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Première décision de la Commission des sanctions de l'AFA : l’AFA fait sa loi

Le 4 juillet 2019, la Commission des sanctions de l’Agence française anticorruption a rendu sa première décision, parachevant le premier cycle des contrôles Sapin II débutés dès octobre 2017. Concise mais remarquablement motivée, elle peut rassurer les professionnels par le sérieux et l’indépendance de son analyse. Amaury Bousquet, élève avocat au barreau de Paris, a pris part à la défense d’entités dans le cadre de contrôles AFA, notamment lors de la première procédure de sanction de l’Agence française anticorruption. Il revient sur cette décision inédite dans une série de plusieurs articles.

 

Inspirée des meilleurs standards internationaux (les fameux FCPA américain et UKBA britannique), la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite « loi Sapin II »), et notamment son article 17, a créé pour les grands groupes français un corpus structurel de 8 obligations (piliers) destinées à prévenir et à détecter la corruption, telles qu'une cartographie des risques, un code de conduite ou encore un dispositif d'alerte interne. Pour veiller au respect de ces obligations, le législateur a institué une nouvelle autorité, l’Agence française anticorruption (AFA), service à compétence nationale rattaché aux ministères de la justice et du budget.


La saine ambition tracée par la loi Sapin II partait du constat suivant. Avec beaucoup de retard, il était apparu que les entreprises françaises n'avaient pas pris la mesure du sujet de la corruption. Non qu’elles étaient indifférentes mais beaucoup d’entre elles considéraient que l'exercice de prévention et de détection ne leur ressortissait pas. Ainsi, souvent, dans les cartographies des risques, la corruption était intégrée comme élément du risque pénal ou de fraude et n’était pas envisagée comme risque autonome, multidimensionnel. Or, il en allait de la compétitivité des fleurons hexagonaux - au-delà de l’image d’une France qui, depuis des années, voyait ses entreprises sanctionnées les unes après les autres par des États-Unis qui, prompts à faire la démonstration de puissance de leurs lois extraterritoriales, et comme souvent en avance en matière d’éthique des affaires, montraient peu de modération face à l'inertie de grands groupes transnationaux tolérant qu’on puisse parfois faire fi de ces lois éthiques un peu pompeuses, peu adaptées aux impératifs du business. En définitive, il fallait se hisser au niveau d’exigence initié par les démocraties anglo-saxonnes ; et s’il fallait sanctionner des entreprises négligentes, autant que l’amende soit recouvrée par Bercy.

Le 22 décembre 2017, six mois après l'entrée en vigueur de l’article 17, la version définitive des recommandations de l’AFA était publiée au Journal Officiel. Porteuse d’enseignements, la publication de ces recommandations correspondait à l’une des deux grandes missions que le législateur avait entendu assigner à l’AFA : l’accompagnement des acteurs.


Utilité et nécessité

Les recommandations de l’AFA étaient très attendues en raison des interrogations suscitées par l’entrée en vigueur des obligations de l'article 17. Leur publication s’avérait de ce point de vue un préalable indispensable à l'application effective de la loi Sapin II. Les doutes développés par les groupes visés par l'article 17 - dont il n'est pas exagéré de penser qu'ils nageaient en plein flou au 1er juin 2017, date à laquelle ils devaient être en mesure de démontrer leur conformité - quant à l’ampleur des actions à mener appelaient en effet des indications pratiques devant aider à la mise en application de ces nouvelles obligations.

Denses et didactiques, les recommandations de l'AFA, inspirées de ce que le DoJ fait s'agissant du FCPA, étaient diffusées au grand jour pour aider les acteurs économiques à se mettre en conformité avec les dispositions de la loi Sapin II et leur apporter, à cet égard, un certain nombre d'éléments de compréhension utiles dans le cadre de l’élaboration de leur dispositif anticorruption. Mieux, elles les éclairaient sur les attentes de l’AFA. Cette dernière, qui venait de diligenter ses premiers contrôles en octobre 2017, ne devait pas manquer d’utiliser ses recommandations comme mètre-étalon dans l’exercice de sa mission de contrôle. Utiles, ces recommandations se sont en réalité révélées nécessaires tant l'AFA a cru pouvoir contrôler le respect de l'article 17 au regard de ses propres préconisations, en témoignent ses premiers contrôles.


