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La justice prédictive et l'IA dans le procès pénal : risques et opportunités

Camille Guillard est étudiante au Master 2 Criminologie à Strasbourg et prépare l'examen d'entrée au CRFPA.

 

Assimilé par Jean Giraudoux à « la plus puissante des écoles de l’imagination »[1], le droit stimule sans cesse l’inspiration du juriste qui doit, désormais, composer avec une pensée informatisée, portée par la « justice prédictive ». Qu’il s’agisse de la naissance des « robots-avocats » aux États-Unis[2] ou des « robots-juges » en Chine[3], la question de l’immixtion de l’intelligence artificielle (IA) dans le procès pénal en France suscite autant l’admiration que l’effroi chez les professionnels du droit et les justiciables.


Conceptualisé par le test d’Alan Turing en 1950 décrit dans son article Computing Machinery and Intelligence, l’IA qui vise l’ensemble des théories scientifiques et techniques dont le but est de reproduire, par une machine, les capacités cognitives de l’être humain, n’est pas exempt de critiques.4 En effet, les experts regrettent que cette terminologie ne distingue pas les « IA fortes », douées d’une capacité de conceptualisation autosuffisante, des « IA faibles »[5], simplement conçues pour améliorer la performance de systèmes existants, en vertu des techniques de l’apprentissage machine (machine learning)[6].


Au service de la justice, l’IA est utilisée pour analyser de grandes masses de décisions de justice (big data judiciaire) en vue d’apporter une aide à la prise de décision des professionnels du droit, par le jeu des statistiques et des probabilités. Les fonctions de l’IA sont variables en fonction des applications, principalement offertes par les « start-up juridiques » (legaltechs)[7]. Pour donner quelques exemples, l’IA peut servir un moteur de recherche de jurisprudence avancé, sur le modèle du logiciel Doctrine.fr, un logiciel d’aide à la rédaction d’actes comme les contrats, un logiciel de renseignement du justiciable avec les « chatbots », un logiciel d’analyse dite prédictive avec fixation de barèmes en matière civile et commerciale, comme Predictice ou Case Law Analytics en France, etc.


Le traitement algorithmique des données par l’IA explique l’expression de « justice prédictive »[8]. Apparue dans le jargon des legaltechs, c’est la prétention de la capacité de « prédire » des résultats futurs par une analyse inductive qui justifie son nom. Or, ce choix sémantique est fallacieux car la promesse de prédictivité ne repose sur aucune certitude puisque le prévisible n’est pas pour autant prédictible. C’est pourquoi l’expression de « justice analytique »[9] est préférée, avec raison, en se fondant non plus sur les moyens employés mais plutôt sur la finalité de l’IA : l’analyse de l’ensemble des décisions de justice prises dans le passé pour déterminer la probabilité de succès d’une affaire judiciaire à venir. En effet, il n’est pas question, du moins dans un État de droit, de déléguer à l’IA des prérogatives prétoriennes telles que rendre la justice, au nom des principes démocratiques.


Cependant, force est de constater qu’en analysant les bases de données judiciaires, la justice dite prédictive permet d’accroître la sécurité juridique du justiciable et, de surcroît, de tempérer son sentiment de défiance vis-à-vis de la Justice. Les techniques du numérique sont non négligeables dans le secteur judiciaire qui souffre notamment d’une lenteur endémique. Ses considérations poussent la Garde des sceaux à ériger le numérique en valeur cardinale de la réforme de la justice, à l’occasion de sa présentation devant le Conseil des ministres, le 20 avril 2018. En saluant cette réforme, M. Antoine Garapon admet que : « Le numérique est un remède à la lenteur de la justice, il peut en réduire les coûts et offrir un moyen de la rendre plus certaine »[10]. C’est en particulier le cas pour les litiges simples en matière civile et commerciale. Toutefois, la justice analytique peut nourrir le fantasme d’une justice automatique efficace, a priori gage de qualité, en prétendant anéantir l’aléa judiciaire, inhérent à toutes les affaires, en ignorant « la dimension humaine souvent irréductible à la froideur de l’équation mathématique »[11].


Si, en matière civile et commerciale, la justice prédictive est en principe favorable au justiciable dans l’élaboration de ses stratégies de rationalité économique, son impact dans le procès pénal impose une vigilance accrue en raison de la spécificité de la matière qui joue directement avec la liberté personnelle de l’individu. L’antinomie sensible opposant les promoteurs et les détracteurs de la justice prédictive dans le procès pénal doit être appréhendée à l’aune de la capacité des pouvoirs publics à adapter l’audience pénale à l’ère numérique tout en veillant à renforcer les garde-fous, protecteurs de l’Etat de droit.

