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CJIP : les enseignements de l'affaire Airbus

Amaury Bousquet, élève avocat, revient sur la conclusion d'une CJIP à l'ampleur inédite dans l'affaire Airbus en soulignant les conséquences positives d’une coopération utile de l’entité avec les autorités de poursuite et le respect scrupuleux des lignes directrices PNF-AFA.

 

Le 29 janvier 2020, le parquet national financier (PNF) et le groupe Airbus ont signé une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) mettant fin à des poursuites initiées pour diverses infractions d'atteinte à la probité (corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie, blanchiment de ces délits, faux et usage de faux)[1]. Il s’agit de la dixième CJIP conclue depuis l'introduction du mécanisme par la loi Sapin II, et peut-être de la plus retentissante à ce jour. Il n'est d'ailleurs pas anodin que l'ensemble des protagonistes se soient félicités de la conclusion de l'affaire[2]. Airbus a conclu des accords du même genre avec les autorités américaines et britanniques qui, comme le PNF, enquêtaient sur les conditions du recours d'Airbus à des intermédiaires pour faciliter ses négociations commerciales. Le 31 janvier 2021, ces accords ont été entérinés par les tribunaux conjointement à Paris, à Londres et à Washington.


Pour rappel, la CJIP, dont les conditions sont prévues par l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, autorise le parquet à proposer à une personne morale, poursuivie pour des faits d'atteinte à la probité, de transiger en échange de l'abandon des poursuites pénales à son encontre[3]. En échange de l'abandon des poursuites, l'organisation mise en cause se voit proposer de verser une amende d'intérêt public et, s'il y a lieu, de mettre à jour son dispositif anticorruption. Si elles sont acceptées, ces obligations sont formalisées dans l'accord conclu puis homologuées par le président du tribunal judiciaire. Deux traits sont caractéristiques de cette procédure : d'une part, la reconnaissance des faits par la personne mise en cause ; d'autre part, l'importance donnée à la coopération de l'entité avec les autorités de poursuite[4]. Intéressante de ce point de vue pour les sociétés exerçant outre-Atlantique ou soumissionnant à des marchés publics, la conclusion d'une CJIP n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation[5].


D’emblée, la CJIP Airbus fait figure d’exception à deux égards.


En premier lieu, et de l’avis commun, les chiffres en jeu sont impressionnants. Airbus a consenti à verser près de 3,6 milliards d’euros en cumulé, soit à peu de choses près le montant des bénéfices du groupe en 2018, dont au moins 2,1 milliards d’euros à la France. À titre comparatif, la première CJIP, conclue en novembre 2017 par HSBC, a porté sur un montant de 300 millions d’euros, tandis que la dernière en date, conclue en septembre 2019 par Google, s'élevait à 500 millions d’euros. De même, le 18 février 2020, l'administration fiscale française a annoncé avoir récupéré près de 10 milliards d’euros en 2019 au titre de la lutte contre la fraude fiscale (un record depuis 2015)[6]. Toutes choses étant égales par ailleurs, cela aide à resituer l’ampleur des sommes citées dans l’affaire Airbus.


Dans le détail, Airbus s’est engagé à verser 984 millions d’euros dans le cadre du deferred prosecution agreement (DPA) conclu avec le Serious Fraud Office britannique (SFO) pour violation du UKBA (UK Bribery Act) et 531 millions d’euros dans le cadre de deux accords trouvés avec le Department of Justice (DoJ) et le Department of State (DoS) américains au titre de violations du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) et de la réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations)[7]. Enfin, en France, 8,5 millions d’euros ont été mis à la charge du groupe au titre des frais nécessaires à la mission de monitoring de l’Agence française anticorruption (AFA).


En deuxième lieu, l’affaire a été l’occasion d’une répartition judicieuse des investigations entre les trois pays impliqués[8]. C’est d'ailleurs la première fois qu’un accord tripartite est conclu par la France avec des autorités étrangères, en l’espèce le Royaume-Uni et les États-Unis, et la première fois qu'une entreprise française signe un DPA avec le SFO. Comme le détaille Le Monde[9], les parquets français, britannique et américain ont même « élaboré ensemble les termes des trois accords à faire approuver par la justice de leurs pays respectifs », homologués le 31 janvier 2020.


