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« Bienvenue » devant les cours criminelles départementales

Sélim Brihi est élève avocat au barreau de Paris. Il revient dans cet article sur la réforme de la cour d'assises et l'expérimentation de nouveaux tribunaux criminels sans jury populaire.

 

Présentation de la réforme expérimentale des cours d’assises

L'article 63 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice, en son premier alinéa du paragraphe II, crée des cours criminelles départementales dont la compétence matérielle vise, hors cas de récidive, les crimes punis de plus de vingt ans de réclusion criminelle maximum [1]. Au-delà, les cours d’assises demeurent compétentes.

Leur composition sera la suivante : un président et quatre assesseurs. De fait, les jurys populaires sont exclus de la composition de ces nouvelles cours criminelles départementales. A noter que deux des quatre assesseurs peuvent être magistrats honoraires ou exercer leurs fonctions de manière temporaire.

Ces nouvelles cours criminelles sont des juridictions de premier degré, de telle sorte que, en cas d’appel, les cours d’assises, avec leur jury, redeviennent compétentes.

Sept départements auront la responsabilité, à partir du 1er septembre 2019, d’expérimenter ces nouvelles cours criminelles : la Moselle, les Ardennes, le Calvados, le Cher, La Réunion, la Seine- Maritime et les Yvelines.

Mettons dans la balance les arguments des défenseurs et des détracteurs de la réforme des cours d’assises.


La « perte » discutée du jury populaire

Peut-on parler de « perte » effective du jury populaire ? Si la question mérite d’être posée, c’est que la présence et le rôle du jury doivent être relativisés. Le système actuel veut que les jurés soient tirés au sort et soient placés à côté des magistrats professionnels, sans leur conférer un pouvoir décisionnaire équivalent à celui des magistrats.

Ce point appelle plusieurs observations qui permettent de nuancer l’aspect révolutionnaire de la suppression du jury populaire à titre expérimental.

Premièrement, ce dispositif a été mis en place sous le régime de Vichy, en 1941. Il a été validé par ordonnance à la Libération. Ce système a modifié celui mis en place par la IIIème République selon lequel les jurés statuaient seuls sur la culpabilité de l’accusé et, dans un deuxième temps, débattaient avec les professionnels de la peine à prononcer et de la caractérisation de circonstances atténuantes. On constate la différence substantielle entre les deux systèmes : l’ancien permettait d’obtenir des verdicts qui étaient le véritable reflet de la société, un jugement doté de l’onction populaire, alors que le système aujourd’hui en vigueur marginalise le jury, au point d’amoindrir voire effacer totalement son influence sur la culpabilité de l’accusé.

Deuxièmement, ceci est d’autant plus criant lorsque l’on met en perspective les nombreuses prérogatives du président de la cour d’assises. En effet, ce dernier peut seul détenir le dossier, accueillir les jurés, planifier les audiences, présenter l’exposé liminaire des faits, interroger l’accusé, les experts et les témoins, présider l’audience, assurer la police de l’audience, présider le délibéré, rédiger le verdict et ses motivations [2]. Dès lors, l’expérimentation mise en oeuvre par la loi sur la programmation de la justice a-t-elle franchi un cap ? La perte du jury populaire ne date-t-elle pas déjà de 1941 et non de 2019 ? La réforme est ici salutaire en ce qu’elle établit le principe de la communication du dossier aux assesseurs devant la cour départementale, ce qui permet non seulement aux assesseurs de mieux suivre le dossier qui n’est plus uniquement entre les mains du président, mais également de se voir déléguer, notamment dans les dossiers longs et complexes, une partie de l’instruction à l’audience, ou même le tout, en cas de défaillance du président, ce qui constituait, selon Alain Blanc, « une pratique déjà mise en oeuvre pour des raisons pratiques, à bas bruit, avec l’accord tacite des parties mais en violation de la loi » [3].

En dernier lieu, trois types de cour d’assises fonctionnent déjà sans jury populaire : celles compétentes pour juger les crimes en matière militaire en temps de paix [4], celles compétentes en matière de terrorisme [5] et celles compétentes pour juger les crimes en matière de trafic de stupéfiants [6]. Le jury est rétabli au stade de l’appel, de la même manière que ce qui est entériné par la réforme.

Un gain de temps ?

L’économie de temps constitue l’un des motifs le plus régulièrement invoqué pour justifier la suppression des jurys populaires. L’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi mettait en lumière l’allongement du délai pour juger les affaires, soit 13 mois en 2016, et l’augmentation significative du taux d’appel (24% en 2006 et 30% en 2015 et 2016), ce qui donne une proportion de 22% de dossiers d’appel en attente d’audiencement [7].

