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Pour une Déclaration des droits du procès pénal

Amaury Bousquet, étudiant à l'Institut de criminologie de Paris, propose d’insérer au début du Code de procédure pénale une véritable « Déclaration des droits du procès pénal ». Il en propose les termes.

 

Qui a un jour pris le temps d’ouvrir un Code de procédure pénale s’est certainement aperçu de la concision des dispositions qui en forment le semblant de préambule. Un article préliminaire, même pas un titre ou un chapitre.

Pourtant, dans les branches processuelles cousines que sont la procédure civile [1] et la procédure administrative [2], les deux codifications en vigueur énoncent chacun, à l’orée du droit positif, une série de principes jugés essentiels. Au pénal, il aura fallu attendre la loi du 15 juin 2000 [3], l’un des rares textes ambitieux en la matière, pour que l’on insère un peu rapidement ces quelques mots au début du Code de procédure pénale [4].

Désormais pendant en droit interne de l’article 6 de la Convention EDH, l’article préliminaire de notre Code de procédure pénale semble en réalité bien fade. Certains, dont je suis, lui reprochent son manque d’ambition. D’autres, au contraire, sa redondance, pour ne pas dire son entrée en concurrence avec les textes déjà existants. En tous les cas, rien qui ressemble de près ou de loin à une épigraphe digne de ce nom.

Il est vrai que la chambre criminelle n’a pas aidé à conférer à cet article préliminaire la force et la dimension qui auraient pu – ou dû – être les siennes, lui refusant de manière constante une valeur normative supérieure aux autres dispositions du Code de procédure pénale, rejetant l’idée d’en faire une application extensive et progressiste.

De fait, les juges qui citent l’article préliminaire comme fondement exclusif de leurs décisions sont rares, et la majorité d’entre eux, se résolvant à le viser comme caution textuelle – mais finalement vaseuse – du respect par leurs sentences des principes qu’il clame, eux-mêmes malléables à merci.

La jurisprudence française en effet, rarement en avance lorsqu’il s’agit d’améliorer la protection juridique des personnes poursuivies, a plutôt tendance à faire céder les droits de la défense devant les exigences d’une répression « efficace ». J’exagère à peine.

Il n’empêche. Il aurait peut-être été opportun d’attribuer à ces principes prétendument directeurs une valeur supra-législative, au moins pour ceux d’entre eux qui ne figurent pas déjà au rang des principes protégés par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme.

Loin de cette idée, la circulaire du ministère de la Justice qui a accompagné la loi du 15 juin 2000 a prévenu d’emblée : « L’inscription dans la loi des principes fondamentaux du procès pénal n’a en soi aucune conséquence juridique, dans la mesure où ces principes préexistaient. (…) Ces dispositions n’ont pas vocation à remettre en cause les autres dispositions législatives du CPP », ce qui est à la fois beaucoup dire et ne rien dire à la fois [5].

Le juge constitutionnel avait pourtant semblé « faire de l’article préliminaire le garant des droits de l’homme dans le procès répressif », enjoignant à l’autorité judiciaire « de veiller au respect des principes rappelés à l’article préliminaire du Code de procédure pénale dans l’application [notamment] des règles procédurales spéciales instituées par la loi » [6].

Reste un travail inachevé. Car si la plupart des grands principes qui gouvernent notre procédure criminelle sont reconnus dans le droit positif depuis des décennies, parfois sous les coups de semonce de Strasbourg, cette reconnaissance est toutefois éparse et, surtout, parcellaire. C’est oublier le rôle essentiel de ce type de dispositions.

Formulé avec solennité, un préambule revêt une double fonction symbolique et interprétative. Placés au fronton d’un texte de loi ou d’un pavé codificateur, les principes de haute valeur qu’il pose, souvent de façon un peu martiale ou grandiloquente, ont pour eux le mérite d’exprimer un souffle, une ambition, d’inspirer aux règles qui le suivent, en résultent et ne peuvent y contrevenir, en l’espèce le déroulement d’une procédure devant les tribunaux répressifs, un sens ou une cohérence. En en esquissant une certaine conception, ils traduisent, dans leur application au procès criminel, des idéaux, des garanties politiques, philosophiques et moraux conquis de haute lutte.

Au final, la possibilité d’appréhender en un coup d’œil les quelques axiomes sur lesquels ont été ensuite bâties les règles techniques de la procédure pénale permettent d’en rendre la lecture moins abrupte et de rendre plus clairs les lignes maitresses et les fondements.

Pour le profane qui n’a et n’aura sans doute jamais aucune raison de se perdre dans les méandres d’un Code de procédure pénale, pouvoir s’arrêter ou se reporter à un tel « manuel » s’apparente à une puissante et lisible Déclaration des « droits fondamentaux du procès pénal » — même si cette expression, pas plus que celle de « principes directeurs », n’est pas reprise par le Code. Il y a ici un intérêt pédagogique net.

D’aucuns jugeront que ces principes font double jeu avec les stipulations de la Convention EDH et qu’ils ne sont, ce faisant, pas véritablement utiles. Et peut-être n’est-ce rien d’autre, finalement, que la déclinaison française d’un ensemble de garanties dont on pourrait naïvement penser qu’elles eussent vocation à devenir « universelles ».

On reprochera encore à ce type de dispositions leur formulation générale et abstraite, qui n’apporterait rien, en substance, aux droits des parties. Rappeler des principes n’aiderait pas à les concrétiser. Telle est bien, pourtant, la force première d’un préambule : il guide le praticien et constitue la clé de lecture des articles de loi, le prisme au travers duquel ils devraient tous être interprétés et, le cas échéant, révisés.

En se rappelant que la codification a été inventée pour rationaliser la masse normative en organisant les normes en systèmes cohérents et autosuffisants, il est impératif que certains piliers structurants guident la rédaction, la lecture et, a fortiori, l’interprétation d’un code.

