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Le principe ne bis in idem et les autorités de régulation, et après ?

Clémence Lépine est étudiante en droit.


Dans sa décision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a affirmé que le cumul des sanctions de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et celui du juge pénal pour le délit d’initié était contraire au principe ne bis in idem, tel que protégé par la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Se pose donc la question de savoir si une telle solution viendrait remettre en cause l’ensemble des procédures de sanction des autorités de régulation en cas de double incrimination administrative et pénale. En l’absence de réponse, tant de la part du Conseil que de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), cet article a vocation à apporter des éléments de réflexion à cette question, notamment en prenant l’exemple moins connu de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de résolution.

 

Le principe ne bis in idem, locution latine que tout pénaliste se doit de connaitre, se traduit littéralement par « pas deux fois les mêmes choses ». Ce principe, reconnu par de nombreux textes nationaux et internationaux, signifie en clair qu’une même personne ne peut être poursuivie et punie deux fois pour les mêmes faits.

Pendant longtemps, la question se posait surtout au regard de l’application de ce principe vis à vis de poursuites effectuées à l’étranger. Mais depuis quelques années, notamment grâce à l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, la question s’est posée concernant les autorités de régulation.

En effet, ces autorités investies d’un pouvoir de sanction ont parfois eu vocation à punir les mêmes faits que les autorités répressives : tel était le cas de l’AMF d’où la censure par le Conseil constitutionnel.

 

Toute la difficulté du principe ne bis in idem est qu’il n’est pas apprécié de la même manière par l’ensemble des juridictions qui influencent le droit positif français. Si la Cour EDH a une approche stricte de ce principe depuis un arrêt Grande Stevens c/ Italie de 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne, quant à elle, a une approche souple du principe ne bis in idem. En effet, pour cette dernière Cour le principe n’a vocation qu’à s’appliquer que pour le cumul de sanctions, et non le cumul de poursuites, et ne jouera que si les sanctions restantes ne sont pas effectives, proportionnées et dissuasives.

En revanche, la Cour EDH, qui ne s’est toujours pas prononcée sur le droit français, applique strictement le principe ne bis in idem et pose un obstacle à ce que de nouvelles poursuites soient exercées contre une personne déjà condamnée à une sanction pénale dès lors que les « faits étaient en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de la condamnation définitive ». [1] Classiquement, la Cour EDH va avoir une interprétation autonome de la sanction pénale ce qui permettra une plus grande appréciation du principe ne bis in idem.

Enfin, le Conseil constitutionnel précisément dans sa décision du 18 mars 2015 [2] dégage quatre critères qui permettent d’écarter l’application du principe ne bis in idem. Ainsi, si les textes qui servent de fondement aux poursuites incriminent des faits distincts (1), que les deux répressions ne protègent pas les mêmes intérêts sociaux (2), que le prononcé des sanctions sont différentes (3) et enfin que la répression a lieu devant des ordres de juridiction distinct (4) alors il y aura une interdiction de poursuivre devant une autorité de régulation puis devant une juridiction répressive.

Difficile de s’y retrouver… d’autant plus que la majorité des commentateurs considèrent que l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel n’est pas conforme à celle de la Cour européenne et attendent une condamnation de la France.

L’Observatoire de la Justice pénale l’avait déjà fait remarqué en 2016 : ce statut quo ne peut plus exister, et il est nécessaire que le législateur français intervienne pour y remédier. [3]

 

Et pourtant la question risque de se poser encore, notamment pour les procédures de sanction de l’ACPR qui n’hésite pas à prononcer des sanctions records. On pense notamment à la procédure contre la BNP Paribas qui a aboutit à une condamnation à 10 millions d’euro d’amende le 31 mai 2017[4]. Il était ainsi reproché à la BNP Paribas de ne pas avoir mis en place des procédure suffisamment efficaces pour lutter contre le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme. On peut dès lors légitimement se demander comment articuler une telle situation avec une éventuelle poursuite de l’autorité répressive pour blanchiment.