La France peut se réjouir de l'issue de la procédure à au moins deux titres :

  • elle va récolter plus de la moitié (58% précisément) des sommes qu'Airbus s'est engagé à payer (alors que l'on sait que les Etats-Unis se sont fait une passion de sanctionner les entreprises étrangères, 14 milliards de dollars ayant ainsi été versés à l'administration américaine par des groupes français depuis 2010) ;

  • c'est à la seule AFA qu'il reviendra, comme moniteur, d'évaluer la mise en conformité du groupe et d'informer les autorités étrangères de la montée en puissance du dispositif anticorruption du groupe.

« Nous sommes désormais en capacité de travailler à armes égales avec les autorités judiciaires anglo-saxonnes », s'est à juste titre enorgueilli le PNF.

Cette affaire démontre en effet la capacité du PNF de jouer dans la même cour que le DoJ. En prenant la tête de l'enquête, les autorités judiciaires françaises réalisent une belle preuve de leur leadership et de leur crédibilité retrouvée depuis l'instalation du PNF et la loi Sapin II.


Le retour de la "Triple Entente"


En 2015, lors d'une revue de ses obligations déclaratives auprès de l’agence de crédit-export britannique UK Export Finance, Airbus a mis au jour un certain nombre d'incohérences graves[10]. Dès 2015, le groupe a, alors que sa revue était en cours, gelé le versement de sommes à tout intermédiaire[11] et, en janvier 2016, mu d'un très bon réflexe, signalé ces irrégularités à UK Export Finance, qui les a communiquées à son tour à Coface, son homologue français[12].


En résumé, le département Strategy and Marketing Organisation d'Airbus, dissous depuis, gérait, avec un budget annuel de plusieurs centaines de millions d’euros, le réseau des intermédiaires du groupe, donnant au besoin le coup de pouce nécessaire à la vente d’avions ou de satellites. Lors de l'audience d'homologation de la CJIP, le PNF a dénoncé « des faits qui disent qu'Airbus a corrompu des dirigeants publics étrangers et de compagnies aériennes pour obtenir des contrats » dans au moins sept pays[13].


En avril 2016, Airbus a confié à ses avocats le soin de diligenter une enquête interne au sein du groupe et a, dans le même temps, signalé au SFO les irrégularités relevées[14]. En juin 2016, le Trésor français a transmis au PNF un signalement relayant les éléments communiqués par la Coface sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Sur la base de ce signalement, le PNF a engagé une enquête préliminaire[15]. En juillet 2016, les investigations ont débuté sous la supervision de l’OCLCIFF. Des investigations poussées – incluant des perquisitions, des demandes d’entraide internationale ainsi qu’un « grand nombre d’auditions de salariés et anciens salariés d’Airbus, ainsi que de consultants et d’intermédiaires commerciaux » – ont été conduites, confirmant des pratiques frauduleuses dans les processus de vente.


Dans le même temps, indépendamment des investigations judiciaires, l’enquête interne menée par Airbus a permis de fournir aux autorités un nombre considérable de documents (pas moins de 30,5 millions de documents ont été collectés à l'occasion de l’enquête interne[16] : « trois fois plus que les “Panama Papers », a raillé le PNF à l'audience). Le groupe a filtré les documents collectés pour ne remettre que ceux « susceptibles d’être pertinents pour l’enquête judiciaire » et tenu les autorités informées en permanence de l’avancement de son enquête interne. Efforts dont celles-ci ont tenu compte.


« À partir du moment où l’on décide de coopérer, il faut le faire pleinement », explique le directeur juridique d'Airbus.

