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LES PRINCIPAUX APPORTS DU GUIDE PRATIQUE SUR LA PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS DANS L'ENTREPRISE
Inès Vally est juriste conformité et éthique des affaires.
Dans cet article, elle synthétise les apports du guide pratique publié par l'AFA, en novembre 2021, sur la prévention des conflits d'intérêts.
L’Agence française anticorruption (« AFA ») a publié le 18 novembre dernier, après avoir soumis un projet à consultation publique, un guide pratique sur la prévention des conflits d’intérêts en entreprise (publique, privée ou EPIC) sous l’angle du risque de corruption (« Guide Pratique »).
Même si la prévention des conflits d’intérêts ne constitue pas l’une des mesures définies au II de l’article 17 de la loi Sapin II, l’AFA rappelle la nécessité de maîtriser les liens d’intérêts, inhérents à la vie de toute entreprise, qui peuvent toutefois entrer en conflit et favoriser la commission d’infractions[1].
Le Guide pratique est décliné en 3 volets – un volet sur l’appréhension de la notion de conflit d’intérêts, un deuxième sur l’identification des situations de conflit d’intérêts et un troisième sur la prévention et la gestion des conflits d’intérêts. Ce Guide pratique, à l’instar des Recommandations[2] et des autres guides publiés[3] par l’AFA, ne revêt aucun caractère contraignant et ne crée pas d’obligation juridique.
1. Appréhension du conflit d’intérêts
Alors qu’au sein du secteur public le conflit d’intérêts est défini par la loi sur la transparence de la vie publique comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraitre influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction[4] », aucune définition légale de la notion de conflit d’intérêts au sein du secteur privé n’existe.
Le Guide pratique propose pour sa part une définition large de la notion : un conflit d’intérêts est avéré lorsqu’un collaborateur, un dirigeant ou un administrateur, se trouve dans une situation dans laquelle son intérêt personnel interfère avec celui de l’entreprise qui l’emploie ou pour laquelle il exerce un mandat. Cette interférence doit être suffisamment significative pour influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de la fonction pour le compte de cette entreprise.Il est précisé que le lien d’intérêt peut être direct ou indirect (est concerné un proche de l’individu), présent, passé ou futur.
Exemples identifiés par l’AFA :
- Constitue un conflit d’intérêts le fait, pour un individu chargé de pourvoir un poste de travail au sein d’une entreprise, d’avoir un lien personnel avec un candidat à ce poste.
- Constitue un conflit d’intérêts le fait, pour un administrateur, un dirigeant ou un collaborateur de l’entreprise, d’intervenir ou d’agir pour qu’il fasse l’acquisition de biens ou services fournis par une entité tierce au sein de laquelle l’un de ses proches exerce des responsabilités susceptibles d’influencer le déroulement du contrat en cause.

2. Identification du conflit d’intérêts
2.1 Cartographie des risques liés aux conflits d’intérêts
Le Guide pratique rappelle que la cartographie des risques de corruption est « la pierre angulaire du dispositif anticorruption » et que l’identification des risques liés à l’existence de conflits d’intérêts peut être effectuée à cette occasion ou s’intégrer dans une cartographie plus large comme une cartographie des risques opérationnels.
L’AFA reconnaît toutefois la difficulté liée à cet exercice et invite, « dans une démarche proportionnée », à se concentrer sur les personnes qui, dans le cadre de leurs fonctions, ont la capacité de prendre des décisions créant pour l’entreprise des obligations à l’égard de tiers, ou des personnes susceptibles d’avoir une influence notable sur ces décisions, et dont les conflits d’intérêts potentiels pourraient porter atteinte aux intérêts de l’entreprise en raison de leur nature et de leur importance.
2.2 Politique formalisée
Le Guide pratique suggère de mettre en place une procédure de conflit d’intérêts formalisée et efficace à laquelle le code de conduite de l’entreprise peut faire référence.
Parce que l’octroi ou l’acceptation d’un cadeau, d’une invitation ou d’un avantage peut constituer un conflit d’intérêts, le Guide pratique invite à définir et mettre en œuvre une politique cadeaux et invitations et tenir un registre des déclarations.
De manière générale, le Guide pratique invite les entités à s’assurer que les processus sensibles de l’entreprise prennent en compte les conflits d’intérêts (exemples : processus achat/vente, opérations de croissance externe, affaires publiques et règlementaires, gestion des ressources humaines).
