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La loyauté de la preuve et la place des médias dans le procès pénal au prisme de l’affaire Benalla

Diplômée du Master 2 de Droit pénal des affaires de l'université Paris-Est Créteil et membre du Genepi, Candice Hulot signe ici son premier article.

 

Sous la Justice du XXIème siècle, l’aveu ne semble plus reine des preuves comme en témoigne l’actualité judiciaire de ces derniers mois.

Dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Benalla », le juge d’instruction chargé de l’affaire et le représentant du ministère public accueillirent le 19 février dernier des enregistrements sonores produits par le journal Mediapart [1]. Ces enregistrements semblaient démontrer la violation du contrôle judiciaire auquel étaient soumises les personnes mises en cause, ainsi que la potentielle destruction de preuves par ces dernières [2]. Ces enregistrements avaient servi de fondement à l’application d’une mesure de placement en détention provisoire [3], alors même que la véracité de ceux-ci fait encore question, et qu’ils pourraient être considérés comme attentatoires à la vie privée.

Ces enregistrements ont, certes, suscité une polémique sur les faits stricto sensu, mais également un débat sur les méthodes d’investigation employées par le journal et la légitimité de sa démarche. La recevabilité des preuves administrées par les médias à l’aide de moyens illégaux ou déloyaux pose ainsi question (I) et plus largement, la légitimité même de la présence des médias au sein du procès pénal (II).

Les médias à l’épreuve de l’exigence de loyauté probatoire

Le principe de liberté de la preuve s’applique en matière pénale. Ainsi, « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve » [4]

Un impératif de loyauté et de légalité vient cependant limiter ce principe. Selon une jurisprudence constante, la preuve d’une infraction ne peut être rapportée par l’emploi de ruses ou de stratagèmes. Plus encore, elle ne saurait être rapportée en violation des lois et des principes généraux du droit [5].

À la lumière de ces règles procédurales, aucun doute ne subsiste quant à la recevabilité d’un enregistrement sonore réalisé sans autorisation administrative ni judiciaire et à l’insu des personnes qu’il met en cause. Il caractérise manifestement un stratagème déloyal et illégal, a priori irrecevable devant les juridictions pénales.

Toutefois, les impératifs de loyauté et de légalité de la preuve ne s’appliquent qu’aux procédés employés par les autorités publiques [6]. Ils ne concernent point les personnes privées, notamment celles tierces au procès, tels que les journalistes.

C’est donc à bon droit que le 19 février dernier, le juge des libertés et de la détention se fondait sur ces enregistrements pour révoquer le contrôle judiciaire des protagonistes et prononcer une mesure de placement en détention provisoire. En effet, ces éléments de preuve ont été fournis par des personnes privées tierces au procès et sans le concours de représentants de l’autorité publique, jusqu’à preuve du contraire.

Cette décision a cependant été vivement contestée par les conseils des personnes mises en cause, qui invoquaient « l'absence de validité des enregistrements et la non-opposabilité des extraits sonores qui sont visiblement illégaux et dont on ne sait s'il s'agit de montages numériques à partir de voix captées » [7].

Au-delà de la nature même des enregistrements, la recevabilité de ces preuves traduit l’existence d’une entente entre le pouvoir judiciaire et les médias faisant craindre pour la présomption d’innocence et la vie privée. Leur utilisation rend légitime l’emploi de méthodes d’investigation peu scrupuleuses, mais traduisant une appréciation large de la liberté d’expression et du droit à l’information.

Il est vrai que les journalistes bénéficient de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881, qui leur permet de dissimuler leurs sources aux enquêteurs. Plus encore, dans le cadre d’une instruction, les perquisitions dans les locaux d’une entreprise médiatique doivent être réalisées dans le respect du libre exercice de la profession de journaliste, et sans porter atteinte au secret des sources [8]. La personne présente lors de la perquisition pourra également s’opposer à la saisie de tout document ou objet qui lui paraîtrait irrégulière [9].

Il est alors aisé de comprendre que de tels droits puissent ralentir le déroulement d’une enquête ou d’une instruction visant des journalistes, dans la mesure où les personnes ayant apporté leur aide pour recueillir certaines informations sont couvertes par l’anonymat [10], et que la saisie de documents nécessaires à la manifestation de la vérité peut être contestée.

Dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte après la divulgation desdits enregistrements et à l’encontre des journalistes de Mediapart pour « violation de la vie privée » et « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversations » [11], la liberté d’expression et la protection des sources journalistiques étaient effectivement deux arguments avancés par le média en question pour expliquer son opposition à la perquisition de ses locaux [12].

