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Quel bilan pour la politique pénale du quinquennat Hollande ?

Diplômé de l'Ecole de droit de Sciences-Po Paris et secrétaire général de l'Observatoire de la Justice Pénale, Charles Evrard dresse les acquis, revirements et promesses non tenues du quinquennat Hollande en matière pénale et attribue les bons et les mauvais points.

 

Les promesses du candidat Hollande en matière de justice en 2012 semblaient annoncer l’ambition d’un présidentiable bien décidé à ne pas laisser Thémis de côté. En effet sur les 60 promesses phares du futur président de la République, plus du quart traitaient de questions relatives à la justice.


Un programme pouvant se résumer en trois axes principaux - « une justice accessible, efficace et indépendante » - et qui démontrait un engagement ferme pour l’amélioration des conditions de détention et une réforme profonde de la justice pénale. A cet égard, la nomination de Christiane Taubira au ministère de la Justice en mai 2012 était venue incarner la rupture avec la présidence de Nicolas Sarkozy, en raison de ses prises de position courageuses contre l’inflation sécuritaire et le consensus répressif.

Cinq ans après l’élection de François Hollande, les termes de « renoncement » et d’échec » de sa politique pénale viennent alourdir le bilan d’un mandat marqué du sceau de la médiocrité. Difficile en effet de ne pas dresser un constat amer au regard des promesses du candidat socialiste. Florilège des petites victoires et grands reniements du quinquennat.

  • Abrogation des peines planchers : FAIT

Bien que cette promesse n’apparaisse pas dans les 60 engagements du candidat Hollande, ce dernier déclarait le 14 février 2012 sur RMC que les peines planchers étaient une mauvaise réforme et qu’il souhaitait la supprimer.

Mesure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le mécanisme des peines planchers imposait aux magistrats de prononcer, sauf motivation spéciale, une peine au moins équivalente à un tiers ou plus de l’emprisonnement encouru en cas de récidive légale ou de violences aggravées. Cette disposition, contraire au principe d’individualisation des peines, a directement participé entre 2007 et 2011 à une augmentation significative du nombre de personnes incarcérées, sans qu’aucun effet bénéfique sur le taux de récidive ne soit démontré[1].

Conformément à ses engagements, François Hollande a supprimé cette mesure dans la loi dite « Taubira » du 15 août 2014.

  • Création de la contrainte pénale, nouvelle peine de probation : MAL FAIT

Dans une lettre adressée le 11 mai 2012 à l’Observatoire international des prisons, François Hollande déclarait : « je veux faire en sorte que nos prisons soient adaptées à leur objectif de réinsertion » en « retrouvant des lieux d’enfermement dignes de notre pays » […] « je veux aussi qu’il y ait des peines alternatives à la prison »[2].

Cette mesure devait être le grand héritage de Christiane Taubira en faveur de la prévention de la récidive. Force est de constater aujourd’hui que cette nouvelle peine de probation n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Applicable aux personnes condamnées à des peines de moins de 5 ans, la contrainte pénale soumet le prévenu à un ensemble d’obligations et d’interdictions et à un suivi socio-judiciaire sur une durée pouvant aller jusqu’à 5 ans.


Cette mesure est un échec total. En effet, la contrainte pénale n’a absolument pas été suivie par le monde judiciaire. Peu lisible et nécessitant de nombreux moyens supplémentaires (qui n’existent pas), elle diffère peu du sursis mise à l’épreuve et exige un suivi extrêmement personnalisé très lourd pour les juridictions.

Trois ans après son entrée en vigueur, le constat est accablant : environ 2000 contraintes pénales ont été prononcées en tout et pour tout par les juridictions, contrairement aux 10 000 annuelles attendues par la Chancellerie qui les préconisait expressément dans ses circulaires de politique pénale. Un chiffre qui représente 0,35% des peines prononcées depuis 2014.

  • Réduire les courtes peines de prison : PAS FAIT

Dans un entretien au journal Libération en août 2012, Christiane Taubira déclarait : « Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes »[3].

