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Noémie Saidi-Cottier : « On a assisté à un glissement du centre de gravité du procès pénal »

Noémie Saidi-Cottier est une avocate engagée. Secrétaire générale de l'Alliance des Avocats pour les Droits de l'Homme (AADH), experte du comité pénal du Conseil européen des barreaux (CCBE), installée à son compte après huit ans de barre, elle intervient principalement en droit pénal. Elle assure la défense de la famille d'Adama Traoré, et d'Alexandra de Taddeo dans ce qu'il est devenu commun d'appeler l'affaire Griveaux. Elle a assuré la défense d'un gilet jaune poursuivi pour le saccage de l'Arc de Triomphe, de ce professeur d'Aubervilliers poursuivi pour avoir inventé une attaque terroriste ou encore de Marie Laguerre, agressée en pleine rue à Paris, en juillet 2018, qui avait permis d'éveiller les consciences sur la réalité du harcèlement de rue.

 

Vous avez co-signé, le 8 mars dernier, une tribune dans Le Monde dans laquelle vous et nombre de vos consoeurs vous élevez contre la présomption de culpabilité qui s'invite trop souvent, de votre point de vue, en matière de mœurs, comme dans l'affaire Polanski. Cette tribune a suscité le débat. La parole de la victime est-elle trop souvent sacralisée ? L'habille-t-on désormais d'une présomption de bonne foi ? Inversement, comprenez-vous que d'aucuns puissent considérer que le recueil de la parole de la victime par le système judiciaire, notamment en matière d'infractions sexuelles, soit défaillant ?


Cette tribune intervient à un moment où il nous est apparu éminemment nécessaire de rappeler certains des principes essentiels qui sont le socle de notre démocratie et nous protègent de l’arbitraire. Nous n’imaginions pas qu’elle susciterait autant de contre-tribunes et de réactions, parfois brutales, à notre endroit. Finalement, si cette tribune peut nourrir la réflexion, je m’en réjouis. D’autant que nous ne proposons rien. Nous rappelons simplement l’importance de la présomption d’innocence, du droit à un procès équitable et à un débat contradictoire, de l’égalité des armes, que le doute doit toujours profiter à l’accusé ou encore que toute personne est présumée innocente avant d’avoir été déclarée définitivement coupable par un tribunal indépendant. Ces règles fondamentales s’appliquent à tous, invariablement, puissants ou vulnérables, connus ou anonymes, quel que soit le crime en cause.

Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là, il ne s’agit pas d’une tribune qui aurait pour vocation de défendre Roman Polanski. Nous ne sommes pas ses avocates. Mais est-ce que ces règles fondamentales doivent aussi s’appliquer à ceux qui sont la « cible médiatique du moment » ? Assurément.


En tant que femmes, avocates, pénalistes, nous sommes au premier rang de ce qui est en train de se jouer et donc inquiètes d’un basculement vers une présomption de culpabilité, inquiètes du renversement de la charge de la preuve, inquiètes des déclarations publiques de culpabilité prononcées avant tout procès.

Il ne doit pas y avoir de sacralisation injustifiée de la parole de la victime. Cela ne signifie pas que nous pensons que cette parole n’est pas sincère ou qu’elle ne doit pas être entendue, au contraire. Mais nous disons qu’elle doit être encadrée. Une parole libérée n’est pas une parole prononcée à tort et à travers et une accusation n’est pas un jugement de condamnation. Que les choses soient bien claires, nous ne prônons pas l’impunité pour les violeurs, mais le respect des règles de droit. D’ailleurs, la plupart d’entre nous défendons aussi des victimes, avec nos cœurs et nos tripes.

Ce qui pose problème, c’est le fossé qui existe entre la justice et l’opinion publique, entre la sphère judiciaire et ce que l’on appelle désormais le « tribunal médiatique », qui n’a rien d’équitable et ne respecte ni les règles du débat contradictoire ni celles de la présomption d’innocence. Ce fossé est d’une violence inouïe. Les victimes de violences sexuelles ou conjugales sont présentées comme prioritaires dans le discours politique alors que dans la pratique, les mesures décidées, à des fins électoralistes, sont très souvent inefficaces.

Bien sûr que la parole doit se libérer pour que cesse le fléau des violences sexuelles. La honte doit changer de camp. Chacun doit prendre ses responsabilités. Pour autant, on ne peut pas se contenter de croire sur parole. C’est beaucoup trop risqué. La parole est passionnée alors que le raisonnement juridique doit être dépassionné, analytique, critique. Ce sont les garanties d’une bonne justice.