Les recommandations, venues préciser la loi, non la grossir


La première vague de contrôles de l’AFA a été engagée par son directeur de façon précoce, en octobre 2017, moins de six mois après l’entrée en vigueur de l’article 17 (le 1er juin 2017), avant que l’AFA ait livré ses recommandations (le 22 décembre 2017). A cette date, tout restait à créer : la portée de l’article 17, la signification de ses 8 items, le périmètre de la mission de contrôle de l’AFA.

Or, il ressort de manière frappante de ses premiers contrôles que l'AFA, qui avait à imprimer son style, s’est mise en tête d’évaluer la qualité des dispositifs anticorruption, c’est-à-dire l'application de 8 mesures vaguement définies à l'article 17, à l’aune de ses propres préconisations (ses recommandations du 22 décembre 2017). Autrement dit, l’AFA, excédant le périmètre de son habilitation, contrôlerait le respect d’une prescription légale au travers de l’appréciation qu’elle-même en aurait.


Dans un entretien accordé à la revue Droit pénal en juin 2019, le directeur de l'AFA annonçait la couleur :


« Les entreprises auraient pu avoir leurs propres interprétations des textes, mais il fallait que nous leur indiquions ce que nous attendions d'elles »

Ses premiers rapports de contrôle en attestent, l’AFA semble jauger les dispositifs anticorruption en place au prisme de ses propres préconisations, les griefs qu’elle trouve à formuler dans le cadre de ses contrôles n'étant rien d'autre que l’application uniforme de recommandations voulues comme point de référence, non comme cadre de jugement. Cela n’a pas manqué d'interroger, a fortiori s'agissant des entités contrôlées dès octobre 2017 qui n’avaient pas eu préalablement accès aux recommandations publiées le 22 décembre 2017, ce qui devait s’avérer préjudiciable si, en définitive, l'AFA en attendait le plus strict respect.

Tout est question d’interprétation

Il importe de rappeler l’essentiel qui, comme fréquemment, manque à l’analyse. Le législateur a fixé un objectif, qu’il a inscrit dans un texte laborieusement débattu, l'article 17, seul opposable aux entités asujetties. Pour atteindre cet objectif, le législateur a déterminé les 8 outils qui, en droit français, composent un dispositif anticorruption et en a précisé l'objet et la nature. La rédaction sommaire des 8 mesures de l'article 17 laissait les entreprises libres de les interpréter pour les appliquer efficacement au regard de leurs besoins et de leurs risques. Dès lors, il était bienvenu - nul ne le conteste - qu’une documentation d’ordre pratique soit publiée pour clarifier la liturgie schématique de l'article 17. Guide utile dans le cadre de travaux de mise en conformité, les recommandations du 22 décembre 2017 apportaient donc un certain nombre d'informations dont on pouvait saluer la précision et la qualité, notamment pour ce qui est du contenu et de la méthodologie des 8 mesures à mettre en oeuvre.


Encore aurait-il fallu que l'AFA en reste à proposer aux acteurs concernés une marche à suivre, indicative, optimale peut-être mais dénuée de caractère impératif. Encore aurait-il fallu que les recommandations, abstraites, facultatives et générales, ne soit pas utilisées pour délayer illégalement la norme initiale dans des exigences plus vastes ou plus fines.

Il n’était en effet pas attendu que l’AFA exige une appropriation systématique, quasi dogmatique, de ses recommandations du 22 décembre 2017.


Si interpréter signifie mettre en équivalence la volonté de l’auteur d’un texte et la lecture qu’en fait son interprète, alors il y aura toujours autant de traductions que de lecteurs. Les recommandations du 22 décembre 2017 n’ont de ce point de vue pas arrêté autre chose que la position de l'AFA vis-à-vis de l'article 17.