Modes de prévention identifiés par l’AFA :
- Déclaration, à l’occasion du recrutement, d’une nomination ou d’un changement de poste, des éventuels conflits d’intérêts, consignée dans un registre des conflits d’intérêts, sous réserve du respect du RGPD ;
- Mise à disposition d’un formulaire de déclaration spontanée ou outil d’auto-détection des conflits d’intérêts potentiels ;
- Communication annuelle ou campagne annuelle de déclarations volontaires ;
- Insertion, dans le contrat de travail, d’une clause d’incompatibilité des conflits d’intérêts avec la fonction exercée et portant sur des liens interdits spécifiquement décrits;
- Procédures de rotation des collaborateurs pour les fonctions sensibles ;
- Procédures spécifiques afin d’assurer la séparation physique et organisationnelle de la prise de décision (principe de séparation des tâches, visa renforcé etc.).
3. Prévention et gestion du conflit d’intérêts
3.1 Mesures de détection
Au-delà de la mise en place d’une politique formalisée de prévention et de gestion des conflits d’intérêts, le Guide pratique suggère :
- D’instaurer un climat de confiance au sein de l’entreprise, permettant de favoriser les déclarations spontanées, l’engagement de l’instance dirigeante étant ici essentiel ;
- De mettre en place un dispositif de formation pour sensibiliser les collaborateurs et les dirigeants à l’identification, la prévention et la gestion des conflits d’intérêts; et
- De compléter la procédure d’évaluation des tiers par des dispositifs ciblant la détection des conflits d’intérêts.
3.2 Mesures de remédiations adaptées
Après l’analyse des situations de conflits d’intérêts potentielles ou avérées détectées, il peut être décidé de :
- Renforcer les modalités de visa contrôle hiérarchique (autorisation, délégation) ;
- Demander au collaborateur de se déporter d’une procédure ; se retirer d’une
commission de sélection d’un candidat ou d’un prestataire ou vendre ses parts ou actions ou en confier la gestion à un tiers ;
- Confier le dossier à un tiers ;
- Renforcer la collégialité afin de s’assurer que la décision repose sur des critères objectifs.
En tout état de cause, l’AFA recommande de documenter l’analyse et le cas échéant les diligences effectuées.
3.3 Sanctionner les manquements
Le Guide pratique indique que des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées en l’absence de prise en compte des situations de conflits d’intérêts, étant précisé que la sanction disciplinaire doit être justifiée par un comportement fautif du salarié pour manquement au devoir de loyauté dans l’exécution du contrat de travail[5].
Exemples repris par le Guide pratique :
- Constitue un manquement au devoir de loyauté la dissimulation d’une activité professionnelle extérieure prohibée par la charte déontologique qui rend impossible la prévention du conflit d’intérêts et rend impossible le maintien du collaborateur au sein de l’entreprise[6].
- Ne constitue pas un manquement au devoir de loyauté, le fait pour un collaborateur de refuser de déclarer les intérêts détenus.
[1] Par exemple, l’article 445-2 du Code pénal sanctionne de cinq ans d’emprisonnement et 500 000€ d’amende pouvant être portés au double du produit tiré de l’infraction, le délit de corruption privée sous sa forme passive. Il vise le fait pour une personne chargée de défendre un intérêt privé, de proposer ou d’accepter d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction en échange d’un avantage personnel quelconque. La personne fait ainsi prévaloir son intérêt personnel au détriment de l’intérêt privé qu’elle a la charge de défendre.
[2] AFA, Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme (décembre 2020).
[3] AFA, Charte de l’appui aux acteurs économiques (septembre 2018) ; AFA, Guide sur la fonction conformité anticorruption dans l'entreprise (janvier 2019) ; AFA, Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles (avril 2019) ; AFA, Guide sur la peine de programme de mise en conformité (avril 2019) ; AFA, Guide sur les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions (janvier 2020) ; AFA, Guide sur la politique Cadeaux et invitations dans les entreprises, les EPICS, les associations et les fondations (septembre 2020) et ; AFA, Guide pratique anticorruption à destination des PME et des petites ETI (décembre 2020).
[4] Article 2, loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
[5] Cass. soc. 10 février 2021, n°19-14.315.
[6] CA, Paris, 22 mai 2021, n°12-05.073.