Pour vous répondre, je ne dirai pas que la parole des victimes est revêtue d’une présomption de bonne foi, à tout le moins dans la sphère judiciaire, qui requiert des éléments matériels, des preuves, des certitudes. C’est ce que j’explique à celles que je défends. Même quand elles sont sincères - et crédibles - il arrive qu’elles ne soient pas entendues. Aussi, j’adhère tout à fait aux critiques qui sont faites au système judiciaire quant au recueil de la parole des victimes d’infractions sexuelles : il est en ce domaine plus que défaillant. Entre les plaintes que l’on refuse d’enregistrer, les suspicions voire les leçons de morale que l’on impose aux plaignant(e)s dans les commissariats, les ITT de zéro jour prononcés par des médecins pour un viol, les femmes qu’on laisse repartir sans protection aucune… il y a encore du boulot.

Plus généralement, la victime a-t-elle sa place dans un procès pénal qui oppose la société à l'un de ses membres à qui l'on reproche d'avoir enfreint le pacte social ? Les intérêts privés (reconnaissance de la qualité de victime, indemnisation du préjudice) ne devraient-ils pas être défendus autrement, notamment devant le juge civil ?


Depuis longtemps, les débats sur la place de la victime dans le procès pénal sont enflammés !

Dans une acception traditionnelle, le procès pénal doit réprimer les atteintes portées au pacte social. L'action publique est donc exercée au nom de la société, en vue d’établir la culpabilité de la personne poursuivie et de la sanctionner suivant la loi, dans un délai raisonnable et en respectant les règles du procès équitable. L’action civile a, elle, vocation à assurer la réparation d'un préjudice subi : ce sont des intérêts privés. Or, la victime est admise à porter l’action civile devant les juridictions répressives. Elle peut même avoir l’initiative du procès - en déclenchant l’action publique - et se substituer, à ce titre, au ministère public. Sur le plan théorique, la victime intervient dans le procès pénal afin de voir réparer le dommage qu’elle a enduré du fait de l’infraction. Elle n’est a priori pas censée se préoccuper de la question de la culpabilité ni de celle de la peine. Mais, dans la réalité, l’on voit bien que le besoin de réparation de la victime ne se limite pas à la réparation financière, comme s’il y avait une vertu thérapeutique du procès pénal en lieu et place d’une simple indemnisation. On a assisté à un glissement du centre de gravité du procès pénal.

La justice pénale ne doit surtout pas être pensée comme une vengeance. « Faire son deuil » ne peut pas être la finalité du procès. Je crois qu’on a laissé, peut-être à tort, penser à une fonction cathartique du procès pénal. Qu’on trompe parfois les victimes en les laissant croire à une justice rédemptrice. Elle ne l’est pas.


La justice pénale n’est pas non plus là pour consoler, mais pour punir, amender, réinsérer. Et les victimes sont rarement satisfaites des sanctions prononcées. Il faut se méfier du pouvoir pathogène du statut de la victime, qui serait enfermée dans le crime enduré. Il s’agit aussi d’une question politique : l’avènement d’un populisme pénal, avec la récupération et l’instrumentalisation des victimes par les politiques, qui dénoncent un prétendu laxisme judiciaire à des fins démagogiques. Dans une logique sécuritaire, au moment de faire voter des lois liberticides sur la récidive ou les alternatives à l’écrou, les victimes sont partout, dans les médias comme dans les discours politiques. Alors que les principes ne devraient jamais reculer, par démagogie, face à ce populisme… empathique.

Ceci étant, je pense que la victime a sa place dans le procès pénal et qu’elle ne doit pas être traitée comme une intruse. La présence active des parties civiles dans le processus pénal a permis de grandes avancées pour la cause des victimes, notamment par le biais d’ONG et d’associations de défense de victimes particulièrement efficaces, qui ont permis la tenue de procès essentiels et de faire avancer le droit. Cette participation est très utile quand elle n’est pas dévoyée et qu’elle ne participe pas à l’hystérisation de la justice. En tout état de cause, puisque l’objectif premier est indemnitaire, il faudrait mettre en place un suivi du versement des dommages et intérêts dus aux victimes ou améliorer leur sort en continuant à promouvoir le principe de solidarité via les fonds d’indemnisation. Enfin, si l’on considère qu’un face-à-face auteur/victime doit avoir lieu, le développement de la justice restaurative pourrait également être une piste pertinente.


