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Le crépuscule des droits de la défense en garde à vue

Mikaël Benillouche est maître de conférences et directeur des études de SupBarreau. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles en droit pénal et procédure pénale.

 

Que de fois lors de cours, de conférences j’ai prononcé cette phrase avec un sourire en coin : l’avènement des droits de la défense lors de la garde à vue est inéluctable ! Il est inéluctable parce que, depuis maintenant une décennie (et oui tout de même), le Conseil constitutionnel a imposé la présence effective de l’avocat tout au long de la garde à vue[1], suivi en cela par la Cour européenne des droits de l’homme[2], puis la Chambre criminelle[3].


Il est inéluctable parce que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation l’a affirmé avec force l’année suivante[4] :


« Mais attendu que les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation ».

Ainsi, la France se réappropriait la Convention européenne des droits de l’homme, « instrument vivant »[5] qui « doit s'interpréter à la lumière des conditions d'aujourd'hui »[6] et pouvait progressivement faire évoluer sa jurisprudence afin de consacrer un rôle plus important à l’avocat à la garde à vue[6 bis].


Il est inéluctable parce que régulièrement la revendication – bien légitime – de l'accès de l'avocat au dossier de la procédure au stade de la garde à vue vient frapper à la porte de la Cour de cassation, sans succès jusqu’ici, mais tout de même… Ainsi, il a été jugé à plusieurs reprises que la limitation des pièces auxquelles a accès l'avocat était conforme aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme[7].


Il était inéluctable, mais c’était dans le monde d’avant où j’enseignais dans de véritables amphithéâtres, où on ne risquait pas de tomber malade en exerçant son activité professionnelle et où les gardes des Sceaux n'étaient pas aussi réfractaires que l'actuelle à un développement des droits de la défense.


Adoptons un plan simple pour rassurer le lecteur de ces lignes et essayer de lui démontrer qu’avant finalement c’était bien mieux…


Avant, c’était mieux


En droit français, l’apparition de l’avocat en garde à vue date de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 qui s’est, pour l'occasion, largement inspirée des travaux de la Commission Justice pénale et droits de l’homme. Une étude de droit comparé menée en France a établi que la plupart des pays européens admettaient déjà la présence de l’avocat lors de la garde à vue. Ce sont les résultats de ce travail qui ont conduit la Commission Justice pénale et droits de l’homme à regretter que cette possibilité ne fût pas encore reconnue en droit positif[8]. L’absence de l’avocat lors de cette mesure a été l’objet de nombreuses et vives critiques tant des praticiens[9] que de la doctrine qui ont dénoncé « une intolérable atteinte aux droits de la personne, une espèce de résurgence moyenâgeuse, qui fait livrer un individu, sans défense, aux griffes d’une police féroce, voire brutale »[10]. La présence de l’avocat est en effet indispensable au renforcement de l’information juridique de la personne placée en garde à vue sur ses droits[11].


La Commission a donc proposé d’admettre cette présence. Le régime souhaité reconnaissait à la personne désirant avoir un entretien avec un avocat et de n’autoriser au préalable qu’un interrogatoire d’identité. a durée de l’entretien ne pouvait excéder une heure en cas de présence physique de l’avocat et trente minutes en cas d’entretien téléphonique. La confidentialité de l’entretien était de règle. Un nouvel entretien était possible en cas de prolongation de la mesure. Enfin, ces dispositions étaient prescrites à peine de nullité.

L’apparition de l’avocat lors de la garde à vue constitue l’innovation principale de la réforme du 4 janvier 1993, mais également la plus crainte des praticiens[12]. L’article 63-4 du code de procédure pénale prévoyait, dans sa rédaction originelle, la possibilité de s’entretenir avec un avocat dès la première heure dans les affaires de droit commun[13]. Il existe des dispositions spécifiques pour les autres infractions, mais c’est un autre débat…


Un retour aux anciennes dispositions paraissait alors difficile voire impossible. Il se serait directement heurté à la décision du Conseil constitutionnel du 11 août 1993[14] interprétée comme ayant conféré à l’intervention de l’avocat lors de la garde à vue la valeur d’un principe à valeur constitutionnelle[15]. Au terme de cette réforme, l’« isolement juridique » ne durait dans les affaires de droit commun que vingt heures[16]. L’intervention de l’avocat ne présentait alors qu’un intérêt limité puisque l’explication juridique de ses droits au suspect n’intervient qu’aux termes des premiers interrogatoires[17]. En effet, l’intervention de l’avocat est destinée soit à s’assurer du respect des droits de l’homme auquel cas elle se réalise trop tard, soit de préparer la défense proprement dite auquel cas elle s’effectue trop tôt. Le seul délai se justifiant apparaît alors comme le moment auquel est décidée la prolongation de la mesure, soit vingt-quatre heures[18].


L’article 11 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 modifiant l’article 63-4 du code de procédure pénale a prévu la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue ainsi qu’à la vingtième heure. En outre, si la mesure était prolongée, un nouvel entretien pouvait avoir lieu après trente-six heures. Après avoir atteint chacun de ces délais, la personne détenue pouvait demander à avoir un entretien à tout moment[19]. Cependant, une seule notification des droits était prévue au début de la mesure.


Cette disposition constituait selon l’exposé des motifs du projet de loi sur la présomption d’innocence et l’indemnisation des victimes, « l'aboutissement de l'évolution entamée avec la loi du 4 janvier 1993 ». Cette réforme a permis de mettre le droit français au diapason des autres législations européennes. Toutefois, dans un souci d'efficacité de la procédure pénale, il a été décidé de maintenir les délais dérogatoires pour les infractions d’une complexité et d’une gravité particulières. Adoptée sous la pression des avocats et de la jurisprudence, on l'a dit, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 a entériné les choses. Bref, longtemps, l’avocat ne servait pas à grand-chose, mais au moins il était là. Près d’une décennie s’est écoulée, et cette évolution positive des droits de la défense a été stoppée net.


