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La dualité de l’opinion publique, entre glaive vengeur et quatrième pouvoir ?

Paul-Henry Devèze, étudiant en droit, interroge l'opinion publique, son pouvoir, la psychologie des foules au prisme du procès pénal.

 

Les conséquences de la récente affaire Fillon présentent les stigmates du passé, ceux de l’embrasement médiatique autour d’une affaire judiciaire. Trop souvent l’opinion publique s’érige en censeur, en juge ou en expert judiciaire, persuadée de distinguer le vrai du faux et décryptant des faits pour en tirer une culpabilité avérée.

Après avoir condamné sans appel le candidat « Les Républicains » à la présidence de la République, voilà que certains cherchent déjà à appeler l’opinion publique en renfort face au gouvernement des juges, bien coupables eux d’effectuer un travail d’investigation légitime, pendant une période peu propice pour ce dernier.

Seulement, l’instrumentalisation de l’opinion publique à des fins politiques est devenue une tradition. Guy Carcassone disait à ce propos que « tout sujet d’un “vingt heures” est virtuellement une loi. Un fait divers, une émotion quelconque, mais aussi un problème tangible provoquent une démangeaison législative plus ou moins rapide. La loi est une réponse, à défaut d’être une solution ».

Est-ce la faute de la classe politique qui voit dans l’appareil législatif un moyen de se valoriser auprès de ses électeurs, ou simplement un manque de réflexion autour de l’utilité de la loi pénale ?

Nul ne le sait, cependant l’effet pervers est bien présent. Régulièrement les chiffres portant sur le nombre d’infractions commises mais aussi sur le taux de récidive sont brandis en étendard afin de réformer encore et toujours. Chaque cas, même ponctuel, devient une constante que l’on hisse comme une référence. Bref, l’infraction est devenue un instrument de justification d’une inflation législative en matière pénale. Les exemples sont souvent frappants en la matière, c’est le cas notamment de la récidive légale. La classe politique par le biais des médias va parfois instrumentaliser la notion comme un agent de la peur créant un clivage dans la population et draguant un électorat.

La plupart des lois portant sur ce sujet sont promulguées suite à des faits divers, 2005 sera à ce sujet une année marquant un tournant : l’affaire Trémeau, dans laquelle un violeur récidive dès sa sortie de prison après une libération anticipée, puis l’affaire Cremel, dans laquelle une femme est assassinée par un homme condamné à perpétuité ayant bénéficié d’une libération conditionnelle, et enfin l’affaire dite de « La Courneuve » dans laquelle un jeune garçon est tué par des hommes que l’enquête établira comme récidivistes.

L’opinion publique est choquée et hurle au scandale suite aux dénonciations de la classe politique. La loi sur le traitement de la récidive sera finalement adoptée quelques mois après ces tristes faits, le 12 décembre 2005.

En plus de ce cas d’école on peut également citer les propositions de réformes de la légitime défense par Christian Estrosi suite à l’affaire du bijoutier de Nice en 2013, et plus récemment Benoît Hamon proposait suite au « PenelopeGate » une réforme pour qu’un parlementaire ne puisse plus employer un membre de sa famille.

On pourrait regretter la place qu’ont pris dans la société, notamment à travers le prisme des réseaux sociaux, les médias.

L’information est devenue une brève brute de décoffrage sans analyse ni recul, un fait cru et indigeste que l’on donne en pâture à une opinion publique critique d’une justice qu’elle ne comprend peut-être plus mettant en lumière ses carences.

La justice par nature est censée prendre de la hauteur pour être efficace, son recul face à l’émotion est un gage d’objectivité et permet ainsi de sanctionner en respectant les grands principes du droit pénal. Néanmoins, les médias de masse viennent placer son fonctionnement au centre d’un débat qui n’a pas lieu d’être et où les acteurs politiques tenteront tantôt de critiquer son laxisme, tantôt ses dérives liberticides.

Là où le juge cherche à appliquer une loi conformément aux faits qui lui sont soumis, le politique sera confronté à une opinion populaire qu’il est plus facile d’attiser pour attirer ses bonnes grâces que d’éteindre par la voix de la raison et de la compréhension. Fondamentalement le problème réside dans la tendance à recourir aux dérives sécuritaires comme réponses aux phénomènes de délinquance et de criminalité. Le plus déplorable étant ces gens qui font encore aujourd’hui l’éloge de la peine de mort, la prônant comme un garde-fou face aux « pires » crimes.

Cependant, le véritable garde-fou judiciaire n’est-il pas parfois l’opinion publique ?

A travers les époques les exemples sont légions. L’affaire Calas, cet infanticide élucidé trop vite par une enquête bâclée a vu Voltaire se déchainer, risquer sa réputation même, et saisir la conscience collective afin de faire pencher la balance d’une justice expéditive vers une révision.

Que dire de l’affaire Dreyfus ? Si ce n’est que Zola se lança en héritier des lumières, cherchant à défendre un homme que tout accusait tandis que le vrai traître Ferdinand Estherhazy courrait les rues. Il a fallu une tribune dans le journal L’Aurore et un « J’accuse... ! » devenu célèbre, pour créer un débat de société et sensibiliser la foule au destin d’un homme victime d’une erreur judiciaire.

Ainsi, au fil de la procédure l’opinion publique évolue en deux temps, celui de l’indignation puis celui de la réflexion. On pourra citer là encore une affaire : celle d’Outreau. La France à partir de 2000 s’indigne devant un réseau pédophile présumé avant de se questionner en 2005 sur le fonctionnement d’une justice qui paraît, arrogante, précipitée et déconnectée de la réalité après l’acquittement général des accusés.

Si la justice est l’affaire de tous, on ne peut que regretter l’évolution des débats portant sur la réforme de la Cour d’assises. En effet, en plus de la Cour d’assises spéciale ayant compétence pour juger les infractions terroristes, le Sénat a proposé le 31 janvier 2017 d’exclure les citoyens des jugements d’assises concernant les atteintes à la vie humaine commis en bande organisée.

Cette proposition trouve son fondement dans le renforcement de l’efficacité de la justice pénale. Des représentants de syndicats de magistrats, notamment du sud de la France, opposent la complexité des dossiers, leurs longueurs, le caractère technique des discussions aux jurés d’assises, arguant que faute de compréhension, ces derniers ont tendance à acquitter.

Mais en poursuivant cette logique, on peut se demander si les jurés d’assises ont un jour été suffisamment compétents pour avoir à faire à la justice, n’est-ce pas justement en raison de cette incompétence technique qu’ils sont choisis ?

Ils manifesteraient alors par leur crédulité juridique tout le bon sens d’un jugement populaire démocratique. Maître Christian Saint-Palais, président de l’Association des avocats pénalistes, explique quant à lui que cette reforme ne paraît pas pertinente : l’acquittement peut révéler un manque de qualité de la preuve apportée de la culpabilité d’un accusé, ce qui est rigoureusement nécessaire pour condamner.

L’opinion de ce groupe d’individu non rompus à l’exercice du droit serait donc un des garde-fous de la justice.

Ainsi l’opinion populaire, qu’elle soit celle d’une demi-douzaine d’individus, d’une centaine, d’une classe socioprofessionnelle ou bien de partisans de tous bords, reste et demeure nécessaire. Si elle s’avère parfois symptomatique de l’utilisation des foules, elle n’est jamais que l’aiguille qui désigne les problèmes de sociétés que la justice doit traiter, tout en demeurant froide et impassible face aux esprits attisés le plus souvent par la colère.

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