Début 2017, le PNF et le SFO ont mis sur pied une équipe commune d’enquête afin de coordonner les opérations d’enquête, de faciliter le recueil des preuves et d’assurer le partage des informations pertinentes[17]. Les autorités françaises et britanniques se sont réparties les investigations par pays, la France se concentrant sur les activités d’Airbus en Chine, au Brésil ou en Russie et le Royaume-Uni se focalisant sur la Corée du Sud, l'Indonésie ou encore le Mexique[18]. Les éléments recueillis par le PNF dans le cadre de son enquête ont été partagés avec le SFO, et vice versa[19].


A la fin de l'année 2017, le DoJ a ouvert une enquête pour violation du FCPA et de la réglementation ITAR[20]. Certains éléments de l'enquête conjointe du PNF et du SFO ont été partagés avec le DoJ dans le respect des dispositions de la loi du 26 juillet 1968 (dite « loi de blocage »).


Il ressort au final qu’Airbus aurait « engagé et rémunéré jusqu’au début de l’année 2015 de nombreux intermédiaires commerciaux afin de l’assister dans ses négociations commerciales avec ses clients étatiques et privés »[21], et ce depuis 2004.


Une coopération bénéfique et encouragée


La CJIP Airbus est particulièrement riche d'enseignements. Elle illustre, en premier lieu, la prise en compte des efforts de coopération de la personne de la personne mise en cause à l'occasion des investigations préalables à la conclusion d’une CJIP. En l'espèce, Airbus a été exemplaire, ou pas loin. Après s'être « dénoncé », le groupe s'est plié aux contraintes d'une triple enquête pénale, tout en engageant de son côté une enquête interne ainsi que la refonte de son dispositif anticorruption. Parallèlement, le management du groupe a été renouvelé et des mesures disciplinaires ont été prises à l’égard de plusieurs centaines de collaborateurs[22]. De fait, la coopération d'Airbus fait l’objet de développements spécifiques dans l'accord conclu[23], qui salue notamment :


  • l’engagement pris par Airbus de coopérer pleinement avec les enquêteurs ;

  • la possibilité pour les enquêteurs d’échanger directement avec le conseil d’administration et les responsables de la conformité du groupe ;

  • la communication par Airbus de la liste de tous les intermédiaires commerciaux auquel le groupe a eu recours par le passé, ainsi que de nombreux documents (notamment les emails et contrats pertinents, les factures et paiements effectués à des tiers ou encore les documents relatifs aux comptes bancaires par lesquels ont transité les paiements effectués aux intermédiaires, outre, bien sûr, les documents sollicités par les enquêteurs) ;

  • la mise à disposition d’une équipe dédiée de consultants afin d’assister les enquêteurs dans l’étude de la comptabilité et des flux financiers litigieux ;

  • la présentation, à plusieurs reprises, de l’avancement et des résultats de l’enquête interne ;

  • la mise en place d’un panel d’experts indépendants (composé de deux anciens ministres et d'un avocat), chargé d’examiner les progrès d’Airbus en matière de conformité et d'accompagner la fonction conformité du groupe dans sa restructuration avec indépendance et objectivité[24].


Il est ainsi souligné dans la CJIP que « même si Airbus n’a pas révélé spontanément au PNF les faits qui ont motivé l’ouverture de son enquête interne» – encore que l’analyse est sévère dans la mesure où Airbus s’était rapproché du SFO dès 2016 –, le groupe a apporté, à compter de mars 2017, « une coopération exemplaire aux investigations »[25]. Ce que n'a pas manqué de relever le PNF à l'audience de validation de la CJIP le 31 janvier dernier : « Votre aide et le travail de vos dizaines d’avocats ont été déterminants pour faciliter l’enquête menée», ont confirmé ses représentants à l'adresse d'Airbus.


En toute hypothèse, cette coopération active de la part d'Airbus a eu un impact déterminant sur le choix du PNF de recourir à la CJIP – ou de l’accorder à Airbus à sa demande, l'histoire ne le dit pas. Pour mémoire en effet, pour recourir à la CJIP, les lignes directrices PNF-AFA et la circulaire DACG du 31 janvier 2018 invitent le PNF à prendre en compte, outre les conditions légales, des critères de fait tels que les antécédents de la personne mise en cause, le caractère spontané de la révélation des faits ou le degré de coopération de l'organisation avec les autorités de poursuite[26].