Malgré ces déclarations de l’ancienne ministre de la Justice, le nombre de condamnation à de l’emprisonnement ferme pour une durée de moins de un an a augmenté entre 2012 et 2015 de 94 865 à 97 951. Près de la moitié de ces peines sont inférieures à six mois et l’ensemble de ces courtes peines représentent près de 80% des condamnations à de l’emprisonnement ferme. Au 1er janvier 2017, près de 20 000 personnes étaient détenues en maison d’arrêt en exécution d’une peine de moins de un an, ce qui représente près de la moitié des personnes détenues dans ces établissements [3 bis].

Tous ces détenus auraient pu bénéficier d’un aménagement de peine bien plus bénéfique en termes de socialisation et de prévention de la récidive (placement en extérieur, semi-liberté, surveillance électronique, etc).


© Maxppp

  • Eviter les « sorties sèches » de prison : NON FAIT

Dans un entretien au journal Le Monde en date du 20 août 2013, François Hollande déclarait : « Je veux aussi éviter les sorties 'sèches' de délinquants à la fin de leur peine – c'est-à-dire les sorties de prison sans accompagnement, ni suivi, ni surveillance – a fortiori pour ceux qui ont commis les actes les plus graves »[4].

De nombreuses études ont démontré que le risque de récidive était en moyenne 1,6 fois plus élevé en cas de sortie sèche qu’en cas de libération conditionnelle ou libération avec suivi socio-judiciaire. Accusé de laxisme par ses adversaires politiques, en particulier la droite, le Gouvernement n’a pourtant pas osé mené cette réforme essentielle. Tout au plus la loi « Taubira » du 15 août 2014 a-t-elle créé une nouvelle procédure dite de libération sous contrainte qui permet aux magistrats d’examiner les possibilités d’aménagement de peine des prévenus condamnés à moins de 5 ans de prisons. Faute d’investissement dans les milieux ouverts, cette mesure est restée sans suite.

  • Abrogation de la rétention et de la surveillance de sûreté : NON FAIT

Devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale, Christiane Taubira déclarait le 5 juillet 2012 « le Président de la République s’est engagé à supprimer la rétention et la surveillance de sûreté »[5].

Mises en place sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ces mesures permettent de mettre en place des contrôles, obligations de soins, restrictions de déplacement et parfois même privation de liberté à l’encontre de personnes condamnées à quinze ans de prison ou plus, le tout après qu’elles aient purgé leur peine. L’argument invoqué consistait en la prévention de la récidive pour des crimes d’une particulière gravité. Il s’agit en réalité d’une véritable atteinte aux droits fondamentaux qui sape les fondements de notre démocratie et n’est pas sans rappeler la dystopie Minority Report dans laquelle un présumé coupable peut se retrouver accusé d’un crime virtuel… Le PS n’avait d’ailleurs pas hésité à l’époque à dénoncer cette remise en question des fondements de notre droit « pour se rapprocher des régimes totalitaires ».

Neuf ans après l’entrée en vigueur de la loi, l’ensemble des personnes placées en centre de rétention de sûreté l’ont été sans démonstration de leur « dangerosité » et rien n’a été fait pour mettre fin à cette atteinte aux droits fondamentaux.

  • Mettre un terme à la surpopulation carcérale : BIEN AU CONTRAIRE

En mai 2012, François Hollande dénonçait le tout-carcéral et la fuite en avant répressive : « le gouvernement actuel n’a eu pour seule réponse à la délinquance que la construction de nouvelles prisons. […] Car la fuite en avant vers le tout carcéral pratique depuis cinq ans ne résout rien : la délinquance ne recule pas, alors que les prisons sont de plus en plus surpeuplées, devenant ainsi plus que jamais le terreau de la récidive » [5 bis].

François Hollande semblait promettre une sortie de la référence prison et une véritable transformation de la politique pénale. En 2016, cette logique n’a pourtant pas disparu, le Ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas annonçant un nouveau plan de construction de 33 maisons d’arrêts et la publication d’un « Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire ». Si la construction de nouvelles prisons en soi n’est pas une catastrophe, c’est bien l’augmentation du parc carcéral qui pose problème. Car la construction de nouvelles prisons devrait permettre de remplacer les plus mauvaises, celles où la surpopulation carcérale est la plus importante. Or, ces nouveaux établissements prévoient d’accueillir 400 à 800 places, là où François Hollande s’était engager à « privilégier les établissements à taille humaine », plus à même de répondre aux besoins de détenus. Il reconnaissait par là même que les prisons de grande taille génèrent des tensions, des violences et ne répondent donc pas à leur objectif de réinsertion et de prévention de la récidive.