© Noémie Saidi-Cottier

Comment défendre à l'heure des réseaux sociaux lorsque l'opinion ou la presse juge sans appel qui fait l'objet d'une accusation ? Au-delà de l'enceinte judiciaire, la défense pénale a-t-elle investi le champ médiatique ? Quand jugez-vous nécessaire de prendre la parole dans les médias au nom de votre client et quels sont les risques et limites de la prise de parole de l'avocat ?


Le procès aujourd’hui ne se joue plus seulement au tribunal. C'est un fait. A la télévision, les affaires judiciaires occupent une place prépondérante. Le fait divers y est hystérisé. Et je ne parle pas des réseaux sociaux, qui sont souvent le réceptacle des propos les plus vils et de jugements à l’emporte-pièce. Il faut jongler entre fake news, éléments sortis de leur contexte, rumeurs, vindicte populaire… Souvent, il est préférable de pas répondre à chaud, de laisser passer la déferlante, puis de s’en remettre à la justice.


Malheureusement, la réhabilitation judiciaire d’une personne livrée en pâture sur les réseaux sociaux fait généralement beaucoup moins de bruit que le déferlement de haine qui l’a précédée. Le tribunal médiatique ne respecte pas les règles du procès équitable : il n’y a ni présomption d’innocence ni preuve, et pas de place pour le contradictoire ! En cas d’atteinte à la présomption d’innocence, en cas de diffamation, d’insulte, en cas de violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, il faut porter plainte. Ce sentiment d’impunité sur « la toile » doit cesser.

Donc oui, forcément, la défense pénale a investi le champ médiatique au-delà de l’enceinte judiciaire, et cette défense « hors les murs » fait désormais partie intégrante du travail de l’avocat. Nous prenons la parole chaque fois que c’est dans l’intérêt de la défense de notre client.

Pour autant, cette défense n’est pas débridée. Nos propos doivent respecter les principes de modération, de réserve, de retenue, de dignité et de délicatesse. D’autant que la prise de parole publique n’est pas la même selon que nous sommes à l’audience ou en dehors, puisque si la parole est totalement libre lorsque nous plaidons, nous pouvons être poursuivis pénalement pour ce que nous disons en dehors de la sphère judiciaire. Les risques sont ceux de toute prise de parole publique, même si celle-ci intervient dans le cadre de notre exercice professionnel : diffamation, insulte, atteinte à la présomption d’innocence. Quant aux limites qui encadrent nos prises de parole, ce sont bien évidemment le secret professionnel, le secret de l’instruction et plus généralement le cadre de la loi, de notre déontologie et du serment que nous avons prêté. Il faut lire la jurisprudence, par exemple celle concernant les propos de Francis Spizner à la sortie du procès du Gang des Barbares, ou ce qu'a déclaré Olivier Morice dans l’affaire Borel. Nous devons préparer des éléments de langage à l’avance pour faire passer un message et un seul : celui qu’on a décidé de faire passer. Sinon, on ne dit rien !

Il peut aussi y avoir une gestion de l’après-procès, comme l’illustre parfaitement le cas Jacqueline Sauvage : on a la construction d’une « posture de victime » en contradiction avec les deux décisions judiciaires pourtant rendues par un jury populaire. Cette image publique, travaillée, cette gestion judiciaire de l'après-procès, a été éminemment importante… et efficace, quoi qu’on en pense.

La présomption d'innocence est-elle plus en danger aujourd'hui qu'avant ? Comment la protéger ? N'est-ce pas une question d'éducation, de sensibilisation civique aux principes du droit pénal ?


La présomption d’innocence est clairement en danger. Je ne sais pas si elle l’est plus qu’avant. Mais je sais que c’est un défi pour l’avenir.

Elle est considérablement malmenée par les réseaux sociaux. « Balancer son porc » avant qu’il ait été condamné définitivement par un tribunal indépendant est en soi contraire à ce principe. Quel que soit le cadre de la parole libérée, elle ne devrait pas s’affranchir des règles de la présomption d’innocence.