Cette coopération a, en deuxième lieu, eu des conséquences fructueuses sur la fixation de l’amende d’intérêt public. Sachant que le chiffre d’affaires brut moyen du groupe était de 63,1 milliards d’euros sur la période 2016-2018, le montant maximal théorique de l’amende d’intérêt public encourue, fixée à 30 % du chiffre d'affaires annuel moyen du groupe sur les trois derniers exercices, était de 18,9 milliards d’euros[27] !


Trois circonstances « aggravantes » (la terminologie n'est pas idoine) ont été retenues au détriment d'Airbus pour arrêter le montant de la pénalité complémentaire[28] :


  • la qualification de corruption d’agents publics retenue pour caractériser les faits ;

  • le caractère répété des manquements dans le temps ;

  • l’utilisation des ressources du groupe pour dissimuler les manquements.


L'application de ces coefficients majorants a entraîné un rehaussement de 275 % de la pénalité[29]. Les dispositions de l’article 17 de la loi Sapin II n’étant pas entrées en vigueur au moment des faits, il n’a, en revanche, pas été tenu compte du fait qu’Airbus est une entité entrant dans leur champ d’application, cette caractéristique étant de nature à caractériser un facteur aggravant[30].


Au titre des circonstances atténuantes, la CJIP retient[31] :


  • le niveau exemplaire de la coopération d’Airbus à l’enquête pénale ;

  • la conduite d’une enquête interne approfondie, coordonnée avec l’équipe commune d’enquête ;

  • l’adoption, « dès les premiers temps de l’enquête », de mesures correctives destinées à améliorer le dispositif anticorruption du groupe et à « prévenir le renouvellement des faits ».


Ces facteurs minorants ont conduit le PNF à appliquer à la pénalité une réduction de 50 %[32]. Pour rappel, les lignes directrices PNF-AFA définissent comme facteur minorant :


  • la révélation spontanée des faits au parquet avant l’ouverture de toute enquête pénale et dans un temps raisonnable ;

  • l’ « excellente » coopération de l'entité ;

  • des investigations internes complètes et efficaces ;

  • le déploiement d'un programme de conformité, a fortiori si l'entreprise n'y est pas soumise au regard de la loi Sapin II.


À cet égard, qu’il s’agisse des coefficients majorants ou minorants, le PNF a appliqué la méthodologie proposée par les lignes directrices PNF-AFA. Ce qui, au regard du principe de lisibilité et de sécurité juridique, mérite d'être apprécié. La pénalité s’élève donc à 1,03 milliard d’euros, à ajouter au profit retiré par Airbus à partir des contrats obtenus en contrepartie des manquements relevés, estimé à 1,05 milliard d’euros[33], soit une amende d’intérêt public de 2,08 milliards d’euros. La publication du détail du calcul par le PNF aurait, toutefois, été appréciable.


Le souci du non bis in idem


Dans la mise en œuvre de la poursuite comme dans la détermination du quantum de la sanction, la règle non bis in idem ressort, de l'avis de l'auteur, renforcée de cette coordination inédite. Cet objectif de coordination internationale figure d’ailleurs dans les lignes directrices PNF-AFA aux termes desquelles :


« Lorsque la personne morale fait l’objet de poursuites simultanées intentées par plusieurs autorités, la CJIP (ou son équivalent en droit étranger) favorise la coordination de ces autorités et autorise la conclusion simultanée d’accords transactionnels parallèles ».

