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Que reste-t-il du secret de l'instruction ?

Rebecca Childs, élève avocate, interroge les fondements et les limites du secret de l'instruction au XXIème siècle.

 

Le secret de l’instruction est l’une des bases du pacte démocratique qui nous lie. L’article 11 du code de procédure pénale prévoit que, sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. Ce principe juridique fondamental apparu au début du XVIème siècle vise notamment à préserver la présomption d’innocence et permet de garantir que toute mise en cause ne se traduira pas par un jugement préalable de l’opinion publique.


Cela étant, les citoyens du XXIème siècle sont constamment en quête d’information. La presse, les chaines d’information en continu et les réseaux sociaux stimulent ce besoin ainsi que la volonté des citoyens d’une plus grande transparence de la justice. En effet, l’opinion publique accepte très difficilement qu’un quelconque secret lui soit opposée, et ce d’autant plus lorsque les faits relèvent de situations dites d’intérêt général.


Ce désir de transparence fait écho à la toute récente affaire Griveaux. L’homme à l’origine de l’affaire, Piotr Pavlenski, se justifie et fait valoir que le comportement de l’ancien candidat à la mairie de Paris aurait été hypocrite. Ainsi, un individu, parce qu’il est un personnage public, devrait dévoiler les ultimes détails de sa vie privée au risque d’être publiquement lynché. N’a-t-on donc plus le droit à un jardin secret ? Ce perpétuel désir de transparence, voire de transpercence comme le dit si justement Éric Dupond-Moretti est, d’une part, insupportable pour nos libertés et, d’autre part, difficilement conciliable avec le secret de l’instruction.


Les médias assouvissent ainsi cette soif de transparence et communiquent des informations sur les affaires judiciaires en tout genre, violant parfois délibérément le secret de l’instruction sans se soucier des lourdes conséquences.


D’abord, certaines publications viennent purement et simplement entraver le processus de manifestation de la vérité. C’est ainsi que M. Jean-Pierre Lecouffe, sous-directeur de la police judiciaire au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale, rappelait que « lors de l’affaire du meurtre d’Alexia Daval, les éléments de l’autopsie ayant fuité dans la presse auraient pu aboutir à ce que le mis en cause, qui jouait à perfection le rôle de victime, n’avoue jamais son acte, au détriment de la vérité judiciaire »[1].


La violation du secret de l’instruction peut également aboutir à une mise en danger physique ou psychologique des personnes qu’elles soient victimes, mises en cause ou témoins. Le rapport d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction de décembre 2019 donne pour exemple le passage à tabac d’une personne placée en détention provisoire lorsque ses codétenus ont appris, par voie de presse, qu’il était mis en cause dans une affaire de viol[2].


Plus grave encore, certains estiment que les informations qu’ils recueillent dans la presse leur permettent de s’autoproclamer juge. C’est désormais un tribunal médiatique qui dresse son propre jugement, souvent sans aucune connaissance juridique. Christophe Ruggia est condamné avant même qu’une enquête soit ouverte par le parquet de Paris, Roman Polanski est un violeur multirécidiviste et chacun « balance son porc » sur Twitter. Or, à l’emballement médiatique répond l’emballement judiciaire.


© Le Monde du droit

Rappelons-nous en 2005 de l’affaire d’Outreau avec le placement en détention provisoire de plusieurs innocents suite à la pression des médias qui s’étaient à l’époque engouffrés dans la stigmatisation sociale et régionale des différents protagonistes de l’affaire. Que dire encore de Christine Villemin, présentée par certains journaux comme une véritable sorcière infanticide et à qui l’opinion publique attribuait sans détour la culpabilité du meurtre de son fils Grégory, quatre ans. La mère de l’enfant avait été inculpée, le fiasco judiciaire prenant fin grâce à l'intervention de la chambre d’accusation qui jugea finalement qu’il n’existait absolument aucune charge contre elle justifiant son renvoi devant une cour d’assises.


Le tribunal médiatique condamne des innocents mais à l’inverse exige aussi la libération d’une personne pourtant reconnue coupable, exigeant ainsi de la justice qu’elle soit à sa merci. C’est ainsi que Jacqueline Sauvage a été graciée en 2016 par François Hollande suite à une forte mobilisation de l'opinion publique et des associations féministes. Si l’on comprend très bien l’émoi que l'affaire a pu susciter, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là, en soi, d’une atteinte totale aux décisions de justice. « L’opinion publique est une prostituée qui tire le juge par la manche » clamait Paul Lombard en 1967 lors du procès Ranucci. Force est de constater que la situation est toujours la même cinquante ans plus tard.


Ces violations sont nombreuses et pourtant les possibilités de poursuites des journalistes restent très limitées. Les journalistes peuvent faire l’objet de poursuites pour recel du secret de l’instruction uniquement lorsqu’il est manifeste que l’information qu’ils divulguent leur a été communiquée par une personne soumise au secret. C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé en 2015 que la publication dans la presse d’un portrait-robot était constitutif du délit de recel de la violation du secret de l’instruction.


Cependant, dans la plupart des cas la violation se traduit par la divulgation d’informations sans publication des pièces et il est difficile de démontrer avec certitude que l’information divulguée n’a pu provenir que d’une personne liée par le secret. En effet, les parties notamment ont accès au dossier et ne sont pas soumises au secret de l’instruction. Par ailleurs, la protection de la liberté d’expression et du secret des sources des journalistes restreint fortement les poursuites. Mais qu’en est-il de la poursuite de l’auteur premier de la violation du secret, celui qui renseigne si bien les journalistes que des procès-verbaux entiers se trouvent parfois reproduits in extenso dans la presse ? Difficile aussi d’engager des poursuites, le plus souvent en raison de manque de preuves.


Ainsi, les journalistes mettent à mal le secret de l’instruction afin de satisfaire l’opinion publique. Si dans certains cas la violation est évidemment parfaitement justifiée par le droit à l’information du public, elle reste néanmoins dans de nombreux cas peu légitime. Cette atteinte est d’autant plus inadmissible lorsque la priorité au direct est telle qu’elle ne permet pas de prendre le recul nécessaire à la diffusion de l’information. L’une des plus graves erreurs d’appréciation a été commise en janvier 2015 par un journaliste de BFMTV qui avait révélé la présence d’une femme cachée à l’arrière de l’Hyper Cacher alors que la prise d’otages était toujours en cours.


Fort heureusement, certaines violations du secret de l’instruction ont des effets positifs : ce fut parfois grâce au travail d’investigation des journalistes et à leurs révélations que des affaires judiciaires ont pu voir le jour. Reste que les violations du secret de l’instruction sont davantage connues pour leurs méfaits que pour leur contribution au procès pénal.


 

[1] Réponses écrites de la DGGN.

[2] Rapport d’information n°2540 du 18 décembre 2019 sur le secret de l’enquête et de l’instruction.

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