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Fusion-absorption et responsabilité pénale : revirement de la chambre criminelle du 25 novembre 2020
Guillemette Burgala, associée en corporate et M&A, et Emmanuelle Brunelle, senior associate en contentieux, sont avocates au sein du cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer. Elle reviennent sur l'important revirement de jurisprudence de la chambre criminelle du 25 novembre 2020, aux termes duquel la société absorbante pourra désormais faire l’objet d’une condamnation pénale pour des faits constitutifs d’une infraction commise, par la société absorbée, antérieurement à l’opération de fusion-absorption.
Le 25 novembre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt opérant un revirement majeur de sa jurisprudence en matière de transfert de responsabilité pénale lors d’une fusion par absorption [1].
En effet, se fondant sur le principe de la personnalité des peines et l’article 121-1 du code pénal, elle assimilait jusqu’ici la dissolution d’une société, lors de la fusion, à un « décès » venant éteindre l’action publique et refusait ainsi qu’une société absorbante fasse l’objet de poursuites pénales pour des faits commis par la société absorbée. Désormais cela ne sera plus le cas, sans que le jeu d’un jeu d’un quelconque mécanisme de droit des sociétés ne puisse y faire échec et ce, dans la droite la lignée de la position de la CJUE en la matière.
Ainsi, elle ne concerne que les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées réalisant une opération de fusion-absorption relevant de la directive relative à la fusion des sociétés anonymes [2]. Néanmoins, son champ d’application méritera d’être précisé dans le temps s’agissant d’autres formes de sociétés.
En tout état de cause, ce nouveau cas de « transfert de responsabilité pénale » ne concernera que les peines d’amende et de confiscation et la société absorbante bénéficiera de tous les moyens de défense que pouvait invoquer la société absorbée.

S’agissant de l’application dans le temps de cette nouvelle règle, la Cour de cassation considère que sa position ne constitue pas un revirement de jurisprudence et lui donne donc une application immédiate, quelle que soit la date de l’opération : ne sont donc concernées que les opérations de fusion-absorption conclues postérieurement au 25 novembre 2020. Il est important ici de souligner qu’il s’agit bien de la date de l’opération de fusion-absorption et non de la date de commission de l’infraction qui doit être prise en compte. Cette nouvelle règle a donc bien vocation à s’appliquer à toutes les fusions-absorptions en cours et non finalisées à la date de l’arrêt, même pour des faits constitutifs d’une infraction commise antérieurement. Les audits de la société absorbée, dans ces domaines particulièrement sensibles tels que la compliance, le droit de l’environnement ou le droit fiscal devront donc être renforcés.
Cependant, la Cour de cassation prévoit un régime particulier en cas de fraude à la loi qui mérite d’être suivi avec attention. Ainsi, lorsque l’opération de fusion-absorption aurait pour unique objectif de permettre à la société absorbée d’échapper aux poursuites pénales, la responsabilité pénale de la société absorbante pourrait être engagée quelle que soit la forme des sociétés concernées et quelles que soient les peines susceptibles d’être prononcées.
La notion de fraude à la loi, peu utilisée en droit pénal des sociétés jusqu’ici [3], pourrait par cet arrêt faire l’objet d’une recrudescence dans la jurisprudence et donner lieu à une appréciation extensive de nature à remettre en cause la sécurité juridique des acteurs économiques en matière de fusion-acquisition. Il serait en effet dangereux que cet arrêt ouvre la voie à des poursuites pénales visant des opérations passées sans une démonstration rigoureuse de la fraude de la loi qui, le cas échéant, ne pourra être combattue par la défense que dans le cadre d’un débat au fond devant la juridiction de jugement.
[1] Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955.
[2] Directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017.
[3] V. en matière de complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité : Cass. crim, 15 mai 2008, n° 07-81.410 ; Cass. crim, 12 juillet 2016, n° 15-80.923.