Plus précisément :


« La détermination du montant de l’amende d’intérêt public peut faire l’objet d’échanges avec les autorités de poursuite étrangères afin de permettre une appréciation d’ensemble des amendes et pénalités versées par la personne morale »

Pour cette raison, le PNF a pris en considération les amendes prononcées par le SFO et le DoJ, dont elle a déduit le montant pour le calcul de l’amende française[34]. On note, toutefois, que l’amende de 5 millions d’euros prononcée par le DoS au titre des violations à la réglementation ITAR n’a pas été intégrée dans le calcul de l’amende française, vraisemblablement parce qu’elle ne sanctionne pas les faits de corruption mais le non-respect des règles d’exportation de matériel militaire et que les manquements appréhendés ne sont pas les mêmes.


En tout état de cause, la CJIP considère que le montant total des amendes mises à la charge d’Airbus – l’amende infligée par le DoS prise en compte ici – est « proportionné aux avantages tirés des manquements »[35].


Enfin, la désignation de l’AFA comme moniteur a été préférée à l’hypothèse où trois moniteurs concurrents auraient pu être désignés et donc se marcher sur les pieds. Là encore, la France a su tirer son épingle du jeu en résistant aux vélléités d’empiètement des autorités anglo-saxonnes. L’AFA informera annuellement le PNF de l’exécution par Airbus de son obligation de mise en conformité et le PNF informera le SFO et le DoJ du déroulement de la mesure, dans le respect des dispositions de la loi de blocage[36].


L’utilité relative de la mesure de mise en conformité


Le seul bémol réside peut-être dans l'accord d'Airbus à la mise en œuvre de mesures de remédiation dont on peut interroger, ex nihilo, l'utilité. La CJIP Airbus comporte en effet l’obligation pour le groupe d’améliorer son dispositif anticorruption en se soumettant, pendant 3 ans, aux vérifications de l’AFA[37]. Selon les lignes directrices PNF-AFA, cette mesure doit permettre à la personne morale de « mieux se structurer pour prévenir efficacement la corruption » et « contribuer à la prévention de la récidive par la mise en place de dispositifs effectifs de prévention des atteintes à la probité ». Si la CJIP n’avait pas abouti et qu’Airbus avait reconnu coupable par un tribunal correctionnel, le groupe aurait pu être condamné, dans le cadre de la peine de mise en conformité prévue à l’article 131-39-2 du code pénal, à la même mesure, mais pour une durée maximale de 5 ans cette fois (utre avantage de la CJIP donc).


Cela étant, de l'aveu même de l'AFA, le dispositif anticorruption mis en oeuvre par Airbus est d’ores et déjà « digne des standards les plus élevés en la matière », étant précisé que l’AFA sait de quoi elle parle dans la mesure où elle avait déjà procédé à un contrôle chezAirbus en 2017. À l’issue de ce contrôle d’initiative, le dispositif anticorruption de l'avionneur avait été jugé conforme en tous points aux exigences de l’article 17. C’est ce que rappelle le communiqué de presse accompagnant la diffusion de la CJIP en relevant que le contrôle de l’AFA a permis de constater que le dispositif anticorruption d'Airbus est « déjà abouti »[38].


Durant l’enquête, le groupe a intensifié ses efforts, renforçant son dispositif anticorruption au point d’aller nettement au-delà de ce qui pouvait être attendu de lui dans la procédure, laquelle exige seulement une coopération de bonne foi à l’enquête. La CJIP relève ainsi qu’ « Airbus a présenté aux autorités de poursuite les améliorations profondes qui ont été apportées à son programme de conformité anticorruption »[39]. On peine dès lors, à première vue, à saisir le bien-fondé de la mesure de mise en conformité sous le monitoring de l'AFA si ce n'est que celle-ci vise à rassurer les autorités anglo-saxonnes quant à l’efficacité des récentes lois anticorruption françaises.


En novembre 2019, préalablement à la conclusion de la CJIP, l’AFA, requise à cette fin par le PNF, a examiné à nouveau le dispositif anticorruption d’Airbus. Les lignes directrices PNF-AFA exigent que la détermination des mesures de conformité susceptibles d’être prévues dans la CJIP tienne compte des conclusions d’un contrôle antérieur effectué par l’AFA, « à condition qu’il soit suffisamment récent ». Ce critère de récence n’étant pas certain, l’AFA était appelée à se prononcer une nouvelle fois.