À cet égard, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 et la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) [13] précisent que seule la reconnaissance d’un impératif d’intérêt public et l’usage de moyens nécessaires et proportionnés peuvent permettre de porter atteinte au secret des sources journalistiques.

L’intervention des médias dans le procès pénal : légitimité et ambiguïté

Bien qu’en démocratie les médias soient un quatrième pouvoir indéniable, peuvent-ils légitimement prendre part au procès pénal ?

Il convient de rappeler que les journalistes ne concourent pas à la procédure pénale, les informations couvertes par le secret de l’enquête et de l’instruction ne leur sont donc pas directement accessibles [14]. En outre, si une information est obtenue par un journaliste grâce à une personne tenue au secret de l’enquête ou de l’instruction, le journaliste pourrait être condamné pour recel de la violation de ce secret, conformément à l’article 321-1 du Code pénal.

Plus encore, les journalistes ne sont pas tenus à une obligation de dénoncer les infractions portées à leur connaissance, à l’inverse des agents publics, fonctionnaires et magistrats soumis à l’article 40 du Code de procédure pénale. La collaboration entre le pouvoir judiciaire et certains journalistes d’investigation semble ainsi symptomatique d’une société prônant la transparence.

Cependant, bien que leur présence au sein du procès pénal soit contestable, les médias ne pourraient être totalement évincés de la sphère judiciaire. Ils sont ainsi pris en compte par les auxiliaires de justice via certaines mesures. À titre d’exemple, il est courant qu’une conférence de presse en présence du ministère public soit organisée avant le prononcé d’une décision de justice.

Plus encore, les auxiliaires de justice doivent nécessairement composer avec les journalistes, qui exercent légitimement leur liberté d’expression et contribuent au droit à l’information. A cet égard, la jurisprudence de la Cour de cassation a récemment délimité le périmètre dans lequel les journalistes pouvaient exercer leur profession au cours de l’enquête pénale.

Le 9 janvier 2019, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a effectivement précisé que la présence de journalistes au cours de l’exécution d’une perquisition, avec autorisation de filmer, constitue une violation du secret de l’instruction portant nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne [15]. Dans le cadre de cette affaire, la chambre criminelle a également souligné que la simple présence d’un tiers étranger à l’enquête est suffisante pour entraîner la nullité de l’acte [16].

Une telle décision tend à faire reculer la justice médiatique au profit de la vérité judiciaire dont la mise en oeuvre nécessite davantage de temps. Elle-même s’articule parfaitement avec l’exercice de la liberté d’expression, à condition de respecter la présomption d’innocence et la vie privée, garantis par les articles 2 et 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Ainsi, bien que les règles procédurales applicables à la preuve pénale soient claires, ces dernières semblent devenir une protection de plus en plus fragile face à l’influence accrue des médias dans le cadre de certaines affaires judiciaires. Dès lors, pour une bonne administration de la justice, il serait souhaitable que la jurisprudence voire le législateur, contribue plus encore à encadrer et préciser le rôle des « nouveaux chiens de garde » [17] au seuil et au sein des prétoires.


 

[1] « Alexandre Benalla et Vincent Crase placés en détention provisoire », 19 février 2019, Le Monde

[2] Ibid 1

[3] Article 141-2 du Code de procédure pénale

[4] Article 427 alinéa 1er du Code de procédure pénale

[5] Cass. Ch. Réunies, 31 janvier 1888, affaire Wilson ; Cass. crim., 12 juin 1952, affaire Imbert

[6] Cass. crim., 11 juin 2002, bulletin criminel n°131

[7] « Alexandre Benalla placé en détention provisoire », 20 février 2019, Le Figaro

[8] Article 56-2 du Code de procédure pénale

[9] Article 56-2 du Code de procédure pénale

[10] Dans son arrêt « Becker contre Norvège » en date du 5 octobre 2017, la CEDH affirme pour la première fois que le secret des sources peut être invoqué lors d'un procès qui n'est pas celui du journaliste.

[11] « Alexandre Benalla dépose plainte après la diffusion des enregistrements », 17 février 2019, Le Parisien

[12] « A Mediapart, une perquisition avortée et contestée », 5 février 2019, Le Monde

[13] CEDH, Goodwin contre Royaume-Uni, 27 mars 1996

[14] Article 11 du Code de procédure pénale

[15] Note explicative relative à l’arrêt du 9 janvier 2019, site de la Cour de cassation (v. infra 16)

[16] Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-84.026

[17] Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, 1997

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