En réalité, la présomption d’innocence devrait être une limite à la liberté d’expression. Mais elle ne l’est plus. Une simple accusation sur Internet entraine quasi automatiquement un procès médiatique, sauf que - je le répète - le tribunal médiatique n’offre aucune garantie procédurale : on y est jugé sans contradictoire et condamné sans preuve. Alors qu’une condamnation doit être motivée en droit et en fait. D’ailleurs, l’influence des réseaux sociaux perturbe jusqu’à l’audience elle-même puisque l’opinion publique met insidieusement une pression sur les juges dans le cadre de leur délibéré, alors qu’elle devrait rester hors des prétoires pour garantir la sérénité des débats. Et je ne parle pas de l’ingérence de certains politiques, qui se permettent de faire des commentaires sur des affaires en cours ou même d’évoquer la culpabilité d’individus avant la tenue de leur procès.

On peut lutter contre les violences faites aux femmes sans pour autant s’asseoir sur la présomption d’innocence, non ? En tant qu’avocate, je ne peux pas me résoudre au lynchage généralisé : il n’y a rien de progressiste à tordre l’État de droit ! Sans présomption d’innocence, c’est l’arbitraire le plus total. Si on commence à condamner sans preuve, tout le monde devrait s’inquiéter. Les dénonciations calomnieuses abîment. Les erreurs judiciaires, quant à elles, sont intolérables. On ne peut pas risquer de condamner un seul innocent au nom de la lutte contre les violences faites aux femmes. Je suis une femme. Je défends des femmes, abîmées, traumatisées. Elles sont éminemment importantes et je me bats à leur côté. Et cela n’empêche pas d’être viscéralement attaché à la présomption d’innocence. Elle est d'ores et déjà protégée par de très nombreux textes. Il faut revenir aux fondamentaux, s’accrocher aux principes, plus que jamais.

Que pensez-vous de la loi du 27 février 2017 qui a modifié les règles de la prescription des infractions sexuelles ? Faut-il, comme le réclament certaines associations féministes, rendre ces crimes et délits imprescriptibles ? Quel rapport le droit pénal entretient-il avec le temps et la mémoire ?

Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Ce sont les seuls à l’être, en raison de leur nature et parce que ce sont les crimes les plus graves, commis en exécution d’une politique étatique et visant un groupe déterminé à partir d’un critère arbitraire (par exemple, la Shoah).

Comme rappelé tout à l’heure, l’objectif du procès pénal est de sanctionner une personne qui n’a pas respecté l’ordre social, pas de « rendre justice » à une victime en particulier. La prescription est l’une des causes d’extinction de l’action publique, par le simple effet de l’écoulement du temps. Elle doit être constatée d’office par le juge.

La loi du 27 février 2017, d’application immédiate, a profondément modifié les règles de la prescription de l’action publique en doublant les délais de prescription de droit commun en matière criminelle et délictuelle. Elle n’a pas pour autant réformé les règles de prescription spécifiques dont bénéficiaient les crimes sexuels commis sur mineurs. En conséquence, le délai de prescription de ces crimes sur mineurs devenait identique à celui des crimes de droit commun, c’est-à-dire 20 ans. C’est la loi du 3 août 2018, en réalité, qui a instauré un délai de prescription de trente années révolues à compter de la majorité pour ces crimes. Les crimes sexuels sur mineurs connaissent donc déjà un régime de prescription dérogatoire, principalement pour tenir compte des mécanismes de la mémoire traumatique. C’était une mesure attendue des associations de défense de victimes bien que je ne sois pas convaincue de son utilité en pratique.

Quoi qu’il en soit, je ne fais pas partie de celles et ceux qui estiment que les crimes sexuels devraient être imprescriptibles. Plus les poursuites sont éloignées des faits, plus l’issue d’une procédure pénale est incertaine, outre que ces poursuites contreviendraient à la paix sociale et au droit à l’oubli. L’imprescriptibilité de ces crimes conduirait à une grande insécurité juridique, à des procès extraordinairement tardifs, sans éléments matériels, sans traces, sans preuves et sans témoins et déboucherait sur des déceptions ou, pire, sur des erreurs judiciaires. Tenir un procès cinquante ans après les faits ferait courir un risque extrêmement important de non-lieu ou d’acquittement. Les preuves disparaissent ou sont altérées. La mémoire quant à elle n’est pas infaillible et les souvenirs qui resurgissent peuvent être inexacts. Cela pose aussi la question de la peine, e son objectif et de son utilité. Quel serait le sens d’une condamnation, plusieurs décennies ans après les faits, d’une personne âgée, insérée, qui n’aurait pas ré-enfreint le pacte social depuis les faits ?

