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Sébastien Schapira : « La compliance, c'est un nouveau mot pour une pratique ancienne »

Formé auprès de Pierre Haïk et de Jacqueline Laffont, Sébastien Schapira est intervenu dans les dossiers Pétrole contre nourriture, Bygmalion, Vivendi ou Areva. Installé à son compte avec son associée Marion Grégoire, il a défendu Patricia Cahuzac, la veuve du marchand d'art Daniel Wildenstein, le maire de Corbeil-Essonnes Jean-Pierre Bechter, ou encore l'un des policiers de la BRI accusés du viol d'une touriste canadienne en 2014. Diplômé de Sciences Po et du Trinity College de Dublin, référencé comme "Next generation partner" en droit pénal des affaires dans l'édition 2020 du Legal 500, il figurait à la 11ème place du classement GQ des avocats les plus puissants de France en 2018.

 

Craignez-vous que les mesures dérogatoires prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la procédure pénale finissent, par commodité ou laxisme, par être institutionnalisées ?

La chancellerie commence à évoquer la prolongation de ces mesures dérogatoires au-delà de la période du confinement, ce qui renforce la crainte que cette crise sanitaire soit l’occasion d’institutionnaliser des pratiques contre lesquelles, au nom d’une justice humaine et de qualité, nous avocats nous battons déjà, comme le fait de juger en visio-conférence des personnes détenues. Il faut avoir assisté un justiciable par visio-conférence pour réaliser combien ce mode de comparution est attentatoire aux droits de la défense.


La mesure la plus préoccupante actuellement reste l’interprétation faite par une circulaire du ministère de la Justice de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020, qui amène à la prolongation d’office de la détention provisoire, sans débat. Comme l’ont récemment souligné les juges du tribunal correctionnel d’Epinal dans une décision courageuse et malheureusement encore isolée, cette pratique viole notamment le droit à un procès équitable.


Nous devons être d’autant plus vigilants que la loi du 3 juin 2016 relative au terrorisme a montré que des dispositifs d’exception supposés ne durer que le temps de l’état d’urgence peuvent ensuite être adoptés dans notre droit commun et venir ainsi durablement rogner nos libertés.

Contre les dérives actuelles et à venir, les avocats sont extrêmement unis, attentifs et mobilisés, à l’image de l’Association des Avocats Pénalistes (ADAP) et de son président, Christian Saint-Palais, qui multiplient les recours judiciaires et les interventions auprès du ministère de la Justice.


Doit-on considérer la création de la CJIP comme une avancée ? La France n'était-elle pas en retard par rapport aux pays de droit anglo-saxon qui ont, depuis longtemps, installé cette forme de justice pénale négociée ? Quelles sont, de votre point de vue, les prochaines évolutions à attendre en la matière ?

Pour évoquer la CJIP, il me semble important de revenir au préalable sur la création de la CRPC. La création d’un plaider coupable à la française a longtemps été regardée, à raison, avec méfiance par le monde judiciaire qui avait à l’esprit la pratique américaine : soit le justiciable plaide coupable et obtient une peine réduite, soit il refuse et encourt un procès au cours duquel le procureur demandera une peine beaucoup plus importante. Ce marché de la terreur avait de quoi choquer notre culture et nos pratiques et explique le temps qu’il a fallu pour qu’en 2004 et la loi Perben II, bien avant la CJIP, entre dans notre droit la CRPC.

Cette procédure, assez frustrante pour l’avocat dont le rôle n’est plus de croiser le fer avec le procureur et de plaider, a esquissé un nouveau mode de défense. La plupart des procureurs ont ainsi accepté de ne pas se limiter à faire une proposition « à prendre ou à laisser » et, en amont de l’audience formelle, peuvent engager, dans des dossiers complexes et à forts enjeux, notamment de blanchiment de fraude fiscale, des discussions qui redonnent son rôle et son utilité à l’avocat.

Cette voie procédurale rapide rassure bon nombre de justiciables qui préfèrent éviter l’aléa de la sanction et la forte publicité des audiences classiques.

A la différence de la CRPC, la CJIP, inspirée du DPA américain (Deferred Prosecution Agreement) créée par la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016, ne concerne que les personnes morales et surtout n’emporte aucune déclaration de culpabilité. Dès lors, une fois la convention conclue, les entreprises peuvent, sous la réserve du règlement de l’amende négociée et, éventuellement, de suivre un programme de mise en conformité, reprendre le cours normal de leur activité, notamment sans interdiction de participer à des marchés publics. L’enjeu est donc considérable et explique que, comme pour la CJIP qui vient d’être signée avec Airbus, des entreprises acceptent de régler des amendes qui se comptent en milliards d’euros.