Imaginons une refonte des règles de la procédure pénale. Il faudrait idéalement commencer par circonscrire quelques fondements transversaux, s’attacher à les définir clairement, leur conférer un caractère incompressible et inconditionnel, puis, seulement après, penser, concevoir, élaborer le reste, c’est-à-dire la partition du procès pénal, comme la déclinaison pratique de ces grands principes liminaires. Celles-ci devraient alors être appréhendées au regard des orientations générales données par ces « principes directeurs ». Dans l’obscurité d’une disposition, c’est en cultivant l’esprit de ces principes, en s’y référant, sans en trahir l’ambition, que le juge se prononcera. Plus qu’elle n’est un caprice esthétique, l’insertion de telles règles fondamentales a donc une portée herméneutique.

Encore faudrait-il au préalable déterminer les valeurs suffisamment importantes qu’il nous semble légitime d’élever, au moins symboliquement, au rang de principes fondamentaux du procès pénal. La plus grande partie du travail a d’ores et déjà été faite par les révolutionnaires de 1789, les pères de la reconstruction européenne ou encore les Sages du Palais-Royal ou du Quai de l’Horloge. Mais beaucoup de principes qui mériteraient, à l’analyse du défenseur, de figurer au tout premier plan du Code de procédure pénale, ont été oubliés par le législateur ou réduits à peau de chagrin sous les coups de butoir réguliers de l’objectif d’ « efficacité » de l’action publique.

L’autorité de la chose jugée, le caractère public des débats, le droit d’avoir le temps de préparer sa défense, l’exigence de loyauté de la preuve ou celle de donner le dernier mot à la défense, existent incontestablement. D’autres principes sont dispersés dans le Code, et on les trouve au détour d’obscures dispositions techniques, ne semblant applicables qu’à certaines procédures précises, alors même que la jurisprudence a pu leur donner une portée générale (citons notamment la charge de la preuve : art. 353, 427, 428, 536 ; la règle non bis in idem : art. 368, qui n’a d’ailleurs pas d’alter ego pour la matière correctionnelle ; la motivation des jugements : art. 365–1, 485 et 593). Dans les deux cas, les regrouper au sein d’une introduction au Code de procédure pénale semble alors davantage relever d’un souci formaliste.

Mais tant d’autres ne sont simplement pas admis en droit pénal processuel français.

Aucun responsable public ne semble par exemple s’indigner outre mesure de ce que la confidentialité indispensable à la préparation de la défense du mis en cause ne fasse pas l’objet, à l’heure actuelle, d’un véritable régime protecteur. De ce que certains puissent être envoyés en prison par un magistrat statuant seul, fut-il indépendant. De ce que certains attendant incarcérés, des mois, des années durant, un procès. Ou encore de ce que le droit de se taire ou même de mentir ne soit pas ancré dans la législation pénale – ni plus que dans les mentalités. Surtout, les droits de la défense dans leur acception la plus complète semblent avoir été négligés. Certes, l’assistance par un avocat et l’information sur les charges sont évoquées, mais rien ne semble formellement garantir un droit global et permanent à l’assurance d’une défense effective.

Il faudrait prendre le courage de cette innovation, afin que ce titre préliminaire apporte une plus-value matérielle, et non pas seulement formaliste, au regard des autres déclarations de principes existant, afin également que notre procédure pénale tende enfin vers une égalité sérieuse des armes de l’accusation et de la défense.

Car il ne s’agira pas de proclamer de plus belle — fièrement et un peu bêtement — quelques beaux principes de vertu procédurale pour les rendre opposables, mais de se donner les moyens de garantir leur efficacité à chaque étape du parcours répressif. Il appartiendra à la jurisprudence d’y veiller, mais également au législateur lorsque sera venu le temps d’une réécriture du CPP.

Ce projet de titre Ier, qui comporte 26 articles répartis en deux chapitres (principes fondamentaux et preuve) suivrait un ordre relativement logique, sans valoir pour hiérarchisation, et énoncerait successivement :

  • la définition de la fonction du procès pénal, suivie du rappel des règles de fonctionnement communes à toutes les disciplines processuelles (impartialité du juge, égalité des armes des parties) ;

  • les droits de la défense, si l’on croit que la défense est la partie principale du procès pénal (droit à un avocat, droit de se taire, droit à un jugement motivé, droit à un recours etc.) ;

  • l’après-procès (non bis in idem, réparation de l’erreur judiciaire, individualisation des peines) ;

  • les règles encadrant la preuve pénale.

Je n’ai pas oublié la victime mais, j’aurai l’occasion d’y revenir plus amplement, elle n’a pas, de mon point de vue, à participer au procès pénal de la façon et avec ces pouvoirs qui sont valables à l’heure actuelle.

D’autres principes essentiels  tels que le droit de soulever des causes de nullité, le secret de l’enquête ou l’accès immédiat de la défense à l’entier dossier  peuvent figurer plus avant dans un tel projet de réforme du Code de procédure pénale car n’ayant pas de vocation transversale mais valant à telle ou telle étape du procès.

Il est temps de repenser le procès pénal dans toutes ses composantes : son sens, son objet, son déroulement, les acteurs qui doivent y concourir.

 

[1] Code de procédure civile, livre Ier, titre Ier, chapitre Ier, Les principes directeurs du procès.

[2] Code de justice administrative, titre préliminaire.

[3] Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

[4] Article préliminaire du Code de procédure pénale.

[5] Circulaire du ministère de la Justice du 20 décembre 2000, Présentation des dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes concernant l'instruction, la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention et le jugement correctionnel, CRIM 2000-16 F1/20-12-2000.

[6] Cons. constit., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC.

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