Les rédacteurs de l’article 17 se sont refusés à aller dans le détail. Ils n'ont pas indiqué aux entreprises comment faire. Ils ont donné la direction à prendre. Là gît précisément l'origine des difficultés : l’imprécision de la loi. Tant mieux, dans un sens, si la loi ne prétend pas tout connaitre et tout régir et si l’autorité normative, consciente des responsabilités de chacun, sait que la mise en œuvre des intentions qu’elle encloue ne peut matériellement aboutir qu’en tenant compte de la réalité économique, de la pluralité des acteurs concernés, de la diversité des conjonctures qu’ils affrontent, parfois à mille lieux des prétentions textuelles. Par définition, les situations visées par un texte de loi ne sont pas semblables, et ne peuvent même appréhendées ex ante. Des règles trop précises, trop rigides, trop détaillées sont contre-productives : elles figent l’interprétation et ne permettent, une fois confrontées aux réalités casuistiques de leur application, une mise en place efficace, conforme aux fins initialement visées. Pragmatique, cette façon de légiférer se veut en outre respectueuse du principe d’égalité puisque le cadre d’action, défini par le législateur, sera identique pour tous et que ne diffèrera, le cas échéant, que la façon pratique d'atteindre les objectifs fixés, placée, elle, sous le contrôle du juge.

A cet égard, l’article 17 a assigné aux entités asujetties des objectifs vers lesquels tendre davantage qu’il n’a créé, à leur charge, une obligation de moyens. Laissant les organisations définir elles-mêmes les modalités pratiques de la mise en oeuvre des 8 mesures de l'article 17, le législateur a voulu, semble-t-il, une forme de plasticité inhérente, suivant la dialectique de ces directives européennes qui renvoient aux États membres le soin de décliner des ambitions en actions concrètes. Ce n'est pas travestir l'intention du législateur que de penser que l'article 17, pesé au trébuchet, a été rédigé de façon à permettre à chaque organisation de concevoir un dispositif anticorruption adapté, ergonomique, cohérent avec son secteur d'activité, son modèle, son profil de risques, ses contraintes et ses particularités. De la sorte, c’est aux entités visées par l'article 17 qu'il appartient de prendre, dans le cadre de leur gestion interne, les décisions adéquates pour atteindre, le plus intelligemment possible, les objectifs de l'article 17. A l'inverse, l'autorité chargée de veiller au respect d’une norme (ici, l'AFA) ne saurait imposer aux entités asujetties les conditions de son application et, ce faisant, limiter la liberté interprétative que le législateur a entendu réserver à ces entités.


Dans le détail, le choix des méthodes, des outils ou des prestataires pour atteindre les objectifs de l'article 17 relève de la responsabilité des entités asujetties qui sont les mieux placées – et les seules légitimes, du reste – pour décider, en faisant preuve de discernement, d'intelligence critique et de proportionnalité, des mesures à mettre en oeuvre, des paramètres à ajuster et des moyens à déployer. Cela se justifie par la nécessité d’adapter, d'apparier, de proportionner à chaque organisation, au regard de ses activités, des zones géographiques qu'elle couvre, de ses parties prenantes et de ses risques d'exposition, les mesures demandées. C’est non seulement une question de bon sens mais également l’assurance que la liberté d’entreprendre, qui comporte en corollaire la liberté des entreprises de s'organiser comme elles l'entendent, garantie au plan constitutionnel, ne succombera pas à l’exercice du pouvoir de contrôle de l’autorité administrative.

Confronter une entreprise aux recommandations du 22 décembre 2017, c'est-à-dire à la version de la loi proposée par l'AFA, reviendrait à porter un jugement de valeur excessif au regard de ce qu’exige l'article 17 et, dès lors que l’entreprise est en mesure de démontrer à l'AFA que les 8 objectifs de l'article 17 sont atteints, quelles qu'en soient les modalités, alors il n’y a pas de sujet.


