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Quel avenir pour le droit pénal de l’environnement ?


 

Pauline Dufourq est avocat au barreau de Paris. Elle est spécialisée en droit pénal. Elle intervient essentiellement sur des contentieux techniques et transfrontaliers notamment en droit pénal des affaires ou encore en droit pénal de l’environnement aux cotés de dirigeants d’entreprises ou de sociétés. Elle conseille régulièrement des entreprises sur la conformité anticorruption et sur le devoir de vigilance des multinationales.

 

L’actualité n’a de cesse de nous rappeler l’impérative nécessité d’agir pour prévenir les atteintes à l’environnement, le réchauffement climatique et d’envisager une nouvelle forme de transition écologique plus juste et efficiente. Dans ce contexte, les outils en droit pénal de l’environnement doivent être repensés pour être plus accessibles, plus rapides et efficaces.


Fort de ce constat, plusieurs lois ont récemment été adoptées en la matière.


C’est ainsi que la loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée est venue poser les jalons d’une nouvelle justice environnementale. Cette loi a en effet défini les contours de nouvelles infractions environnementales, adapté le dispositif de convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP ») aux atteintes à l’environnement et repensé l’organisation judiciaire en spécialisant les juridictions dans la lutte contre les atteintes à l’environnement.


Plus récemment, le législateur a adopté la loi n°2021-1104 « climat et résilience » le 22 aout 2021. Cette loi vient traduire une partie des propositions de la Convention Citoyenne pour le climat pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle consacre des nouvelles infractions : un délit de mise en danger de l’environnement, un délit général de pollution des milieux et un délit d’écocide pour les infractions les plus graves.


1. Les récentes avancées en matière de lutte contre les atteintes environnementales


L’un des principaux enjeux en la matière est de rendre effective, la poursuite des atteintes à l’environnement. Il ressort de l’étude d’impact sur le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée que le contentieux de l’environnement représente une faible part de l’activité des juridictions. A ce titre, il est intéressant de noter que ces dix dernières années, le pourcentage d’affaires traitées par les parquets en matière environnementale représente seulement 0,5% du total des affaires. Par ailleurs, la réponse pénale se traduit dans 78,6% des cas par des procédures alternatives aux poursuites (étude d’impact, loi du 24 décembre 2020).


La création de nouvelles infractions : Forte de ce constat, la loi du 22 août 2021 a renforcé les outils répressifs en créant des infractions générales permettant de réprimer les atteintes à l’environnement à savoir notamment : un délit de mise en danger de l’environnement, un délit de pollution des milieux (flore, faune, qualité de l’air, du sol ou de l’eau) ainsi qu’un délit d’écocide pour les cas les plus graves.


Aujourd’hui, le fait d’avoir exposé l’environnement à un risque de dégradation durable de la faune, de la flore ou de l’eau en violant une obligation de sécurité ou de prudence est sanctionné d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans et d’une peine d’amende à hauteur de 250.000 euros. Il est à noter que ces sanctions peuvent s’appliquer si le comportement est dangereux et que la pollution n’a pas eu lieu (article L.173-3 du code de l’environnement).


De son côté, le délit général de pollution visé au nouvel article L.231-1 du code de l’environnement punit de cinq ans d’emprisonnement le fait, en violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances dont l’action ou les réactions entrainent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune ou des modifications graves du régime normal d’alimentation en eau.


Les faits précédemment énoncés constituent un écocide lorsqu’ils sont commis de manière intentionnelle. Il convient de noter que les plus graves de ces atteintes sont sanctionnées par une peine susceptible de s’élever à dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende, voire une amende allant jusqu’à dix fois le bénéfice obtenu par l’auteur du dommage commis à l’environnement.


La spécialisation des juridictions : La loi du 24 décembre 2020 a créé des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement dans le ressort de chaque cour d’appel afin d’assurer l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des atteintes à l’environnement et infractions connexes (Dalloz Actualité, La spécialisation de la justice pénale environnementale : retour sur la loi du 24 décembre 2020, K. Haeri, V. Munoz-Pons, M. Touanssa, 13 janvier 2021). Cette spécialisation a vocation à s’adapter aux multiples services spécialisés en matière de polices administratives et judiciaires. Il s’agira également de « favoriser la présence à l’audience des représentants des administrations et des agents ayant constaté les infractions, lesquels peuvent rappeler au tribunal le contexte, les enjeux de la réglementation qui a été méconnue et les éléments caractérisant la prévention, mais aussi fournir des indications essentielles au prononcé des peines complémentaires adaptées et de mesures de restitution circonstanciées, voire même de solliciter de leur part une actualisation des informations relatives à l’évolution du dommage environnemental et aux perspectives de remise en état du milieu ».


De plus, il convient de noter que ces juridictions spécialisées détiennent une compétence concurrente sur toute l’étendue du ressort de la Cour d’appel, lorsque la complexité de l’affaire le justifiera, en raison de sa technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elle s’étend. Précisément, les juridictions locales seront chargées de traiter les contentieux de proximité ne présentant pas de gravité et de complexité. A contrario, ces nouveaux pôles régionaux auront la charge d’affaires présentant une certaine technicité et ampleur, à l’instar du dossier dit du Lubrizol (Lexbase, loi du 24 décembre 2020 : l’essor de nouveaux instruments en matière de justice environnementale, P. Dufourq, 25 février 2021).


L’extension de la CJIP aux atteintes à l’environnement : Jusqu’à la loi du 24 décembre 2020, le seul outil transactionnel qui existait afin de réprimer les atteintes à l’environnement était le référé environnemental consacré à l’article L.173-12 du code de l’environnement. Cet article prévoit que l’autorité administrative peut transiger sur la poursuite des contraventions et délits prévus et réprimés par le code de l’environnement, à l’exception des délits punis de plus de deux ans d’emprisonnement. Ce dispositif restait cependant cantonné aux infractions de faible gravité.