On comprend, plus concrètement, que le gain de temps réside dans tout ce que la suppression des jurys implique concrètement : les modalités administratives liées à la convocation des jurés, puis, lors de l’audience, le rappel par le président de la procédure qui va se dérouler et de la peine encourue par l’accusé, le tour de table des jurés (pendant lequel chaque juré a la possibilité d’exprimer librement son point de vue sur le dossier), le vote des jurés sur la culpabilité, les questions complémentaires posées aux jurés en cas de déclaration de culpabilité de l’accusé et le vote des jurés sur la peine.

Cependant, était-ce le moyen le plus adéquat et proportionné pour réduire les délais encadrant les procès d’assises ? La suppression du jury populaire n’est-elle pas une solution radicale ? Afin de retrouver un rythme processuel plus rapide, les praticiens et observateurs ont toujours recommandé d’accroire les moyens de la justice en multipliant le nombre de sessions des cours d’assises [8].


Un attachement discuté au jury populaire

Le jury populaire est chargé de symboles. Il représente l’application concrète d’un acquis démocratique selon lequel le peuple rend la justice, que l’on constate sur chaque, jugement, arrêt ou ordonnance par l’apposition de la fameuse formule « Au nom du peuple français ». Sa préciosité est inexorablement lié à sa rareté : sa seule et unique présence au sein des cours d’assises dénote l’importance accordée à la proximité entre le peuple et l’institution judiciaire.

Or, une telle réforme tend à abîmer cette proximité. Éloigner le peuple de la justice est un pari risqué, et, ce, pour les deux parties. En effet, les magistrats ont besoin du point de vue populaire, plus concret et plus spontané que celui, technique et objectif, des magistrats. La complémentarité qui s’opère entre l’analyse du jury et celle des magistrats professionnels lors d’un délibéré est d’une importance considérable qui permet de rendre une décision plus adaptée à la réalité, c’est-à-dire plus juste, tout en augmentant sans doute son degré d’acceptabilité.

Par ailleurs, la suppression du jury va mettre à mal la procédure dérogatoire au droit commun propre aux assises : l’oralité des débats. C’est cet aspect procédural qui est nécessaire à la formation de l’intime conviction des juges [9]. En ce qui concerne les jurés, entretenir le lien du peuple et l’autorité judiciaire est capital : se mettre dans la peau du magistrat permet de comprendre la difficulté que ce dernier rencontre, tant quand il s’agit de rendre un verdict en appliquant le droit que lorsqu’il convient de maîtriser des règles procédurales d’une complexité parfois significatives.

Cependant, est-on véritablement attaché au jury populaire ? L’expérience de juré est très souvent décrite comme exceptionnelle et positive. Néanmoins, il est possible d’y voir un « épisode de vie destructeur », selon le mot de Me François Saint-Pierre [10].


La création de plusieurs catégories de crimes

Comme rappelé ci-dessus, ces nouvelles cours d’assises ont pour compétence matérielle les crimes dont la peine de réclusion criminelle s’étend jusqu’à vingt ans et, à condition que l’accusé soit majeur et ne soit pas en état de récidive légale [11]. A noter que les cours criminelles départementales sont compétentes pour juger des délits connexes [12].

Ainsi, il y aurait une catégorisation mise en oeuvre entre les crimes. Très vite, il est possible de faire le lien entre « catégorisation » et « hiérarchisation ». Une hiérarchie parait légitime au regard des quantum de réclusion criminelle instituées par le législateur : il est objectivement juste de considérer que les crimes punis de plus de vingt ans de réclusion criminelle sont plus graves que ceux dont la réclusion est inférieure à vingt ans.

Néanmoins, il devient hasardeux d’en conclure à la suppression du jury populaire dans la mesure où le législateur « juge » que certains crimes mériteraient l’avis populaire, là où d’autres seraient relégués au rang de délits ou contraventions. Ceci nous amène indéniablement à reprendre le sens et la portée du crime. Quels sont ces crimes qui ne feraient pas suffisamment résonance dans l’intérêt général au point d’en exclure le jugement populaire ? La plupart des auteurs et praticiens s’accordent pour dire que la hiérarchisation opérée par le législateur vise les crimes sexuels [13]. En 2017, le nombre de condamnations prononcées par les cours d’assises à des peines inférieures à 10 ans - criminelles ou correctionnelles - représente pratiquement la moitié du total des peines prononcées, là où les affaires de viol constituent la moitié des affaires soumises aux cours d’assises [14]. Ce n’est certainement pas un hasard si cette réforme cherche à soumettre le viol à une justice « allégée » lorsque l’on connait la pratique de la correctionnalisation en cette matière, malgré la caractérisation de l’élément constitutif de pénétration et parfois sans que la partie civile y ait préalablement consenti [15].

