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Double censure du délit de consultation habituelle de sites terroristes

Héloïse Dujardin, élève avocate au barreau de Paris, revient sur l'obstination du législateur à créer un délit de consultation habituelle de sites terroristes, retoqué à deux reprises par le Conseil constitutionnel.

 

La question de la constitutionnalité du délit de consultation habituelle d’un site terroriste fait, on peut le dire, d’ores et déjà l’objet d’une saga juridique.

Introduit par la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 à l’article 421-2-5-2 du code pénal, le délit incriminait « le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie. »

Il prévoyait en outre une exonération de responsabilité pénale dès lors que la consultation était effectuée de bonne foi, ou résultait de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, ou intervenait dans le cadre de recherches scientifiques, ou enfin était réalisée afin de servir de preuve en justice.

Rapidement contestée, cette disposition avait fait l’objet d’un renvoi en contrôle de constitutionnalité par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 29 novembre 2016 dans le cadre de la procédure de QPC.

 

Le requérant alléguait que cette disposition contrevenait notamment à la liberté de communication et d’opinion dès lors qu’elle semblait réprimer la simple consultation du type de site visé sans exiger la caractérisation d’une intention terroriste animant l’auteur de la consultation. En outre, il soutenait que l’incrimination était contraire au principe de légalité des délits et des peines et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi en raison de l'imprécision des termes employés dès lors que le législateur n’avait pas pris le soin de définir clairement ce qu’était une consultation de bonne foi, alors même que n’était pas exigée la caractérisation d’une adhésion à l’idéologie véhiculée par le site.

Dans le cadre de cette saisine, le Conseil Constitutionnel a exercé un triple contrôle de la disposition, nécessaire dès lors que celle-ci met en cause l’exercice d’une liberté fondamentale, en l’espèce la liberté de communication. Cette liberté garantit à quiconque le droit de parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre des abus déterminés par la loi (art. 11 DDHC). Le Conseil constitutionnel considère par ailleurs que cette liberté constitue une condition nécessaire de la démocratie, impliquant que les atteintes qui y sont portées soient nécessaires, adaptées et proportionnés à l’objectif poursuivi (cons. 5).

L’objectif poursuivi par le législateur était de prévenir l’endoctrinement d’individus susceptibles de commettre des actes terroristes, par la consultation des sites dont le contenu est prohibé. A première vue, il apparait que le but poursuivi par le législateur n’est ni fantaisiste ni farfelu au regard de la conjoncture actuelle.

Néanmoins, sur le principe de nécessité, lequel doit être respecté par le pouvoir législatif dans l’élaboration de la norme pénale, le bât blesse selon les Sages.

En effet, le Conseil constitutionnel, dans le cadre du contrôle de nécessité de l’atteinte à la liberté en cause, soulève que de nombreuses incriminations et procédures dérogatoires existent déjà et poursuivent le même but. Il relève alors que la disposition contestée fait double emploi avec ces dernières. Dans son considérant 8, il vise notamment l’incrimination de l’article 421-2-6 du Code pénal réprimant la préparation d’un acte terroriste dont l’élément matériel peut consister dans le fait de consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie.

Dès lors, les autorités judiciaires et administratives (dans le cadre de procédures dérogatoires) disposant des moyens propres et raisonnables à contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie, à réprimer leurs auteurs, ainsi qu’à surveiller une personne consultant ces services pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, cela en amont de la phase d'exécution d’un tel acte, la disposition contestée ne semble pas nécessaire à l’ordre juridique français.

Sur le contrôle de proportionnalité de l’atteinte à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel fait de nouveau état d’une carence du législateur.

Effectivement, le texte d’incrimination n’impose ni la caractérisation d’une volonté de l’auteur des consultations de commettre des actes terroristes, ni la preuve d’une adhésion à l’idéologie véhiculée par les sites au contenu prohibé. Le législateur n’aurait-il pas fait là un excès de zèle ?

Ces imperfections auraient pu être compensées par les causes d’exonérations prévues par l’alinéa 2 de l’article déféré. Toutefois, s’il ne fait aucun doute sur l’interprétation à donner aux trois dernières causes d’exonérations prévues (pour rappel : la consultation résultant de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, ou dans le cadre de recherches scientifiques, ou afin de servir de preuve en justice), il est malaisé de comprendre ce que le législateur a voulu dire par « consultation effectuée de « bonne foi » ». L’incrimination ne requérant pas, au titre de son élément moral, une intention terroriste, la définition de la consultation de bonne foi est résolument incertaine.