© Nicolas Tavernier. REA

Détourner les recommandations de leur objet


Cette architecture prudente, pensée pour assurer un équilibre entre la liberté d'entreprendre et l'exigence d'un contrôle des mesures à mettre en oeuvre pour prévenir et détecter la corruption, témoignait du souci du législateur de garantir aux entités asujetties la marge de manœuvre nécessaire à une application intelligente de la nouvelle loi et d'enserrer la capacité de coercition de l'autorité de contrôle. Mais, plus royaliste que le roi, l’AFA s'est immiscée dans la brèche, envoyant aux entités asujetties le message qu'il serait préférable pour elles qu'elles se conforment ad unguem aux recommandations du 22 décembre 2017, soit à ses propres préconisations. Autrement dit, il s'agirait d’aller plus loin que la loi. Ou de faire dire à la loi ce que celle-ci n'impose pas.

Il ne viendrait pas à l’AFA l'idée de se référer explicitement aux recommandations du 22 décembre 2017 dans ses rapports de contrôle de même qu'il n’arrivera pas que l’AFA assoie directement ses constats de manquement sur ses recommandations. Les juges administratifs censureraient inévitablement une telle démarche au visa du principe de légalité. L’AFA - elle le sait - ne peut trouver à formuler de grief que sur le fondement de l'article 17, seul opposable aux entités assujetties. Ainsi, quand, dans ses rapports de contrôle, l’AFA se réfère à ses recommandations, c’est uniquement pour inviter l’entité contrôlée à s’y rapporter, « en vue de l'amélioration des procédures existantes ».


En réalité, le procédé est plus sournois et l’impression transpire, souvent, à la lecture d’un rapport de contrôle de l’AFA que les manquements relevés - et les appréciations qui les soutiennent - transposent les recommandations du 22 décembre 2017 à la situation analysée. Les observations de l'AFA dans ses rapports de contrôle renvoient ainsi confusément à une méthodologie, une terminologie, un degré de précision qui ne figurent nullement à l'article 17 mais que l'on retrouve, parfois au mot près,dans les recommandations du 22 décembre 2017. Ainsi - et ce n'est pas dénaturer sa méthode de contrôle -, l'AFA utilise sans le dire ses recommandations comme grille de lecture pour apprécier la qualité d'un dispositif anticorruption et, au final, les constatations établies par l'AFA dans le cadre de ses contrôles ne sont qu'un décalque de sa propre interprétation de l'article 17, non seulement rigoriste mais surtout subjective et discutable.

Or, en positionnant des attentes supérieures à celles de la loi, l'AFA méprise les principes de légalité et de stricte interprétation de la loi répressive - ainsi que le principe de non-rétroactivité pour les entités qui ont fait l'objet d'un contrôle antérieurement à la publication des recommandations du 22 décembre 2017 - et manifeste une immixtion trop intrusive au regard de la liberté d'entreprendre.


À quelle aucune évaluer la conformité ?


La question de savoir si les entités asujetties à l'article 17 sont libres de leurs méthodes ou doivent au contraire se fier aux recommandations du 22 décembre 2017 n’est pas purement procédurale. L’enjeu se situe à un autre niveau car choisir l’angle au travers duquel sera appréciée la qualité de l'une des 8 mesures de l'article 17 est déterminant de l’issue d’un contrôle, particulièrement s'agissant de la cartographie des risques de corruption.


Systématiquement, l’AFA soutient que la méthodologie suivie par l'entité, n’étant pas celle recommandée, ne permet pas de considérer que les outils soient conformes. De façon iconique, l’un des premiers contrôles de l'AFA s’est arrêté sur la question de savoir si la cartographie des risques de l'entité répondait aux exigences de l'article 17. Cette orientation (attaquer la cartographie à la sulfateuse) répondait à une stratégie commode, qui épargnait à l’AFA d’avoir à examiner en profondeur le reste du dispositif en place : en clair, si la cartographie s’avérait non conforme, les autres outils, basés sur celle-ci selon l’appréciation « systémique » prônée par l’AFA, ne pouvaient pas l’être non plus.


