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Covid-19 : réflexion autour du bioterrorisme en criminologie et épidémiologie

Daniel Ingala est étudiant en master d'expertise criminologique au Conservatoire National des Arts et Métiers, auprès du professeur Alain Bauer. Professeur de sciences de la vie et de la terre (SVT) dans un établissement parisien, il est également diplômé d'une licence de droit.

 

Comme point de départ de notre démarche réflexive, nous sommes partis d’un constat : « nous sommes dans une société où l’accès à la culture et à la pratique scientifique est globalement garanti à tous ». Cette accessibilité est permise à quiconque prend la peine de chercher, en « quelques clics de souris », des réponses. En prenant conscience de cette facilité déconcertante à accéder à des procédés de laboratoire autrefois inintelligibles, il nous est apparu intéressant de s’interroger sur la face « obscure » d’un savoir scientifique « abandonné » dans de funestes mains.


Qu’est-ce que le bioterrorisme ?


Il est important de rappeler que nous ne disposons toujours pas à l’heure actuelle d’une définition de la notion de « terrorisme ». Cependant, le professeur Christophe RAPP nous livra, lors d’une conférence scientifique en 2016, une définition de ce qu’il nomma alors le « bioterrorisme ». Le bioterrorisme est, donc, « l’utilisation intentionnelle ou menace d’emploi à des fins terroristes de micro-organismes (bactéries, virus, champignons, parasites) ou de toxines dans le but d’induire une maladie ou la mort chez les hommes, les animaux ou les plantes ».

Bien que le bioterrorisme ne soit pas une menace nouvelle, il est surprenant d'observer que la littérature scientifique en criminologie a tendance à parfois minimiser le risque. Certes, celle-ci reconnait que c’est « une menace avérée, liée à l’évolution des objectifs du terrorisme ». Néanmoins, elle s’empresse, dans la majorité des cas, d'ajouter que « l’utilisation de moyens non conventionnels (armes biologiques) par des mouvements contestataires internes ou irrédentistes n’est pas envisageable, car elle implique une barrière psychologique difficilement franchissable ».

Cette prise de position singulière va d’ailleurs à rebours de la littérature scientifique en santé publique.


La littérature scientifique en épidémiologie, sans tomber dans un catastrophisme macabre, essaie de ne pas rester spectatrice de l’évolution du monde microbien. Ladite littérature tente d’analyser, d’anticiper dans une certaine mesure, les dangers potentiels que cette évolution représenterait si elle était le fruit d’une manipulation malveillante. Cependant, celle-ci est encore très timide quant à la prise en compte de la dimension criminologique de la menace, dans la conduite de ses recherches et dans la rédaction de ses hypothèses scientifiques.


Le bioterrorisme, une menace actuelle ?

Le bioterrorisme est d'abord une menace. Il est une menace dans un contexte d’ultra-démocratisation du savoir scientifique : une menace majeure quand on sait qu’un simple micro-organisme, invisible à l’œil nu, peut à lui seul toucher l’ensemble d’une population. Ce simple agent infectieux peut déstructurer tout un État ou un continent. La littérature scientifique parle d’ailleurs du bioterrorisme comme d’une « arme de désorganisation massive », destinée à créer une panique générale, un sentiment global de défiance, une psychose commune, « l’apocalypse ».


Il est nécessaire de comprendre que le bioterrorisme est un terrorisme particulier. Il ne saurait être traité comme les autres formes du terrorisme. Le traitement d’une attaque biologique n’est en rien comparable avec la gestion d’un acte terroriste dans une salle de spectacle ou dans une salle de rédaction d’un journal. En effet, aussi dur que puisse paraître mon propos, dans une attaque biologique il n’est pas de victimes clairement et rapidement identifiables, il n’est pas de scène de crime unique. Une attaque biologique est lente, insidieuse et sournoise. L’agent pathogène, l’arme des crimes, se propage à travers un fomite anodin sans que nul ne s’en rende compte. Le temps de la révélation de « l’attaque terroriste », si celle-ci ne fait pas l’objet d’une revendication, sera égal au temps d’incubation de la maladie. Au-delà de la question de la réponse des pouvoirs publics pour la protection de la santé publique, au-delà de la gestion de la communication politique afin d’éviter la panique des populations, les scientifiques auront à faire face à un inconnu, contre qui il feront une terrible course-contre-la-montre, celui du r0.

Des chercheurs américains ont établi une liste, structurée en trois classes, dans les années de Guerre froide. Dans les années 1950, les États-Unis d’Amérique craignaient une attaque biologique de la part de l'URSS. Cette classification, désormais mondialement reconnue et communément utilisée, nous provient du CDC.


  • La première classe recense l’ensemble des micro-organismes les plus pathogènes du fait d’un r0 très élevé, et du fait d’un taux de létalité très important. Le caractère volatile de ces agents pathogènes peut provoquer des « réactions paniques pouvant rapidement entrainer le chaos ».

  • La deuxième catégorie regroupe les micro-organismes avec un r0 beaucoup moins élevé, des effets de la maladie moins virulents sur l'organisme et des comorbidités négligeables, voire absentes.

  • La dernière classe conglomère l'ensemble des maladies dites émergentes et aux micro-organismes génétiquement modifiés.


Mais, si la littérature scientifique mondiale en épidémiologie parvient à couvrir l’ensemble des champs de la compréhension des agents infectieux, celle en criminologie française est bien carentielle. En effet, si nous voulions résumer l’état de l’art de la littérature scientifique criminologique française, nous pourrions dire : « En matière de bioterrorisme, l’arme est plus connue que celui qui la tient ».



