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Quel avenir pour la contrainte pénale ?

Amaury Bousquet, étudiant à l'Institut de criminologie de Paris, interroge les perspectives d’avenir de la contrainte pénale et sa pertinence au regard des dispositifs préexistants tout en louant le changement de paradigme de la sanction dont elle témoigne timidement.

 

Instaurée par la loi du 15 août 2014, la contrainte pénale peut être prononcée par le juge, pour tout délit à l’encontre d’un prévenu dont la personnalité, la situation, le passé pénal justifient un accompagnement différent, davantage individualisé, dans l’exécution de sa peine.

Alors que l’emprisonnement industriel semble avoir fait la démonstration unanime de ses limites, voire de sa contre-productivité en matière de prévention du risque de récidive, et dans un contexte où les prisons sont toujours plus coûteuses et toujours plus peuplées, la contrainte pénale a été pensée comme une peine de probation accomplie par le condamné en milieu ouvert. Le Code pénal rappelle, du reste, cette fonction de réinsertion du délinquant dans la société qu’on attribue, de façon contemporaine, à la peine, a fortiori pour un tel modèle de peine . Le régime de la contrainte pénale figure juste après les dispositions relatives à l’emprisonnement, ce qui est porteur de sens. La contrainte pénale constitue une sanction plus douce que l’emprisonnement sec – sans pour autant être applicable aux condamnations devenues définitives avant le 1er octobre 2014 .

Initialement réservée aux délits passibles de moins de cinq ans d’emprisonnement, elle a été, au 1er janvier 2017, rendue envisageable pour tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement . Elle n’est pas applicable aux mineurs.

Principe et prononcé de la contrainte pénale

Dans une affaire correctionnelle, le juge, au moment de choisir la peine et son quantum, apprécie, en considération de la personnalité du prévenu, de sa situation et au regard de la gravité et des circonstances des faits qui lui sont reprochés, s’il lui parait pertinent de décider d’une contrainte pénale.

En somme, il s’agit d’un élargissement du panel des sanctions à la disposition du juge tendant in fine à une individualisation accrue de la réponse pénale. Il a en effet été constaté que les courtes peines de prison sont inadaptées à certains profils, notamment les primo-délinquants et les multirécidivistes, en ce qu’elles encouragent, loin de les en dissuader, les seconds dans leur processus délinquant sans leur offrir de porte de sortie, et transforment les premiers en criminels chevronnés endurcis par leur passage en détention.

Le juge, s’il opte pour la contrainte pénale, détermine d’abord la durée de la mesure (entre six mois et cinq ans) (dans la pratique, la durée moyenne des contraintes pénales est de deux ans) et la durée de la peine d’emprisonnement encourue par le condamné en cas d’inobservation des obligations ou des interdictions auxquelles il a été astreint.

Parce que c’est bien là que réside son originalité, la contrainte pénale met à la charge de la personne condamnée le respect de plusieurs obligations, parmi lesquelles celle de respecter les convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné et celle d’informer le juge en cas de changement de domicile ou de déplacement de plus de quinze jours. D’autres mesures comme l’exécution d’un travail d’intérêt général, la soumission à une injonction de soins ainsi que toutes les mesures permises dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME) (ne pas rencontrer certaines personnes, ne pas se rendre dans certains lieux, ne pas conduire de voiture etc.) peuvent également être décidés.

Si la juridiction dispose des éléments suffisants pour apprécier la personnalité et la situation de l’intéressé, elle prononce immédiatement les obligations qui assortissent la contrainte pénale.

Déroulement de la mesure

À la suite de la condamnation, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) évaluent la situation de la personne et communiquent au juge de l’application des peines un rapport complet et circonstancié. Cet examen analyse la possibilité de mettre en œuvre une stratégie encourageant la « désistance », c’est-à-dire la sortie spontanée et volontaire du parcours de délinquance. Il s’agit, en d’autres termes, d’évaluer l’aptitude et l’engagement du condamné dans un lent processus de réinsertion.

Au vu de ce rapport, si la juridiction qui avait prononcé la contrainte pénale ne les avait pas déjà précisées, le juge chargé du suivi de la mesure fixe, dans les quatre mois qui suivent la décision de condamnation, les obligations et les interdictions au respect duquel sera astreint le condamné pendant la durée de la mesure.