En l’espèce, plutôt que de relever que le travail de cartographie avait été initié avant l'entrée en vigueur de l'article 17, que l’entité avait fait appel à l’expertise d’un prestataire reconnu, ou que des actions correctives avaient été décidées sur la base de cette cartographie, l’équipe de contrôle s’est limitée à remarquer que cette façon de procéder n'était celle recommandée. Dès lors, tout était à jeter.

Telle n’a pas été l’appréciation de la Commission des sanctions de l'AFA, dans sa décision du 4 juillet 2019, qui a tenu compte des efforts de l'entité, mis en perspective le modèle présenté avec les visées de la loi et valorisé sa montée en puissance continue. De fait, la première audience devant la Commission des sanctions a rendu compte de la vacuité des charges avancées : bloquée dans une interprétation univoque, l'AFA avait balayé les explications apportées par l'entité au prétexte que la méthodologie recommandée - publiée postérieurement au contrôle (!) - n’avait pas été suivie, sans vérifier si l’objectif était atteint, pire, sans détailler en quoi elle considérait que la cartographie proposée n'était pas pertinente. Rappel important de la Commission des sanctions à cet égard, si les entités se démarquent des recommandations du 22 décembre 2017 et qu’elles parviennent, si cela venait à être contesté, à démontrer la pertinence des choix faits, alors aucun manquement ne doit être caractérisé. On appréciera cette marque de réalisme, qui semble correspondre à l'esprit de la loi.


Au-delà du texte : l'esprit


Nul ne conteste que dans le cadre de ses opérations de contrôle, l'AFA doive s’appuyer sur une assise conceptuelle, sans quoi ses contrôles seraient qualifiés d'amateurs si ce n'est d'arbitraires. Quoi de mieux en l'occurrence que ce qu'elle a elle-même présenté comme le premier « référentiel français anticorruption » (mais non le seul) ? Au-delà de la seule existence des 8 mesures de l'article 17, il importe que les entités asujetties soient à même de démontrer, le cas échéant, la qualité et l'efficacité de ces mesures, ainsi que leur déploiement, sans quoi l'AFA trouvera à redire. Alors que le niveau d’exigence des premiers contrôles de l’AFA - et la sévérité des sanctions qui ne manqueront pas d’être un jour prononcées - gageront aux yeux des autorités étrangères la crédibilité d'une loi Sapin II qui a encore tout à prouver de son efficacité opérationnelle et de sa force d'entrainement, il surgirait un débat légitime, a fortiori à l’heure où se pose avec acuité la question du bon emploi des deniers publics et que sont dirigés à la casse les organismes parastataux qui ne font pas la preuve de leur utilité, si l'AFA ne procédait qu'à des vérifications cosmétiques.


Ceci étant, aussi vrai que l'AFA n'est pas un organisme de certification formelle, il n'est pas concevable qu'elle aille plus loin que la mission que la loi lui a strictement impartie.

Il n'était pas inutile que le Conseil constitutionnel considère que, pour être valide, une norme d'incrimination doive définir sans ambiguïté le comportement réprimé de telle sorte qu'une infraction ne saurait être définie en des termes imprécis, vagues ou contradictoires car ce serait alors conférer une marge d'appréciation dangereuse aux autorités chargées d'assurer son exécution. Une position partagée par la CEDH selon laquelle un justiciable doit être en mesure de savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, quels actes - ou quelles omissions, la non conformité avec l'article 17 relevant davantage de la carence - sont susceptibles d'engager sa responsabilité pénale ou administrative.

Dès lors, l’interrogation est réelle - et fondamentale - car si l'AFA surajoute aux prescriptions de l'article 17, et si ses contrôles s'avèrent en réalité être des audits destinés à s'assurer du respect de ses recommandations du 22 décembre 2017, alors elle dénature la loi, dévoie l'objet de son contrôle et compromet les droits des entités visées. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État avait émis des réserves sur le fait que l'AFA soit autorisée à édicter des « lignes directrices relatives aux mesures à prendre pour prévenir la corruption », précisément en raison de leur « valeur juridique indéterminée ». Or, il est clair que l'article 17 n’a nullement prévu que l'AFA contrôle le respect de recommandations qu'elle a elle-même édictées, qui sont « dépourvues de force obligatoire et ne créent pas d’obligation juridique » et dont elle ne saurait se prévaloir pour reprocher le cas échéant un quelconque manquement.