De façon répétée, la littérature scientifique part du postulat que même si la menace est réelle, elle n’en demeure pas néanmoins très « marginale ». La question de la « sophistication technologique et intellectuelle » est l’argument majeur qui est avancé par la littérature scientifique en criminologie. Des chercheurs du département des Études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI) ont mis en avant le fait que, dans la majorité des cas, les groupes terroristes qui peuvent matériellement acquérir des armes biologiques ne disposent pas du savoir-faire scientifique pour s'en servir. Ces chercheurs évoquent cependant, pour accréditer la réalité de la menace bioterroriste, ce qu'ils appellent la « fuite des cerveaux des scientifiques d'anciennes puissances ». Ils partent du principe que ces « scientifiques-chômeurs » peuvent potentiellement être tentés par des salaires attractifs. Sans porter aucun jugement ni faire de liens trop attifes, les chercheurs de l'IFRI mettent en avant le fait que de nombreux biologiques, anciens militaires soviétiques, travaillent aujourd'hui en Iran.

Pour tenter de pallier ce risque, les grandes organisations internationales mettent en place des programmes dans les États-successeurs de l'URSS.


Bioterrorisme, complotisme et vaccination : une liaison dangereuse ?


En ce qui concerne la question vaccinale, il est tout à fait certain que nous abordons là, une question éminemment politique. Pourtant c’est bien par celle-ci que s’organise, selon la littérature scientifique, la réponse préventive et curative aux risques pandémique.

La littérature scientifique en épidémiologie est, à ce sujet, unanime. La question vaccinale n’est pas un débat de santé publique. Cette doctrine inflexible, fait la force et la faiblesse de la politique vaccinale. Une vérité, même factuellement vraie, si elle ne peut être discutée, est déjà un complot. La littérature scientifique ne cherche donc pas assez à comprendre le poids des thèses dites « complotistes » en matière de gestion des questions de santé publique et n'accorde pas suffisamment d'importance à déterminer l’influence que ces thèses ont sur l’opinion publique dans la gestion d'une crise pandémique.


La « capacité d’un État à prévenir et endiguer la menace biologique se mesure au regard du degré de défiance de ses citoyens », selon une partie de la littérature scientifique. La question de la « défiance des populations » soulève une problématique originale qui est, d'ailleurs, un enjeu majeur en santé publique. En ce qui concerne la capacité de prévention et d'endiguement du risque épidémiologique par un État, l'étude de la « défiance des populations » se structure autour de la question vaccinale. La littérature scientifique s’interroge à cet égard sur la capacité qu’a un État à criminaliser une non-action individuelle pouvant affecter le groupe. La question vaccinale est donc au cœur des enjeux de santé publique, de surcroît lors d’une menace épidémiologique.


Cependant, et cela à travers les réseaux sociaux notamment, nous voyons fleurir de nombreuses théories anti-vaccinales. Celles-ci, autrefois marginales, deviennent de plus en plus « virales ». Elles sont désormais relayées par des médecins et scientifiques. Ces thèses anti-vaccinales s’unissent d’ailleurs très aisément à celles qui dénoncent, partout et en tout temps, un terrible « complot mondial ».


La criminalisation de « l’action anti-vaccinale », soulève de nombreux débats au sein de la littérature scientifique. Tout est structuré autour de la question du choix de l’individu, à se soumettre ou non à la médication et à la médecine moderne. Cette question de la soumission est d’autant plus intéressante parce qu’elle interroge la science : la vérité scientifique peut-elle être une opinion ? Peut-on punir quelqu’un qui fait le choix, en âme et conscience, de ne pas adhérer à la vérité scientifique ? Peut-on parler d’ailleurs d’adhésion à la science ? Peut-on laisser le choix d’adhérer ou non à une vérité, dont son immanence, s’impose à nous, sans que nous n’y puissions rien.

Il est assez frappant de voir qu’aujourd’hui nous sommes retournés à une société de la croyance où celui qui cherche la vérité se perd dans un labyrinthe où il n’est nul fil d’Ariane. Tout étant devenu opinion, tout étant devenu relatif, il est bien difficile de dire à des populations : « C’est ainsi. ».


Bioterrorisme et covid-19

Le bioterrorisme questionne le criminologue sur le sens même que l’on doit rationnellement donner à une attaque terroriste qui peut, si elle réussit, provoquer une extinction globale. Il est un défi pour les pouvoirs publics qui doivent rassurer les citoyens, prévenir la menace et l’endiguer. Elle pousse les acteurs de la protection dans leurs retranchements les plus intimes : « comment faire face à une attaque que l’on ne peut voir ? ». Enfin, il est un défi pour les scientifiques, une course-contre-la montre qui ne saurait être gagnée sans préparation et sans anticipation. La mort de Li Wenliang, médecin chinois qui a révélé au monde la réalité du covid-19, fait penser à ce terrible adage « Malheur aux prophètes du malheur ». Telle la Cassandre de Troie, qui prophétisa les malheurs futurs de sa cité, personne ne crut Li Wenliang. Personne n’y crut, parce que personne ne voulait croire au « scénario catastrophe ».

Il est évident que le contexte politique chinois a permis ce silence et que le virus covid-19 n’est pas une attaque bioterroriste. Cependant, cette perte de temps, dû à un terrible déni, illustre aussi celle que nous pourrions vivre lors d’une attaque bioterroriste. Ainsi, nous pouvons considérer que ce que nous vivons actuellement est un défi, bien triste évidemment, mais qui doit nous faire ravaler notre orgueil et nous rappeler combien nous sommes fragiles et combien, dans la guerre bactériologique, nous ne vaincrons qu’ensemble.

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