La prise en compte de la victime doit elle aussi, me semble-t-il, tendre vers une adhésion au principe de la prescription puisqu’en cas de non-lieu ou d’acquittement prononcé en vertu d’un doute persistant, la victime pourrait vivre cette décision comme une remise en cause de sa parole, alors même qu’elle aura ressuscité son traumatisme le temps de l’audience. Il s’agirait là, des années après les faits, d’une nouvelle, ultime même, souffrance. Le procès n’est pas une thérapie, certes. Mais même à considérer qu’il est vraiment nécessaire que la victime soit reconnue comme telle par la justice pour se reconstruire, il me semble possible de décorréler cette reconnaissance des poursuites de l’auteur. De la même manière qu’il peut y avoir un auteur sans victime, le statut de victime ne devrait pas dépendre d’une condamnation de l’auteur.

Quelle relation entretenez-vous avec les magistrats ?


J’espère que ce n’est pas une question piège ! Pour vous répondre, de manière générale, j’essaie d’entretenir de bonnes relations avec les magistrats. Même si nos fonctions sont antagonistes, nous avons, magistrats et avocats, un objectif commun : le bon fonctionnement de la justice.

Naturellement, à la grande loterie judiciaire, il existe de bons et de mauvais magistrats, à l’instar de ce que l’on trouve chez les avocats. Ce n’est pas à la sévérité ou à l'indulgence dont il fait preuve avec ceux que l’on défend que l’on juge un juge ! Car qu’attendre en réalité d’un magistrat ? Qu’il applique la loi, qu’il rende des décisions justes, qu’il ne soit pas irrité par la présence de l’avocat, qu’il respecte tous les justiciables sans exception. Qu’il soit humain. Et pédagogue je crois. Si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à lire La part du juge de Pascale Robert-Diard, un tout petit livre dans lequel elle rend hommage à Paul Magnaud, le « bon juge Magnaud ». Il est un exemple de ce que le monde judiciaire peut offrir de magistrats intègres, intelligents, bienveillants, ouverts, attentifs et compétents. Il illustre aussi la manière dont un juge peut transcender sa fonction, participer à « l’œuvre de justice » avec altruisme et humanité.

Malheureusement, la période est propice aux crispations entre le barreau et les magistrats. Elles se sont exacerbées. On peut parler d’une véritable fracture. Le manque de moyens de la justice impacte les relations entre ses différents acteurs. L’audience est indéniablement un lieu de tensions entre avocats et magistrats. L’oralité des débats est mise à mal. On y ressent parfois une défiance à notre endroit au moment de prendre la parole. Cela ne serait pas dramatique si cela ne nuisait pas directement à nos clients, qui souffrent de ce malaise. Et quelle image aussi pour la justice ?

Le déménagement au nouveau Tribunal de Paris a contribué à creuser davantage cette fracture. Les avocats se sont sentis exclus de ce lieu de justice flambant neuf, qui nous a offert des portes closes dans les galeries d’instruction, des accès limités avec des badges discriminants, des caméras de vidéosurveillance dans les salles de consultation à l’usage des avocats, la généralisation des cages en verre dans les salles d’audiences. Au même moment intervenait le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, qui a généré beaucoup de frustration chez les avocats. Mais ce n’est pas tout ce qui explique cette rupture de confiance : nous avons de plus en plus le sentiment que nous sommes considérés comme les complices de nos clients, que l’on nous reproche tout simplement d’exercer notre métier. Nous sommes écoutés, suspectés, perquisitionnés. Ces dérives laissent des traces. L’inquiétude est palpable. Nous voulons continuer à défendre !

Pour finir, comment ne pas mentionner l’affaire de notre délégué aux contestations des perquisitions chez l'avocat, Vincent Nioré, qui doit comparaitre devant le Conseil de discipline de notre Ordre, à la demande de la procureure générale de Paris, pour des propos prétendument outrageants à l'égard de magistrats. C’est l’un des points de cristallisation de ce désamour, d’autant que cette affaire touche à l'exercice de la défense de l'avocat lui-même et à la liberté de parole de l’avocat à l’audience. Nous serons attentifs. Quant à Vincent Nioré, il a tout mon soutien.

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