L’open data juridique


À titre préliminaire, il convient de rappeler que la disponibilité de données est une condition essentielle au développement de l’IA, permettant à cette dernière d’effectuer certaines tâches qui étaient autrefois menées par l’homme de manière non automatisée. Plus les données sont disponibles, plus l’IA est en capacité d’affiner des modèles de prédiction. L’open data des décisions judiciaires est donc le préalable à l’activité des legaltechs spécialisées dans les moteurs de recherche ou l’analyse de tendances à l’adresse des professionnels du droit et, de plus en plus, directement du justiciable[12].


Avec la loi pour la République numérique de 2016[13], le législateur a inscrit la diffusion des décisions de justice dans un cadre général d’ouverture des données publiques pour assurer un meilleur accès des citoyens à l’institution judiciaire. Toutefois, le décret d’application de la loi n’a toujours pas été promulgué alors qu’il doit venir préciser les modalités de cette diffusion. Leur mise à disposition au plus grand nombre est non seulement un droit fondamental, mais représente également une source d’enseignement pour les citoyens[14]. Le traitement de ces données pose un certain nombre d’enjeux, tels que la protection des données personnelles ou encore la cristallisation de la jurisprudence.


L’homogénéisation des décisions de justice


D’abord, la justice prédictive doit être maniée avec précaution dans sa confrontation à l’évolution des besoins sociaux d’une société en perpétuelle évolution pour éviter de produire une doctrine conservatrice, très difficilement renouvelable. En effet, sous couvert de sécurité juridique et d’homogénéisation du droit, l’adaptabilité du droit serait rendue délicate. Or, les avancées progressistes en droit résultent toujours d’un revirement de jurisprudence permettant d’inverser une tendance[15].


Mais, en se fondant sur les données produites par l’IA, le juge qui souhaiterait contredire les prédictions semble s’exposer à une plus grande responsabilité en devant justifier davantage son positionnement. Il ne semble pas irréaliste d’imaginer que les juges seraient récalcitrants à prendre cette charge supplémentaire, notamment dans les systèmes dans lesquels leurs mandats ne sont pas permanents mais assujettis au vote populaire, ou dans lesquels leur responsabilité personnelle (disciplinaire, civile voire pénale) est susceptible d’être recherchée, surtout si leurs garanties statutaires en matière disciplinaire sont insuffisantes.


Est-ce à dire que les magistrats auraient peur de prononcer une peine différente de celle suggérée par l’IA ? Sauf à considérer ces derniers comme dépendants de l’IA, ce qui relèverait d’une critique avilissante. Le risque de création d’une doctrine conservatrice doit être relativisé. En effet, le magistrat doit être impartial et la responsabilité qu’il endosse n’est pas nouvelle puisqu’elle est inhérente à la fonction de jugement. L’outil prédictif peut laisser croire que le magistrat n’aura plus qu’à dicter l’analyse scientifique produite, comme s’il incarnait la bouche de l’algorithme. Toutefois, en pratique, ces méandres dystopiques peuvent être contournés grâce à la sensibilisation des magistrats à ces problématiques, imposant un redoublement de vigilance quant au contrôle de l’outil prédictif, pour assurer l’opération de qualification et d’interprétation des faits du juge pénal à la lumière du syllogisme juridique. Si la mise en cause de la responsabilité pénale doit avant tout relever d’un raisonnement juridique, l’impact de l’IA sur le prononcé de la peine pénale n’est pas en reste.