© Michel Audiard, Garde à vue

Aujourd’hui, ça fait peur


Bien sûr qu’il fallait adapter notre procédure pénale à la pandémie et au confinement, mais on a tout de même parfois l’impression que de régression en renoncement c’est toute notre procédure qui vacille et ressemble à s’y méprendre à un « édifice menaçant ruine »[20]… On l'a dit, depuis 2011, outre l’entretien confidentiel prévu au début de la mesure, la personne gardée à vue peut demander que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations. Dans ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d'identité, ne peut débuter sans la présence de l'avocat choisi ou commis d'office avant l'expiration d'un délai de deux heures[21]. Dans cette hypothèse, l’avocat n’a accès qu’au certificat médical attestant de la possibilité pour le suspect d’être placé en garde à vue et le procès-verbal de l’interrogatoire d’identité. A défaut d’arriver dans ce délai de carence de deux heures, l’avocat a également accès aux procès-verbaux d’interrogatoires de confrontations déjà effectués.


Et puis, la pandémie est intervenue et il a fallu adapter notre procédure pénale, ce qui a été chose faite par l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.


Son article 13 dispose :


« Par dérogation aux dispositions des articles 63-4 et 63-4-2 du code de procédure pénale, l'entretien avec un avocat de la personne gardée à vue ou placée en rétention douanière, ainsi que l'assistance de la personne par un avocat au cours de ses auditions, peut se dérouler par l'intermédiaire d'un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges. »

Certes ce n’est qu’une faculté comme en atteste le verbe « pouvoir » et non « devoir » et il s’agirait pour beaucoup d’un moindre mal. Toutefois, a-t-on conscience qu’une telle assistance à distance est bien moins effective qu’une assistance en chair et en os, c'est-à-dire une présence physique sur place ? J’en veux pour preuve cet interminable confinement lors duquel nous essayons tous, bon an mal an, de conserver une vie sociale ou familiale par le biais de ces moyens de communication virtuels. C’est bien certes, mais cela ne peut pas remplacer une présence physique. En garde à vue, l’avocat incarne aussi la défense. Il voit et ressent un certain nombre de choses. Sa présence rassure le suspect, rompt son isolement juridique, mais aussi physique.


Plus encore, ce qui interroge c’est la durée de ces mesures à savoir selon l’article 2 de l’ordonnance jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Cet article prévoit que l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, à savoir immédiatement[22]. Pourquoi faut-il s’infliger ce délai supplémentaire avant un retour à la norme et ainsi priver les justiciables de l’assistance de leur défenseur, laquelle a valeur conventionnelle et constitutionnelle ? Espérons que les dispositions transitoires ne soient pas pérennisées, comme l’ont été certaines dispositions liées à l’état d’urgence, mais c’est là encore un autre débat.

Bon alors et demain ? Il faudra rapidement revenir sur ces dispositions et reprendre la marche en avant avec les droits de la défense, le droit au juge, le contradictoire….

 

[1] Cons. const., 30 juillet 2010, n° 2010-14/22 QPC. [2] CEDH, Brusco c. France, 14 octobre 2010. [3] Crim., 19 octobre 2010, Bull., n° 165. [4] Ass. Plén., 15 avril 2011, Bull., n° 1 et n° 4. [5] CEDH, 25 avr. 1978, Tyrer c/ Royaume-Uni, série A n° 26. [6] CEDH, 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, § 58.


[6 bis] Il convient de relever que le législateur aurait également pu développer les droits de la défense. Il aurait pu… [7] Voir notamment Crim., 19 septembre 2012, n° 11-88111 ; 14 avril 2015, n° 14-88.515 [8] Commission justice pénale et droits de l’homme, La mise en état des affaires pénales, Paris, La documentation française, 1991, pp. 120-121. [9] Le barreau français face aux problèmes actuels de la justice pénale, Textes des travaux du 41ème congrès de l’Association nationale des avocats de France, Toulouse, 23-24 mai 1969, Dalloz, 1969, 418 p. [10] SARRAZIN (J.), cité in ZIWIE (F.), Droit du détenu et droit de la défense, Paris, F. Maspero, 1979, 447 p. [11] Commission justice pénale et droits de l’homme, La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 208 et pp. 209-210. [12] HUET (J.-M.), « La garde à vue », in ROUJOU DE BOUBEE (G.), dir., La procédure pénale bilan des réformes depuis 1993, op. cit., p. 25. [13] Notons qu’à titre transitoire, il était prévu un délai de 20 heures avant de permettre cet entretien. Cette disposition a ensuite été pérennisée. [14] Cons. const., DC n° 93-326, 11 août 1993, Garde à vue, JO 15 août, p. 11599. [15] RENOUX (T.), « Commentaire de la décision du Conseil du 11 août 1993 », RFD const., 1993, p. 854. [16] BLONDEL (H.-L.), « Le secret de l’instruction », in ROUJOU DE BOUBEE (G.), dir., La procédure pénale bilan des réformes depuis 1993, op. cit., p. 87. [17] HODGSON (J.) et RICH (G.), art. précité, Rev. sc. crim., 1995, p. 329. [18] RASSAT (M.-L.), Propositions de réforme du code de procédure pénale, Collection Dalloz-Service, Dalloz, 1997, p. 134. [19] Point 1.2.2.4. de la circulaire du 4 décembre 2000. [20] Selon un sous-titre emprunté à un article très optimiste également (« Le code de procédure pénale : chronique d’une mort annoncée », RRJ, 2009-4, pp. 1909-1933). [21] Article 63-4-2 CPP. [22] Article 22 de la loi.

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