Bien évidemment, il faudrait encore rapporter la preuve que l’entité en question a commis un blanchiment d’argent et ce dans tous ses éléments constitutifs. Mais on voit l’idée qui pourrait traverser l’esprit du parquet national financier : si les mécanismes de supervision n’étaient pas efficaces selon l’ACPR, alors il est possible que le blanchiment ait effectivement eu lieu au sein de l’entité. Des poursuites pénales seraient elles alors possibles ?

On remarque en effet que la répression pénale et l’instruction de l’ACPR poursuivent un même but : s’assurer de la bonne santé du système boursier, couplé depuis quelques années à la prévention du financement des entreprises terroristes.

D’autant qu’il ne fait aucun doute que les sanctions et l’instruction réalisées par l’ACPR font partie de la matière pénale au sens de la Cour EDH. On voit pointer les critères dégagés par le Conseil constitutionnel pour une interdiction des doubles poursuites.

Les deux autres critères du Conseil constitutionnel ne sont pourtant pas remplis. Une évidence tout d’abord concerne les ordres de juridiction qui régissent les décisions prises. En effet, l’article L 612-16 du Code monétaire et financier ouvre un recours de plein contentieux contre les décisions prises par l’ACPR devant le Conseil d’Etat, tandis que les juridictions pénales relèvent de l’ordre judiciaire.

En outre, il faut rappeler que l’article 324-1 du Code pénal alinéa 2 dispose que « constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou un délit », tandis que l’ACPR a pour vocation de vérifier que les dispositions du Code monétaire et financier qui obligent les entités bancaires à se pourvoir de mécanisme de contrôle en la matière sont correctement appliquées.

Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on voit donc que le premier critère, essentiel, n’est pas rempli. Si, en effet, le Code pénal vient réprimer le fait de blanchir de l’argent, le Code monétaire et financier sanctionne le fait de ne pas prévenir de manière suffisamment efficaces le blanchiment d’argent. Les faits réprimés sont donc fondamentalement différents.

On peut donc facilement conclure que le principe ne bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer ici, y compris selon l’interprétation qu’a adopté la Cour européenne des droits de l’homme.

 

Si la solution semble logique, venir poursuivre un établissement financier déjà condamné par l’ACPR serait critiquable. En effet, il ne faut pas oublier que le principe ne bis in idem est un corollaire du principe fondamental de nécessité des peines.

« La loi ne doit prévoir que des peines strictement et évidemment nécessaires », ce principe sans cesse rappelé depuis 1789 serait, dans une telle hypothèse, vivement remis en question. Serait-il strictement et évidemment nécessaire de condamner à une amende pénale un établissement financier qui a déjà été condamné à des millions pour son manque de diligence ?

REFERENCES

  • Chronique Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne – Retour sur le dialogue des juges en matière de ne bis in idem : après le silence de la Cour constitutionnelle italienne, la parole revient à la Cour de justice de l’Union – Luca d’Ambrosioa – Donato – Vozza – RTD eur.2017. p : 93

  • Le principe ne bis in idem dans le règlement et la directive Abus de marché 2 – Oun-Tat – Tieu – Diane Hervey, D. 2014 p : 2310

  • Ne Bis in idem : un tremblement de terre ? – Cristina Mauro – AJ Pénal 2015 p. 172

  • Non bis in idem : les enjeux en matière fiscale – Ludovic Ayrault – AJ pénal 2015 p : 185

 

[1] Cour EDH, Arrêt Grande Stevens c/ Italie, 2e section, dans l’affaire n° 186440/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10.

[2] Décision n°2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015

[3] Voir notamment l’article de Robin Binsard, non bis in idem ou l’impossible dialogue des juges https://www.justicepenale.net/single-post/2016/03/30/This-is-the-title-of-your-second-post

[4] Décision du 31 mai 2017 de l’ACPR de blâme et sanction de la BNP Paribas, procédure n° 2016-06.

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