Le principe d’individualisation de la peine


Dans une décision du 22 juillet 2005, le Conseil constitutionnel confère au principe d’individualisation de la peine une valeur constitutionnelle en le rattachant à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789[16]. L’opération d’individualisation de la peine explique la différence, parfois inaudible pour l’opinion publique, entre la peine légalement encourue et la peine prononcée de manière effective par le juge à l’issue du procès. Chère à Raymond Saleilles, qui y consacre un ouvrage dès 1898, elle est rendue absolument nécessaire pour en donner du sens dans une perspective de réhabilitation effective du délinquant[17]. Pour ce faire, le juge doit prononcer une peine sur la base d’éléments objectifs de personnalité (formation, emploi, prise en charge médico-sociale, situation familiale, financière, etc.) sans se fonder sur des analyses autres que celles entreprises par des professionnels spécifiquement formés dans le suivi des individus sous mains de justice comme les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Pourtant, au XIXème siècle, sa conception humaniste de la justice pénale est supplantée par la doctrine de l’individualisation scientifique qui domine largement. Fondée sur les notions de traitement de l’individu et d’évaluation de la dangerosité de ce dernier, elle est notamment portée par l’Ecole positiviste italienne. Elle diffuse l’idée selon laquelle le crime serait le fruit d’une conjonction de facteurs biologiques, sociaux, géographiques que la statistique criminelle seraient en mesure d’évaluer en vue de dégager des lois scientifiques qui dévoilent ses causes, comme la loi de saturation criminelle de Ferri selon laquelle « il se commet chaque année, dans un milieu social donné, avec des conditions individuelles et physiques données, un nombre déterminé de délits, pas un de plus, pas un de moins »[18]. Si le mouvement de la défense sociale nouvelle, fondateur en droit pénal, portée par Marc Ancel, au lendemain de la seconde guerre mondiale, semblait avoir définitivement discrédité la pensée déterministe, l’immixtion de l’IA dans le procès pénal semble de nouveau interroger la pertinence de l’individualisation scientifique[19]. En croisant de multiples données, la puissance des algorithmes permet incontestablement de dépasser les capacités cognitives du juge grâce à une vitesse de traitement gargantuesque. Seulement, que reste-t-il du travail d’individualisation de la peine nécessaire à la réhabilitation du délinquant ? L’évaluation du risque de récidive par les outils prédictifs au procès pénal ne risque-t-elle pas de supplanter la considération des autres facteurs ? La prise en compte des éléments connus du passé du délinquant permettent-ils de construire un projet de réinsertion pour le futur ? Sous couvert du renforcement du principe d’égalité des citoyens devant la loi, à raison d’un traitement de données objectives concernant la vie passée des délinquants, le principe d’individualisation de la peine doit-il être relativisé ? La crainte du prononcé de peine automatique, dans une vision égalitariste absolue, attribuant à tel acte criminel un tarif irréfragable est légitime. Toutefois, cette crainte paraît déraisonnable. En effet, l’IA doit être envisagée dans une perspective de complémentarité et non de subsidiarité à l’office du juge pénal. Dès lors, le magistrat guidé par son âme et conscience est tout à fait en mesure d’individualiser une peine par la conscientisation des biais inhérents aux outils « prédictifs ». En pratique, les magistrats usent déjà de « barème » pour assurer une certaine cohérence dans leur politique pénale. Est-ce à dire que cet usage ait porté considérablement atteinte à l’individualisation de la peine ? Si la pratique des barèmes peut être regrettée sur ce point, le pragmatisme des magistrats semble en avoir fait un outil bien ancré dans les orientations pénologiques.


© Alengo

Les droits de la défense


En outre, l’utilisation de l’algorithme dans le cadre d’un procès pénal, ne doit pas obstruer l’exercice des droits de la défense. Protégés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Conv. EDH) le principe d’égalité des armes et de présomption d’innocence peuvent de prime abord être menacés par l’IA dans le procès pénal. C’est pourquoi il est essentiel d’assurer à la partie concernée l’accès aux données utilisées par l’IA en vue de contester les éventuelles conclusions erronées de l’outil prédictif. La validité scientifique doit pouvoir être remise en cause par les parties au procès à chaque fois que le juge utilise l’IA pour prononcer sa décision. En effet, la preuve scientifique peut paraître incontestable en raison de la productivité de l’IA par rapport au cerveau humain[20]. Si elle semble pouvoir palier aux biais cognitifs inhérents à l’être humain dans la prise de décision, elle n’est pas capable de hiérarchiser des valeurs et des éléments sociaux qui peuvent seulement être mis en balance par l’expertise du magistrat. Concernant le droit d’accès à l’algorithme, il existe une différence notable entre l’Europe et les États-Unis. Si les autorités judiciaires états-uniennes sont encore réticentes à reconnaître pleinement ce droit et opèrent une mise en balance entre les intérêts privés, notamment la protection de la propriété intellectuelle, et les droits de la défense, en Europe, le cadre est plus protecteur du fait du règlement général de protection des données (RGPD)[21]. qui établit un droit d’information sur la logique sous-jacente des décisions prises sur la base d’algorithmes[22]. Ce droit d’information permet de limiter les effets délétères de l’IA dans sa mise en œuvre dans le procès pénal en respectant le principe d’égalité des armes et de présomption d’innocence.