À l’instar des « grilles » qu’elle utilise dans le cadre de ses contrôles - et dont, après en avoir nié l'existence, elle a refusé la communication à l'entité poursuivie -, les recommandations du 22 décembre 2017 ne peuvent servir à l'AFA de matrice dans le cadre de ses contrôles qu'à la condition indispensable que la conformité d'une mesure à l'article 17 ne soit, in fine, évaluée qu’à la seule aune des objectifs fixés par ce même article 17, sans quoi il y aurait à déplorer que l’AFA applique sa propre loi.


Deux lectures de la décision du 4 juillet 2019


Lorsqu'il lui était reproché de s’être fondée, dans le cadre de son appréciation, sur les recommandations du 22 décembre 2017, l'AFA reprenait à son compte - à bon prix - les moyens soulevés par les entités qui invoquaient une violation du principe de légalité et de stricte interprétation : d'un redoutable tour de passe-passe, l'AFA, réfutant l’argument, confirmait ce qu'elle avait pourtant dénié en pratique, à savoir que ce n’est qu'au regard du seul article 17 qu'elle peut trouver à formuler un manquement.

A cet égard, la première décision de la Commission des sanctions était attendue pour se prononcer sur l'utilisation des recommandations du 22 décembre 2017 au gré des contrôles de l'AFA : définir la valeur accordée à ces recommandations était crucial car cela revenait à déterminer le périmètre des obligations des entitées asujetties et, partant, du contrôle de l'AFA. Officiellement, il était déjà entendu que ces recommandations ne pouvaient être que des éclairages sans portée contraignante. À croire la Commission des sanctions, le respect des recommandations du 22 décembre 2017 assurerait une présomption de conformité, à charge pour l'AFA de la renverser le cas échéant. Au contraire, s’écarter des recommandations impliquerait pour l’entité d’être en mesure de justifier de la pertinence des mesures en place en justifiant de la méthode choisie (comply or explain).


Dans le communiqué, aigre, qui accompagne la décision, l’AFA conclut pour sa part que si ses recommandations n’ont certes pas de force contraignante, la Commission des sanctions inciterait à s’y conformer. On peut lire autrement la décision du 4 juillet 2019 et considérer que les recommandations du 22 décembre 2017 - qui ne peuvent être, ce n'en est pas l'objet, adaptées à la réalité de chaque entité - ne doivent pas obligatoirement être suivies à la lettre pour autant que les objectifs de l'article 17 sont remplis et qu’il est possible de le prouver. Notons que le respect des préconisations de l’AFA ne dispense de toute façon pas pas les groupes français de respecter les référentiels anticorruption des États étrangers sur le territoire desquels elles opèrent, ce qui interroge l’importance pratique des recommandations du 22 décembre 2017.

Dans Kant et le problème de la métaphysique, Heidegger écrit :


« Il est vrai que pour saisir au-delà des mots ce que les mots veulent dire, une interprétation doit fatalement user de violence. Mais cette violence ne peut se confondre avec un arbitraire fantaisiste. L’interprétation doit être animée et conduite par la force d’une idée inspiratrice. »

Si les incertitudes, vives, nées au sujet des exigences de l’AFA dans ses contrôles ont trouvé une réponse utile grâce aux recommandations du 22 décembre 2017, il y a lieu de penser que les contrôles de l'AFA, poussés, sévères, vont au-delà de ce que demande l'article 17. La première décision de la Commission des sanctions n’a pas éteint les doutes relatifs à la manière dont l’AFA procède à ces vérifications et à la manière dont celle-ci apprécie la conformité d'une mesure à l'article 17. Ce fameux article 17, sa signification et sa portée risquent de générer de longs débats d’interprétation.


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