Fort du succès de la justice négociée en matière d’anticorruption, la loi du 24 décembre 2020, a étendu aux infractions environnementales, le dispositif de convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP »). L’article 41-1-3 du Code de procédure pénale prévoit que tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus par le Code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion des crimes et délits contre les personnes prévues au livre II du code pénale, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public imposant une ou plusieurs des obligations suivantes :

  • Verser une amende d’intérêt public au Trésor public ;

  • Régulariser sa situation dans le cadre d’un programme de conformité ;

  • Assurer la réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises ;

  • Réparer le préjudice de la victime lorsqu’elle est identifiée ;


Ce mécanisme de transaction permet d’assurer une réponse pénale plus rapide en réduisant la durée d’enquête et/ou d’instruction, de mieux encadrer les procédures de remise en état, grâce à la mise en œuvre de conformité destinée à garantir la réparation effective sans pour autant attendre l’issue du procès qui peut intervenir plusieurs années après les faits. Enfin, il permet de renforcer le caractère dissuasif des sanctions prononcées en matière environnementale. Pour la société, la conclusion d’une CJIPE n’impose pas la reconnaissance de culpabilité mais une reconnaissance des faits qui n’a pas la nature, ni les effets d’un jugement de condamnation et qui n’est pas inscrite au casier judiciaire.


Aujourd’hui trois conventions judiciaires d’intérêt public ont été conclues. Deux proviennent du tribunal judiciaire du Puy en Velay et concernent des faits de déversements de substances nuisibles dans des cours d’eau (Dalloz Actualité, Justice négociée : la nouvelle convention judiciaire d’intérêt public environnementale, P. Dufourq 22 mars 2022). La troisième CJIPE a été homologuée le 15 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Marseille et concernait le délit d’utilisation, par un navire au-delà de la mer territoriale de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées et constituant une pollution de l’air.


D’emblée il est intéressant de noter que ces CJIPE ont été conclues dans le cadre d’affaires de faible ampleur, et témoignent de l’intérêt que présente ce type d’instrument en termes de célérité de la répression et de facilité de mise en œuvre.


Plusieurs auteurs ont dénoncé les risques que présentait ce type de mécanisme en précisant qu’il conduisait à un risque d’impunité en raison de la faiblesse des amendes prononcées en matière environnementale (Dalloz Actualité, Les dérives néfastes du mécanisme de la Convention judiciaire d’intérêt public, 16 mai 2022). Une lecture différente pourrait être formulée. En effet, les récentes affaires ayant donné lieu à la conclusion de ces CJIPE concernent des dossiers dont l’incidence reste circonscrite géographiquement et dont le préjudice environnemental est limité, tant et si bien que de tels dossiers auraient très certainement été réglés au moyen d’une mesure alternative aux poursuites, comme le rappellent les chiffres renseignés dans l’étude d’impact susmentionnée. Au-delà, la médiatisation de ce type d’affaires à travers notamment la publication sur le site du ministère de la justice participe au caractère dissuasif de la CJIP. Il sera enfin rappelé que la conclusion d’une CJIPE n’est pas automatique et n’est permise qu’une fois pour la société concernée.



Photo : Eric Cabanis/AFP


2. Réflexions sur les perspectives d’évolution en droit pénal de l’environnement


Cette lutte contre les dommages environnementaux doit être protéiforme en impliquant les différents acteurs de la chaine et les différentes autorités compétentes. Plusieurs préconisations peuvent être formulées en vue de renforcer et moderniser ce traitement des infractions environnementales :


Simplifier le droit : Aujourd’hui les infractions en matière environnementale sont particulièrement nombreuses - environ 2.000 infractions sont recensées - et se situent dans de nombreux codes (étude d’impact portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, p.625), si bien que certaines infractions se superposent dans leurs éléments constitutifs. Comme le relève Jean Philippe Rivaud : « Ce droit est très compliqué et trouve sa source dans plus de quinze codes. Seulement 10 % des 2 000 infractions sont poursuivies. Autrement dit, 90 % des textes ne servent à rien. » (Actu environnement, interview de Jean Philippe Rivaud, Il faut toiletter le droit pénal de l’environnement, 4 juin 2021). Dès lors qu’il existe désormais des infractions générales réprimant les atteintes à l’environnement, il semble opportun de mettre en œuvre une opération de « toilettage » afin de mettre un terme aux infractions devenues obsolètes.


Développer l’accompagnement des entreprises et renforcer la spécialisation des juridictions : L’idée est d’impliquer en amont les entreprises afin qu’elles renforcent leur dispositif et politique de prévention existant à l’image de ce qui existe dans le domaine de l’anticorruption. Les entreprises sont les acteurs clés de ce changement. Un véritable travail de pédagogie et d’accompagnement doit être entrepris au moyen de formation mais également en proposant un accompagnement. Cet accompagnement pourrait, le cas échéant, être réalisé par la création d’agence spécialisée à l’image de ce qui a pu être fait avec l’Agence Française Anticorruption (« AFA »).


Favoriser la justice transactionnelle. Les récentes CJIPE conclues montrent l’attractivité de cet instrument. Si, à l’origine, elles étaient envisagées dans des dossiers d’une certaine ampleur, la pratique montre le caractère particulièrement malléable de cet outil qui permet de s’adapter aux différents types de dossier en Droit de l’environnement et notamment les dossiers avec des enjeux limités. Le développement de ce type d’instruments transactionnels doit être généralisé afin d’accélérer le renforcement de la lutte contre les atteintes à l’environnement.





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