L’efficacité symbolique du procès pénal


Par ailleurs, si les bénéfices tirés de ces innovations technologiques semblent importants pour l’administration de la justice, elles semblent pourtant affaiblir « l’efficacité symbolique », inhérente au procès. Garante d’une justice efficiente, cette efficacité symbolique relève de la ritualisation de l’audience qui marque une étape importante dans la résolution du conflit comme un témoigne l’expression d’un juriste anglais reprise par M. Garapon dans son ouvrage, généralement attribuée comme leitmotiv à la CEDH : « Justice must not only be done but seen to be done »[23].


En réinventant le rapport à l’espace et au temps du déroulement de l’audience, traditionnellement calqué sur la règle des trois unités du théâtre classique, la révolution numérique menace l’efficacité symbolique du procès pénal. C’est sur la base de l’observation de multiples discontinuités produites par la digitalisation de la justice que M. Garapon déplore l’avènement de la déritualisation du procès[24]. Aussi anecdotique et traditionnaliste qu’il puisse paraître, le rituel du procès pénal est une étape importante pour le justiciable puisqu’il lui permet de changer, sans même qu’il ait besoin de savoir comment, puisque cette transformation s’opère de manière inconsciente, par la force des symboles. La spécificité du procès pénal réside dans le principe de l’oralité des débats qui contribue souvent à l’émergence de nouveaux éléments probatoires au travers des aveux nécessaire à l’éclatement de la vérité judiciaire. Davantage encadré par la procédure pénale devant les cours d’assises, l’oralité des débats dérive du principe de l’intime conviction, qui gouverne l’activité du jugement répressif moderne : celui- ci ne doit former son opinion que d’après les preuves qui ont été directement et immédiatement soumises au débat[25]. Si l’utilisation croissante des technologies numériques comme la visioconférence a déjà montré son influence sur la qualité des débats avec la discontinuité entre la présence et le lieu d’action, entre le rituel et la procédure et celle entre la communication et l’information, le formalisme du langage informatique employé par l’IA ne jouit pas de la même propriété transformatrice que le formalisme rituel traditionnel[26].


La réglementation cyber-éthique nécessaire à la protection du procès pénal


Les enjeux liés à la mise en place de la « justice prédictive » sont tellement nombreux qu’ils imposent une approche pondérée par les décideurs publics à de multiples égards. Tout d’abord, il paraît essentiel d’organiser un débat public autour de la question de la « justice prédictive », issue de l’union entre le droit et les sciences de l’informatique, qui réunisse à la fois, les techniciens concepteurs des outils et les professionnels de la justice. Qu’il s’agisse des associations professionnelles des magistrats, des barreaux, de l’ENM et des écoles d’avocats, tous sont en mesure de contribuer pleinement à l’approfondissement de la réflexion autour des enjeux controversés de l’IA dans le procès pénal.

Ensuite, sur le plan technique, des garde-fous s’imposent pour que le service public de la justice puisse assurer efficacement sa mission. Sur ce point, un droit de regard sur les éléments et les caractéristiques des instruments proposés par le privé (ou ceux développés par des instituts publics indépendants et spécialisés, une solution qui devrait être encouragée) est indispensable. Comment s’assurer que le traitement des données judiciaires, utilisé pour l’aide à la décision des juges et à la préparation de la défense des avocats, ne soit pas biaisé ? D’après la CEPEJ, envisager un encadrement législatif ou règlementaire des finalités de traitement des IA est insuffisant dans un contexte numérique, par essence totalement transfrontalier. Si une attention scrupuleuse à la nature des données en open data et à leur qualité permet de minimiser les risques de croisements inadéquats et de renforcer la pertinence des résultats des traitements automatisés, il convient de trouver appui sur le terrain cyber-éthique[27].


