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Claude-Emmanuel Triomphe : "J’ai beaucoup hésité à me constituer partie civile."

Interview. Claude-Emmanuel Triomphe est une des nombreuses victimes des attentats de novembre 2015 à Paris. Le soir du 11 novembre, il était assis à la terrasse de La Bonne Bière. Il a accepté de répondre à nos questions en lien avec la position et le traitement des parties civiles dans le cadre d’une affaire de terrorisme.

 

Vous avez été victime et survivant des attentats de novembre 2015 à Paris. Pouvez-vous nous parler de l’état de la procédure aujourd’hui ?


Sur l’état de la procédure pénale, l’affaire est en fin d’instruction. L’instruction a beaucoup avancé, j’y reviendrai plus en détails par la suite de l’interview. L’ordonnance de mise en accusation et le réquisitoire définitif ont été rendus.


Vous vous êtes constitués partie civile. Était-ce un choix naturel ? Avez-vous rencontré des difficultés ? Si oui, de quelle(s) nature(s) ?


J’ai beaucoup hésité à me constituer partie civile.


On avait reçu l’avis à victime du tribunal. Dès ce moment, j’y ai beaucoup réfléchi et ma décision n’a pas été prise tout de suite. J’ai finalement décidé de me joindre à la procédure pour essayer de comprendre mais aussi pour me joindre à quelque chose de collectif avec les autres victimes.


Je n’ai rejoint aucune association de victimes pour des raisons personnelles et qui tiennent à mon rapport au drame que j’ai vécu.

Rejoindre une association de victimes est, d’un point de vue collectif, une très bonne chose. Je n’étais pas indifférent à cet aspect.


Mais j’avais déjà beaucoup partagé mon expérience dans ma famille et mes nombreux amis qui m’ont incroyablement et formidablement soutenu à l’époque.


En reparler avec d’autres victimes m’aurait sûrement conduit à revivre cet évènement. C’était donc une décision, au final, très individualiste. Je n’ai pas rejoint d’association mais j’ai pris un avocat spécialisé dans les affaires de terrorisme.


Vous avez donc coupé tout lien humain, toute relation, qui pourrait éventuellement vous relier au drame ?

Non, j’ai des contacts épisodiques avec un ami qui était assis avec moi à La Bonne Bière, le soir du drame.


J’ai d’ailleurs une anecdote pas inintéressante à son propos, qui montre le changement de rapport à la France que peuvent avoir certaines victimes. C’est un Américain qui était venu à Paris pour trois jours. Après les attentats, il est d’abord resté car ici il était pris en charge (son assurance américaine n’aurait couvert que 10 jours de soins chez lui) puis a finalement décidé de rester en France et d’acquérir la nationalité française.




Illustration : Le déclenchement des poursuites par la victime, Mes droits Mes libertés.




Comment avez-vous expérimenté, en tant que victime, la procédure pénale ?


J’ai trouvé que les aspects les plus rigoureux de la procédure étaient enchevêtrés d’épisodes médiatiques auxquels j’ai d’ailleurs participé puisque je suis intervenu en 2016-2017 dans plusieurs émissions ou documentaires, français ou étrangers

La procédure, en tant que telle, a été très largement ralentie à cause de la crise pandémique liée au Covid-19.


Le procès de janvier 2021 a été décalé à septembre 2021. Puis, la mise en place d’un procès à distance est dans les tuyaux. Un projet de loi pour faire le procès en visioconférence a été déposé.


Avez-vous pu constater une adaptation des organes de la procédure (notamment le juge d’instruction) quant au traitement des victimes dans une affaire de terrorisme ?


Il est difficile de répondre à cela.


Cependant, il y a eu des événements marquants qui ont plutôt montré le manque d’adaptation à la situation très particulière des victimes.


Par exemple, le juge d’instruction organisait des grandes séances d’audition des victimes. J’ai assisté à deux séances de ce type.


La première séance à laquelle j’ai assisté était particulièrement douloureuse .


Le juge d’instruction a procédé à un rappel des faits très voire trop détaillé. Cet épisode était beaucoup trop long et, pour une victime, c’était interminable. Je ne sais pas si autant de détails étaient utiles, compte tenu de la gravité des événements et du traumatisme toujours présent chez certaines victimes présentes à cette audition. Beaucoup de victimes se mettaient à pleurer et sortaient de la salle. C’était insoutenable.


Durant ces séances, dans quelle mesure les victimes pouvaient-elles s’exprimer ?


La plupart des victimes venait avec leurs avocats. Beaucoup d’entre eux ont pris la parole, parfois de manière trop longue et pour faire des effets de manche inadaptés au contexte. Certaines victimes ont également pris la parole et ont posé des questions à propos des accusés. J’ai alors assisté à des remarques qui m’ont choqué.


Par exemple, certaines victimes demandaient pourquoi la torture n’étais pas employée pour faire parler les accusés, ou bien pourquoi la peine de mort ne pourrait pas être rétablie pour ce procès. Moi je n’ai aucun sentiment de haine vis-à-vis des auteurs et n’en ai jamais eu.


J’aurais plutôt tendance à penser qu’ils ont foutu non seulement la vie de beaucoup en l’air mais aussi la leur. Par contre, je ne suis pas en mesure de pardonner car pour moi un pardon ça se demande ; et à aujourd’hui rien n’a été exprimé de ce type que je sache.


Comme je vous le disais, j’ai assisté à une deuxième séance qui était plus courte et moins émotive. Celle-ci avait une dimension purement informative quant aux investigations menées dans le dossier et surtout dans les pays étrangers. A titre personnel, ce n’était pas très utile, je n’ai pas appris grand-chose de plus que ce je savais.


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