La situation du condamné est réévaluée chaque année. S’il satisfait pendant au moins un an aux mesures qui lui sont imposées et que son reclassement parait atteint, le juge de l’application des peines peut, avec l’accord du parquet, mettre fin à la contrainte pénale de façon anticipée.

En revanche, en cas d’inobservation par le condamné de son suivi, la loi prévoit une gradation de la sanction de l’inexécution. Le juge de l’application des peines peut procéder à un simple rappel de ses obligations ou modifier l’intensité du suivi en complétant et en durcissant lesdites obligations. Il peut enfin saisir le président du TGI pour que soit mis à exécution tout ou partie de l’emprisonnement décidé ab initio, sachant que l’emprisonnement met un terme à la contrainte pénale.

En cas de nouvelle infraction commise pendant le délai d’épreuve de la contrainte pénale, la juridiction amenée à statuer sur ces nouvelles poursuites peut, en cas de condamnation à une peine privative de liberté, lui ajouter le quantum de l’emprisonnement que risquait le condamné au titre de la mesure de contrainte pénale.

Trois ans après son inauguration, le bilan de la contrainte pénale est contrasté. En 2016, un tribunal correctionnel sur dix n’en avait jamais prononcé. Pire, seules 2287 mesures ont été infligées en deux ans d’existence alors que la Chancellerie en espérait jusqu’à 20 000 chaque année. Pourquoi un si faible engouement ?

Une difficulté à s’inscrire lisiblement dans le paysage des sanctions pénales

La contrainte pénale constitue, comme alternative à l’emprisonnement, une peine à part entière. Elle n’a pourtant remplacé aucune des peines traditionnelles et, au contraire, est venue s’inscrire entre l’emprisonnement, ferme ou aménagé, et le SME.

C’est peut-être d’ailleurs l’une des raisons principales pour lesquelles la contrainte pénale ne suscite pour l’heure que peu d’intérêt de la part des juridictions correctionnelles : la distinction entre la nouvelle contrainte pénale et le SME qui existe depuis 1958 n’est pas lisible. Les acteurs judiciaires, quand encore ils en connaissent l’existence, ne saisissent pas nécessairement les particularités ni la pertinence d’un dispositif qui ressemble à s’y méprendre au SME, tant dans son essence que dans ses modalités de mise en œuvre.

Le rapport d’évaluation de la contrainte pénale en date du 21 octobre 2016 reconnait que le nombre de mesures prononcées est en-deçà des espérances, mais ne suggère pas pour autant de la supprimer ou d’en redéfinir les contours .

Il considère au contraire que son développement est encourageant, et justifie ce peu de précipitation par la nécessité pour les magistrats de s’approprier un outil nouveau et de penser sur le long un changement de culture de la peine. Et de « culture judiciaire » plus largement, la contrainte pénale devant désormais inciter les parquets à étayer en amont, et ce quelle que soit la nature de la procédure, les éléments relatifs à la personnalité et au parcours de vie des prévenus. La suppression corrélative d’un SME devenu redondant mais toujours prisé des juridictions n’est par ailleurs toujours pas d’actualité. L’auteur le regrette.

L’avenir incertain d’une peine intelligente

Pour promouvoir le recours à la contrainte pénale, le ministère de la Justice a réitéré ses instructions de requérir son prononcé, et même de la proposer en CRPC. Le théâtre privilégié de la contrainte pénale reste le contentieux routier (35% du contingent de contraintes pénales prononcées), là où la pertinence d’un emprisonnement brut interroge effectivement.

Mais en refusant d’ériger la contrainte pénale comme la peine principale de certains délits, en lieu et place de l’emprisonnement, possibilité qui avait pourtant été laissée entrouverte par la loi du 15 août 2014 , le législateur n’a pas vu qu’il avait – une fois n’est pas coutume – inventé une peine efficace à destination de certains profils particuliers, préférant s’en remettre au sens critique du juge pour apprécier l’opportunité d’un recours à la contrainte pénale plutôt qu’à une autre peine.

Un chiffre encourageant pourrait, malgré tout, réconforter les concepteurs déçus de la contrainte pénale et justifier les espoirs placés en elle : seuls 15% des condamnés à une contrainte pénale ont été incarcérés durant l’exécution de leur peine.

La contrainte pénale, qui a su faire preuve de son efficacité, en attendant d’être davantage connue et davantage maitrisée, risque, toutefois, de ne pas survivre à l’insuffisance notoire des moyens alloués aux SPIP , en première ligne dans sa mise en œuvre.

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