La CEPEJ pose la nécessité de développer un cadre cyber-éthique pour guider l’activité des opérateurs dans le secteur. Celle-ci doit être guidée par des principes de transparence, loyauté et objectivité de l’outil. Pour contrôler le respect de ces règles, il est nécessaire qu’une expertise indépendante et régulière y soit affectée. En effet, il serait judicieux d’anticiper la mise en œuvre de dispositifs de référencement payant, sur le modèle du Search Engine Advertising (SEA) de Google, permettant à certains opérateurs d’accorder moins de poids à des décisions leur étant défavorables[28]. Ces règles semblent impératives pour renforcer la confiance des citoyens dans leurs systèmes judiciaires. De surcroît, doivent être absolument garanties une totale transparence et une parfaite loyauté des modalités de traitement de l’information, tant en direction des professionnels que des citoyens, pour éviter que des exemples de traitement discriminatoire comme le cas de l’algorithme COMPAS aux Etats-Unis puissent se reproduire[29]. En l’espèce, l’ONG ProPublica a révélé, en 2015, le caractère discriminatoire de ce traitement algorithmique, développé par une entreprise privée, à l’égard des populations afro-américaines qui se sont vues attribuer un taux de récidivisme deux fois supérieur à la moyenne, dans les deux ans qui suivaient l’application de la peine[30]. C’est pourquoi l’implication des professionnels de la justice doit être très étroite pour appréhender au mieux l’impact de l’IA sur les systèmes judiciaires.


Par ailleurs, la CEPEJ recommande d’entreprendre une recherche fondamentale sur les applications proposées et les tester pour comprendre leurs potentialités et leurs faiblesses, en vue notamment de les développer à l’échelle nationale et les adapter aux besoins. Avant un déploiement à plus large échelle et une intégration dans les politiques publiques, une évaluation régulière de ces applications et, de surcroît, de l’impact de ces outils sur le travail des professionnels de la justice est également vivement recommandée par le Conseil de l’Europe. L’ensemble des experts participant au développement des IA, notamment les chercheurs, ingénieurs et développeurs informatiques, se trouvent aujourd’hui en charge de responsabilités inédites. La question de la formation de ces derniers est essentielle afin de les confronter au mieux aux considérations éthiques relatives au développement de l’IA dans le procès pénal. C’est pourquoi, la cyberéthique doit s’accompagner d’une formation solide multiséculaire allant des concepteurs des algorithmes et des legaltechs jusqu’à leurs utilisateurs.

Il en va de la responsabilité collective des décideurs politiques, des techniciens et des professionnels de la justice d’encadrer strictement l’utilisation de l’IA dans le procès pénal pour qu’elle devienne vecteur de vitalité démocratique et un rempart contre la déshumanisation de la justice.


 

[1] GIRAUDOUX J., La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Acte II, scène 5.


[2] L’IA Ross développé par la société américaine IBM pour effectuer des travaux juridiques a été engagé par le cabinet d’avocats Backer & Hostetler en 2016. Selon l’association américaine du barreau (ABA) : «L’IARossest un exemple de la manière dont l’IA peut être utilisée pour améliorer la prestation de services juridiques ». Disponible sur l’URL : https://www.rossintelligence.com/consulté le 29/05/2020.


[3] La Chine est le premier pays à se doter de cyber-tribunaux permettant de traiter des millions d’affaires judiciaires par des juges-robots sans exiger la présence des citoyens devant les tribunaux avec le déroulement d’une audience de tribunal numérique. Entre mars et octobre 2019, plus de 3.1 millions d’activités juridiques ont été enregistré dans le cadre de ces tribunaux selon l’agence de presse officielle chinoise Xinhua. Selon M. Ni Defeng, vice-président du tribunal numérique de Hangzhou : « Une justice lente est une mauvaise justice». Disponible sur l’URL : https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-technologie-de-l-intelligence-artificielle-fait-son-apparition-dans-les-tribunaux-chinois?id=10383210consulté le 29/05/2020


[4] TURING A. « Computing machinery and intelligence » in Oxford University Press vol.59, n°236, octobre 1950 5 Rapport de la Commission Européenne pour l’Efficacité de la Justice (CEPEJ), Charte éthique européenned’utilisation de l’IA dans les systèmes judiciaires et leur environnement, p.76 6 Ibid, p.73 L’apprentissage machine (machine learning) permet de construire un modèle mathématiques à partir de données, en incluant un grand nombre de variables qui ne sont pas connues à l’avance. Les paramètres sont configurés au fur et à mesure lors d’une phase d’apprentissage, qui utilise des jeux de données d’entraînement pour trouver des liens et les classifie. Il existe trois méthodes classiques de machine learning : apprentissage supervisé par un humain, apprentissage non supervisé et apprentissage par renforcement. 7 Ibid, p. 77 Legaltech : Entreprises exploitant les technologies de l’information dans le domaine du droit afin de proposer des services juridiques innovants. Ces entreprises sont des startups spécialisées dans le domaine juridique. 8 Ibid. L’algorithme désigne une suite finie de règles formelles (opérations logiques, instructions) permettant d’obtenir un résultat à partir d’éléments fournis en entrée. Cette suite peut être l’objet d’un processus automatisé d’exécution et s’appuyer sur des modèles conçus par le biais d’apprentissage machine.