L'AFA a demandé que « le déploiement [du dispositif anticorruption d’Airbus] soit contrôlé »[40]. Il a donc été convenu entre les parties qu’Airbus procéderait à « des audits ciblés afin de s’assurer de l’exhaustivité du déploiement de ce programme de conformité aux entités et filiales du groupe »[41]. Dans la mesure où un tel programme existe déjà, conçu selon les standards les plus élevés de la place, il s’agit donc seulement d’encourager Airbus à finaliser le déploiement de son programme « aux bornes du groupe », selon l’expression utilisée par l’AFA.


Il reste que l'affaire Airbus, nouvelle marque du succès d'une justice négociée reposant sur la coopération entre la d&fense et les autorités de poursuite, dessine un modèle au sujet duquel il y a lieu de croire en un avenir prometteur. Louable aussi, est le souci du PNF et de l'AFA se se conformer aux guidelines qu'ils ont publiées. De notre point de vue, le dispositif normatif et organique français, tant en matière de conformité que de répression de la délinquance financière, a gagné en crédibilité auprès de nos alliés. Auprès des acteurs économiques, aussi sans doute.


 

[3] La CJIP a été introduite en droit français par la loi du 9 décembre 2016 (dite « loi Sapin II ») et récemment étendue aux faits de fraude fiscale par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018. V. l’article de Sélim Brihi, « Le PNF et l'AFA publient des lignes directrices sur la mise en oeuvre de la CJIP », 15 oct. 2019.

[4] Guillaume Daïeff et Ghislain Poissonnier, CJIP : les premiers pas prometteurs de la justice pénale négociée, La Semaine Juridique Edition Générale n° 38, 17 sept. 2018, 952 ; Guillaume Daïeff et Ghislain Poissonnier, CJIP : « Mieux vaut tard que jamais », La Semaine Juridique Edition Générale n° 7-8, 17 févr. 2020, 198.

[5] C. pr. pén., art. 41-1-2, II, al. 4.

[7] La réglementation ITAR vise à contrôler les importations et exportations de matériels militaires en soumettant les opérations à une autorisation du DoS dès lors qu’elles sont en lien avec les États-Unis.

[8] Pauline Dufourcq, Justine négociée : les enseignements de la convention judiciaire d’intérêt public Airbus, Dalloz Actualité, 18 févr. 2020.

[10] CJIP, §§ 35 et 48. V. aussi §§ 54 à 153.

[11] CJIP, § 47.

[12] CJIP, § 35. La CJIP précise que l’activité d’Airbus en France et au Royaume-Uni était soutenue par les agences de crédit-export COFACE et UK Export Finance (§ 34).

[13] V. l’article du Point, qui revient en détail sur les pratiques frauduleuses constatées lors des campagnes de vente d’Airbus : « Pourquoi Airbus a payé une amende record de 3,6 milliards d'euros », 1er févr. 2020.

[14] CJIP, §§ 36 et 49.

[15] CJIP, § 37.

[16] CJIP, § 40.

[17] CJIP, §§ 39 et 51. V. décision-cadre du Conseil de l’UE du 13 juin 2002, n° 2002/465/JAI ; C. pr. pén., art. 695-2.

[18] CJIP, § 43.

[19] CJIP, § 45.

[20] CJIP, § 46.

[21] CJIP, § 11.

[23] CJIP, III.2. La coopération d’Airbus aux enquêtes des autorités de poursuite.

[25] CJIP, § 52.

[27] CJIP, § 155.

[28] CJIP, § 157.

[29] CJIP, § 159.

[30] CJIP, § 158.

[31] CJIP, § 160.

[32] CJIP, § 161.

[33] CJIP, § 156.

[34] CJIP, § 162.

[35] CJIP, § 169.

[36] CJIP, § 180.

[37] C. pr. pén., art. 41-1-2, I, 2°.

[39] CJIP, § 171.

[40] CJIP, § 174.

[41] CJIP, § 177.

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