Aussi, nonobstant la carence de la disposition relativement à sa nécessité, il apparait qu’elle manque également de précision et de clarté. Or, le principe de légalité des délits et des peines implique que le législateur définisse précisément les comportements qu’il entend incriminer. C’est donc sans surprise que le Conseil constitutionnel, par une décision du 10 février 2017 (2016-611 QPC), a censuré cette disposition, et ce, sans report d’effet dans le temps.

 

La décision rendue, l’histoire aurait pu se terminer ainsi.

Cependant, le législateur, persistant, dans le cadre de la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, a entendu réécrire l’article afin de maintenir l’incrimination censurée quelques jours plus tôt.

Il a donc réintroduit l’article 421-2-5-2 du Code pénal en le définissant cette fois comme « le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie lorsque cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ce service. »

Tenant plus ou moins compte de la censure du Conseil constitutionnel, il avait pris le soin, dans un second alinéa, de donner des exemples de ce qu’il entendait par « motif légitime », disposant que « constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la consultation résultant de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s'accompagne d'un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes ».

L’article nouvellement rédigé fit l’objet d’un renvoi en QPC par la chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 4 octobre 2017 (17-90017).

Dans sa décision subséquente, le Conseil constitutionnel procédait de nouveau au triple contrôle de la constitutionnalité de l’atteinte alléguée à la liberté de communication.

Sur la nécessité de la disposition il procède au rappel des dispositions et mesures dont disposent les autorités judiciaires et administratives pour favoriser la lutte contre le terrorisme, déjà mentionnées dans sa précédente décision. Il y ajoutait, en outre, la loi nouvellement promulguée du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, de sorte à justifier davantage l’inintérêt de la disposition contestée, alors que les pouvoirs des autorités administratives avaient encore été étendus récemment, rendant la disposition d’autant moins pertinente.

Sur la question de la proportionnalité de l’atteinte, il considère que, bien que le législateur ait ajouté à l’incrimination un élément constitutif consistant en la « manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée » sur le site litigieux, cet élément, combiné à l’acte de consultation réitéré ne sont pas susceptibles d’établir formellement la volonté de commettre des actes terroristes.

Il en conclut, une fois encore, que le législateur a entendu réprimer le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, indépendamment de toute caractérisation d’intention terroriste de l'auteur. L’atteinte à la liberté de communication n’est donc pas proportionnée au but poursuivi, à savoir la répression de ce qui s’apparente à un acte de nature terroriste.

Enfin, le Conseil constitutionnel se prononce quant à la réelle « innovation rédactionnelle » du nouvel article. Pour ce faire, il relève d’abord que la consultation n’est pas punissable dès lors qu’elle répond à un motif légitime, ensuite que la portée de cette exception ne peut être mesurée puisque le législateur n’a une nouvelle fois pas retenu l’intention terroriste comme élément constitutif de l’infraction.

Car en effet, bien que le législateur, en recourant au terme « notamment », n’ait visiblement pas entendu faire des exemples qu’il cite à l’alinéa 2 une liste limitative des motifs légitimes possibles, il apparait toutefois, compte tenu de cette rédaction, qu’un individu consultant ce type de site et adhérant à l’idéologie qui y était véhiculée ne pouvait bénéficier d’un motif légitime de consultation, par exemple à des fins d’information, alors même qu’il ne serait pas habité par une quelconque intention terroriste.

Il en résultait une incertitude sur la licéité de la consultation de certains sites et donc de l’usage d’Internet pour s’informer. Le Conseil reproche ainsi une nouvelle fois au législateur de n’avoir pas suffisamment défini le comportement qu’il entendait réprimer, en contradiction avec les exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines, empêchant ainsi les justiciables de se comporter conformément aux prescriptions légales faute d’intelligibilité de la loi.

Par conséquent, c’est par une nouvelle censure que l’article 421-2-5-2 du Code pénal a été sanctionné le 15 décembre 2017, l’atteinte à la liberté de communication n’étant manifestement ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée.

 

Il reviendra donc au législateur, s’il entend toujours sanctionner le délit de consultation habituelle de sites terroristes d’en préciser davantage la teneur, et peut-être, au vu des critiques formulées par le Conseil constitutionnel, de retenir l’intention terroriste comme élément constitutif de l’infraction. Toutefois, la richesse de l’arsenal juridique déjà à la disposition des autorités administratives et judiciaires pour lutter contre le terrorisme rend peu évident la nécessité de la démarche.

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