[9] Expression employée par Louis Larret-Chahine, co-fondateur de la legaltech française Predictice.


[10] Entretien d’Antoine Garapon du 4 mai 2018 par l’équipe Dalloz. Consulté le 29/05/2020, disponible sur l’URL : https://www.dalloz-actualite.fr/interview/antoine-garapon-numerique-est-un-remede-lenteur-de-justice


[11] Allocution de M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, lors du colloque « La justice prédictive » du 12 février 2018. Consulté le 29/05/2020. Disponible sur l’URL : https://www.courdecassation.fr/publications_26/prises_parole_2039/discours_2202/marin_procureur_7116/justice_predictive_38599.html


[12] Rapport de la CEPEJ, op.cit. p.79. L’open data désigne la mise à disposition publique, par téléchargement, de bases de données structurées. Ces données sont ré-employables de manière non-onéreuse dans les conditions d’une licence spécifique, pouvant notamment préciser ou prohiber certaines finalités de réemploi.


[13] Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite « Lemaire », JORF n°0235


[14] MARCHESSAUD G. « Open data et décisions de justice : regagner la confiance des citoyens », Village de la Justice, 8 février 2020. Consulté le 29/05/2020. Disponible sur l’URL : https://www.village-justice.com/articles/open-data-decisions-justice-regagner-confiance-des-citoyens,33732.html


[15] Pour ne citer qu’un exemple, c’est le revirement de jurisprudence opéré par les magistrats qui a permis la reconnaissance du viol conjugal auparavant écarté à raison de « l’obligation de communauté de lit » issue du contrat de mariage. V. Cass. Crim. du 5 septembre 1990, n°90-83786, Bull.


[16] Décision du Conseil constitutionnel n°2005-520 DC, Loi précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité


[17] SALEILLES R. L’individualisation de la peine, Alcan, Paris, 1898


[18] ROUX J-A., Cours de droit pénal français, 2e éd. T.I, Paris, 1927


[19] ANCEL M., La Défense sociale nouvelle, un mouvement de politique criminelle humaniste, 3e édition, Cujas, Paris, 1954. Il prône pour un système de réadaptation sociale postulant prévenir la commission d’infraction en évitant que soient réunies les conditions de la délinquance en critiquant le système punitif et déterministe.


[20] En matière pénale, la preuve scientifique a gagné du terrain avec l’ADN qui devient difficilement contestable dans le cadre d’un procès. V.LEONHARD J., « La place de l’ADN dans le procès pénal » in Cahiers Droit, Sciences & Technologies, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2019.


[21] Règlement général de protection des données (RGPD), Règlement de l’Union européenne 2016/679, et Convention n° 108 du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l›égard du traitement automatisé des données personnelles


[22] Rapport de la CEPEJ (CEPEJ), op.cit.


[23] GARAPON A. et LASSEGUE J., Justicedigitale, PUF, 2018, p.191 ; GARAPON A., Leprocèscivilenversion originale : France, USA, Chine, Paris, Lexis Nexis, 2014


[24] GARAPON A. et LASSEGUE J., Justice digitale, op.cit. p.189


[25] MM. MERLE et VITU, Les traits fondamentaux de la procédure de jugement, Traité de droit criminel, T. II, 4e éd. p. 700 n° 611 et s.


[26] GARAPON A. et LASSEGUE J., Justice digitale, op.cit., p. 180-187


[27] Rapport de la CEPEJ, op.cit. p. 64


[28] Il s’agit du programme Adwords relatif à l’achat de liens sponsorisés par le biais des mots clés sur le moteur de recherche Google


[29] Correctional Offender Management Profiling for Alternative Sanctions (COMPAS)


[30] Rapport de la CEPEJ, op.cit., p. 55-56. Ce type d’interprétation, fallacieuse, ne révèle en réalité que la fragilité sociale et économique de certains groupes de populations qui ne sont évidemment pas criminogènes par nature.

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