Si cette procédure, qui a déjà abouti à la signature d’une dizaine de conventions, peut sembler favorable aux entreprises concernées, elle suscite toute une série de questions et d’interrogations qui ne sont pas résolues à l’heure actuelles. Comment s’articule la CJIP avec la mise en cause des personnes physiques ou même d’autres personnes morales n’ayant pas bénéficié de cette procédure (dirigeants, salariés, partenaires commerciaux, etc.) ? Quelle valeur probatoire accorder à la parole de la personne morale qui bénéficie d’une « immunité pénale » grâce à la CJIP ainsi qu’aux pièces collectées par les avocats de cette personne morale ? Si les personnes mises en causes dans le cours de l’enquête ou devant le tribunal apportent la preuve que la personne morale a occulté une partie de la vérité, la CJIP sera-t-elle reconsidérée ?

Ce mode de règlement, amené se développer demain avec la probable création d’une CJIP en matière environnementale, exige donc une grande vigilance de la part des avocats des personnes morales comme des personnes physiques.


© Schapira Associés

La compliance doit-elle être confiée aux avocats pénalistes ?

La compliance, c'est un nouveau mot pour une pratique ancienne. Prévenir et accompagner le risque a toujours été au cœur de la préoccupation des dirigeants et de leurs directeurs juridiques, administratifs ou financiers.

Avec la loi Sapin II, cette exigence est devenue une obligation qui fait partie des critères incontournables de bonne gouvernance, faisant peser sur la société un risque de poursuite, mais aussi de réputation.

Pour la définition du plan de prévention ou la cartographie des risques, mais également pour faire face aux contrôles et aux éventuelles poursuites, l’avocat pénaliste a évidemment un rôle central à jouer. En cas de suspicion de fraude ou de mise en cause, l’avocat pénaliste, fort de son expérience pratique, saura par exemple, dans le cadre d’une enquête interne, sensibiliser la personne morale et ses dirigeants sur les exigences et les limites d’un tel exercice (loi de blocage, droits de la défense, RGPD, risque que cette enquête interne soit utilisée par les enquêteurs ou le juge d’instruction, etc.).

Faut-il rappeler que la loi Sapin II vise avant tout à lutter contre la corruption ? Qui mieux que les avocats pénalistes, qui sont intervenus dans des procédures judiciaires de corruptions privées et de corruptions d’agents publiques, est armé pour accompagner les entreprises de ce point de vue ? Bien évidemment, les avocats d’affaires, qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l’entreprise, ont également un rôle important à jouer dans ce processus en pleine évolution.

Quelles sont les particularités de la défense pénale des « puissants » ?

De plus en plus, notre société considère que les « puissants » (dirigeants d'entreprise, personnalités publiques), car ils ont des responsabilités sociales, économiques ou politiques, doivent être encore plus irréprochables que les autres justiciables. On est passé d’une forme d’impunité à une forme d’exemplarité qui est amplifiée par le traitement médiatique accordé à ces procès.

A ce contexte, s’ajoute le fait que les dirigeants sont rarement préparés à ce type d’épreuves et ignorent cet univers. A l’avocat de savoir les préparer, les pousser dans leurs retranchements pour, tout en conservant intacte la combativité nécessaire, les aider à s’humaniser, à « fendre l’armure » et donner aux juges l’envie d’écouter, d’être convaincus.

Quel souvenir gardez-vous de vos premières années de barreau ?

J’ai commencé tard, à 30 ans, après avoir travaillé en entreprise. Jacqueline Laffont, qui m’a reçu, n’était pas certaine qu’avec mon parcours et mon âge, j’allais me plaire dans le cabinet. Au contraire, j’avais encore plus hâte de découvrir ce métier ; et « l’école Pierre Haïk », par laquelle sont passés des dizaines de pénalistes, m’a permis de plaider tout de suite, quasiment chaque jour, d’aller aux assises régulièrement, et de côtoyer le matin un braqueur de banque et le soir, un chef d’entreprise ou un homme politique. C’était très enthousiasmant et très intense. Pas facile de se mettre à son compte quand on a connu un tel foisonnement de dossiers, le perfectionnisme de Jacqueline et le magnétisme de Pierre.


Je me suis ensuite installé avec mon amie Céline Lasek qui venait de chez Olivier Metzner et nos approches se sont révélées complémentaires. Ces premières années restent de très bons souvenirs et un repère dans mon exercice. J’essaie, à mon niveau, sans discours, sans promesse, au jour le jour, de partager avec mes collaborateurs cette passion de la défense que m’a transmise Pierre Haïk.

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