Pourquoi les crimes sexuels seraient-ils ostracisés de la sorte ? L’analyse juridique conduisant à la caractérisation de leurs éléments constitutifs est-elle plus technique que celle concernant l’homicide au point de réserver celle-ci à des magistrats professionnels ? Difficile à croire lorsque l’on recueille le point de vue de certains professionnels, à l’instar de Me Hervé Temime qui estime que « la cour d'assises actuelle, aussi critiquable soit-elle, est sans doute la juridiction où la justice est rendue avec le plus de soin, le plus de solennité et le plus de sérieux » [16].

Ces crimes sexuels méritent-ils une justice plus rapide ? Probablement. Mais, un un tel motif postule d’un jugement de valeur du législateur au détriment des autres crimes, d’une prise de position emprunte d’une subjectivité peut-être trop marquée, que d’aucuns jugeraient démagogique. Au nom de quel principe fondamental le viol nécessiterait une procédure pénale plus rapide que l’homicide ?


On comprend pourquoi les députés ont, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, saisi le Conseil constitutionnel avant l’entrée en vigueur de la loi sur la programmation et de réforme de la justice. Ils soulevaient la rupture d’égalité que l’expérimentation provoquerait entre les justiciables relevant de l’expérimentation et les autres.

Que répond le Conseil constitutionnel [17] ? Il commence par rappeler que le législateur peut autoriser des expérimentations, en vue de leur généralisation, à condition qu’il en définisse de façon suffisamment précise l’objet et les conditions et de ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle. Il considère ensuite que cette expérimentation est conforme à la Constitution pour deux raisons. En premier lieu, il retient que le législateur a suffisamment défini l’objet de l’expérimentation en ce que celle-ci est encadrée sur le plan géographique (deux départements minimum et dix départements maximum) et sur le plan temporel puisqu’elle durera trois ans à compter de la date fixée par arrêté ministériel et qu’elle sera applicable aux jugements des personnes mises en accusation rendus deux après cette date. En second lieu, le Conseil constitutionnel analyse la rupture d’égalité comme « la conséquence nécessaire de la mise en oeuvre de l’expérimentation ».

Seulement, on comprend que l’analyse de la rupture d’égalité porte sur les critères spatio-temporels et, de fait, entre, d’une part, les justiciables localisés dans les départements visés par l’expérimentation et ceux situés en dehors, et, d’autre part, entre les justiciables dont le jugement sera rendu dans la période décrite ci-dessus et ceux hors période. Par voie de conséquence, la rupture d’égalité ne portait pas du tout sur la création de deux types de crimes. La question aurait-elle été mal formulée par les députés ? Le Conseil constitutionnel a-t-il feint de ne pas voir la portée significative voire fondamentale de cette question ?


Les symptômes de la réussite

Au regard de l’objectif affiché de la réforme, l’expérimentation sera une réussite si la justice d’assises se trouve désengorgée, avec comme premier indicateur l’évolution du taux d’appel. Cet objectif est naturellement conditionné à la bonne volonté de tous les acteurs du procès criminel : les avocats des parties civiles et des accusés ; les parquets généraux ; les magistrats du siège.

De nombreux auteurs insistent sur l’importance du suivi de cette réforme en ce qu’elle est l’occasion de réaliser des progrès sur plusieurs sujets sensibles liés à la qualité de la procédure pénale, à l’instar des longues peines et du sens que l’on veut lui donner : comme le rappelle Alain Blanc, « 97% des personnes jugées aux assises partent ou restent en détention » [18].


 

[1] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 63, II

[2] François Saint-Pierre, Au nom du peuple français, Jury populaire ou juges professionnels ? Odile Jacob

[3] AJ Pénal 2019, p. 184, A. Blanc, La réforme de la cour d’assises

[4] Art. 698-6 C. pr. pén.

[5] Art. 706-25 C. pr. pén.

[6] Art. 706-26 C. pr. pén.

[7] Etude d’impact du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022, p. 359

[8] Ibid 3

[9] Art. 353 C. pr. pén. : « La loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ? " »

[10] Le Point, 9 mai 2919, Cour d'assises sans jurés : une bonne ou une mauvaise réforme ?

[11] Ibid 1

[12] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 63, II

[13] Ibid 3

[14] L’activité pénale des juridictions, p. 133

[15] AJ Pénal 2017, 255, Le traitement pénal des viols

[16] Ibid 2

[17] Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019

[18] Ibid 3

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