  • Mettre un terme aux conditions de détention indignes : PAS FAIT

« Je veux faire en sorte que nos prisons soient adaptées à leur objectif de réinsertion. Et pour cela, nous devons avant tout retrouver des lieux d’enfermement dignes de notre pays. Je n’accepte pas de voir l’Etat sans cesse condamné depuis quelques années en raison des conditions de détention » [5 ter].

Surpopulation, insalubrité, violences, promiscuité, normes de sécurité non respectées, etc. Malgré les bonnes intentions de François Hollande, les conditions de détention en France sont toujours aussi indignes d’un Etat démocratique. On ne compte plus les semaines sans qu’un nouveau scandale pénitentiaire ne fasse surface. On pense notamment au refus des directeurs des maisons d’arrêt de Fresnes et Villepinte d’accueillir de nouveaux détenus, leur établissement atteignant des taux d’occupation record de 200%. Une trentaine de prisons ont été condamné par la justice administrative au cours du quinquennat, en raison des conditions d’hygiène et de salubrité, par ailleurs constamment dénoncés par le Défenseur des droits et Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

  • Abrogation du tribunal correctionnel pour les mineurs : FAIT

Dans une lettre adressée le 26 avril 2012 à l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, le candidat Hollande détaillait ses engagements sur la justice des mineurs. Il déclarait notamment sa volonté de réaffirmer « la spécialisation des magistrats et des juridictions pour mineurs, primauté de l’éducatif sur le répressif, prise en considération du parcours et de la personnalité du mineur permettant l’individualisation de la peine à la minorité. Cela implique notamment la suppression des dispositions de la loi du 10 août 2011 créant un tribunal correctionnel pour mineurs, pour maintenir le principe d’une juridiction spécialisée »[6].

Créés par la loi du 10 août 2011, les tribunaux correctionnels pour mineurs visaient à condamner plus sévèrement les mineurs récidivistes de plus de 16 ans qui comparaissaient jusqu’alors devant un juge pour enfant. Ces juridictions portaient une atteinte évidente au principe de spécialisation de la justice pour mineurs inscrit dans l’ordonnance de février 1945 et dont l’objectif est avant tout la continuité du suivi socio-judiciaire et l’accompagnement éducatif. Cette abrogation discrète est bien loin du projet de Christiane Taubira annoncé en 2013 et dont l’objectif était une refonte totale de l’ordonnance de 1945 à fins de modernisation.

Le nouveau président de la République Emmanuel Macron hérite d’une justice que l’ancien Ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas à lui-même qualifié de « clochardisée [7]. Nul doute qu’il devra mener de profondes réformes pour qu’elle redevienne, de ses propres vœux, « accessibles, compréhensibles, rapide, égale pour tous »[8].


 

[1] F. Leturcq, « Peines plancher : application et impact de la loi du 10 août 2007 », Infostat justice octobre 2012.


[2] François Hollande, lettre à l’Observatoire international des prisons, 11 mai 2012 : fr.scribd.com/document/93194311/courrier-FH-OIP.


[3] Libération, Taubira : "Les courtes peines, il faut arrêter !", 7 août 2012

[3 bis] Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique et des Études, décembre 2016.


[4] Le Monde, Réforme pénale, Syrie, pression fiscale... Hollande s'explique dans "Le Monde", 30 août 2013


[5] Compte-rendu de la commission des lois, 5 juillet 2012 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cloi/11-12/c1112003.asp.


[5 bis] Ibid. 2.


[5 ter] Ibid. 2.


[6] François Hollande, lettre à l’Association française des Magistrats de la jeunesse et de la famille, 26 avril 2012 : https://www.scribd.com/doc/94982330/Lettre-de-Francois-Hollande-a-l-AFMJF.


[7] Mediapart, La justice «se clochardise», selon son ministre, 19 avril 2016.


[8] Le Parisien, Macron prône de profondes réformes de la justice, 14 mars 2017.

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