uns, prétexte inacceptable à une remise en cause de l’autorité de la chose jugée pour les autres. Ce fait divers en lui-même tristement banal, aura l’espace de quelques jours, passionné l’opinion.

Si cet emballement peut sembler légitime, la portée de la décision présidentielle aurait sans doute été plus forte si elle avait pu s’exercer loin de la bronca émotionnelle qui l’a précédée.Pourtant, cette affaire a remis au cœur de l’actualité la question du droit de grâce présidentiel. Aujourd’hui ce dernier est passé de mode, jugé comme le privilège d’un Etat régalien qui n’a plus lieu d’être.

La révision constitutionnelle de 2008 a limité sa mise en œuvre puisqu’en vertu du nouvel article 17 de la Constitution « le Président de la République ne peut faire grâce qu’à titre individuel ». François Hollande a lui-même, à de nombreuses reprises, fait part de ces doutes quant au bien-fondé de ce dispositif, et s’est montré particulièrement mesuré dans l’utilisation de cette prérogative exceptionnelle. Il faut pourtant rappeler que contrairement à l’amnistie, le droit de grâce ne constitue pas en lui-même une remise en cause de l’autorité de la chose jugée, puisqu’il s’agit juste de dispenser totalement ou partiellement de l’application de la peine, sans rien effacer de la décision de justice en elle-même. Il faut également se souvenir que ce dernier agit alors sur les conseils de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, et que la décision est toujours contresignée à la fois par le Premier Ministre et le Garde des Sceaux. Le risque d’arbitraire dans la décision finale est donc limité, puisque la chancellerie aiguille clairement le choix ultime du Président.


On ne peut en réalité limiter le droit de grâce à une sorte de résurgence archaïque héritée de la monarchie absolue. C’est oublier un peu vite que les philosophes des lumières avaient pour beaucoup d’entre eux fait part de leur attachement à cette prérogative hors-norme. Montesquieu percevait ainsi le droit de grâce comme particulièrement nécessaire puisqu’il allait jusqu’à déclarer que « les lettres de grâces sont un grand ressort des Gouvernements modérés. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec sagesse peut avoir d’admirables effets ». Les défenseurs de Jacqueline Sauvage apprécieront aujourd’hui à sa juste valeur cette référence.

C’est aussi omettre que si le droit de grâce a été dix ans supprimé entre 1792 et 1802, tous les régimes successifs l’ont ensuite consacré, des plus impérialistes au plus parlementaristes. L’histoire lui a donné une portée symbolique très forte. Le droit de grâce est alors apparu comme le dernier rempart contre le risque d’emballement de la machine judiciaire lorsqu’il a enfin été prononcé par le Président Loubet dans l’affaire Dreyfus, ouvrant la voie à la révision du procès par la Cour de Cassation. Il est ensuite apparu comme une première pierre vers l’abolition de la peine de mort, lorsque le Président Valéry Giscard d’Estaing a de manière très forte, gracié un mineur de 17 ans meurtrier d’une septuagénaire. Progressivement, il est ensuite apparu comme un moyen de régulation de la politique carcéral. Mais ce n’est assurément pas son essence première. Dans un contexte où les prérogatives exceptionnelles du Président de la République sont souvent perçues comme incompréhensibles aux yeux des français, il n’est pas inutile de rappeler qu’elles sont le corollaire de son rôle de gardien de la Constitution. C’est au Président de la République, élu par eux, qu’il appartient de protéger leurs libertés, et c’est à ce titre que le Président de la République dispose du droit de faire grâce.

Assurément les temps ont changé. Pas plus que les juges, le Président de la République ne peut sonder les cœurs et les reins. Le droit de grâce apparaît cependant comme un de ces fameux moyens de freins et contrepoids qui fait la souplesse et l’équilibre de la cinquième république. C’est donc une garantie qu’on ne saurait négliger.

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