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Du harcèlement sexuel au harcèlement de rue, le droit pénal est-il à la hauteur ?

Benjamin Ribot est élève avocat à l'Ecole des avocats de la région Rhône-Alpes.

 

Les accusations portées par huit femmes à l’encontre du député Denis Baupin ont replacé la question du harcèlement sexuel et des comportements sexistes au cœur du débat politique et sociétal.

Un an plus tôt, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes rendait déjà un avis n°2015-04-16-VIO-16 du 16 avril 2015 qui révélait que 100% des femmes utilisatrices de transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou agressions sexuelles (1).

Le Défenseur des droits, à travers une étude statistique réalisée par l’IFOP, montrait qu’une femme sur cinq avait dû faire face à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa carrière et que, pour l’immense majorité des cas, il s’agissait de gestes ou propos à connotation sexuelle répétés malgré leur absence de consentement (2).

Face à la permanence de ce type de comportements, le droit pénal est-il à la hauteur ?

Le harcèlement sexuel est incriminé à l’article 222-33 du Code pénal qui prévoit deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende et spécialement visé aux articles L1153-1 et suivants du Code du travail.

Introduit dans le nouveau Code pénal en 1992, le harcèlement sexuel est d’abord envisagé exclusivement dans le cadre des relations professionnelles et dans la situation pratique suivante : un supérieur hiérarchique masculin qui harcèle une subordonnée.

Il faudra tout de même attendre la loi du 17 janvier 2002 pour que le harcèlement sexuel soit envisagé en dehors de la relation professionnelle et que le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle soit réprimé sans considération de la fonction ou du poste de l’auteur et de la victime.

Toutefois, la définition du harcèlement sexuel souffrait d’un sérieux manque de clarté et de précision qui entraîna de manière fort logique l’abrogation de cette disposition au nom du principe de légalité criminelle suite à une question prioritaire de constitutionnalité (3).

A la suite de l’abrogation de ce texte, le législateur, dans l’urgence, proposa une nouvelle définition de cette infraction par la loi du 6 août 2012. Plus complexe, cette nouvelle définition du harcèlement sexuel suscita de nombreuses critiques et interrogations.

En effet, le délit de harcèlement sexuel est désormais divisé en deux infractions, dont l’une est en réalité assimilée au harcèlement sexuel :

  • « Le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » : cette définition, particulièrement lourde dans sa formulation, reprend l’idée d’une persécution à caractère sexuel, fondement classique du harcèlement sexuel.

  • « Le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers » : la raison d’être de ce délit assimilé au harcèlement sexuel est discutable et ce d’autant plus qu’il crée un concept paradoxal de harcèlement instantané alors même que le harcèlement, étymologiquement, implique une répétition d’actes dans le temps.

En somme, le législateur, pressé par le temps, a substitué à une définition imprécise, une définition inintelligible, du moins en partie.

Cet effort de rédaction permet-il au moins d’englober l’ensemble des comportements sexistes dénoncés par les victimes et les associations féministes ? En particulier, qu’en est-il du « harcèlement de rue » ?

Le harcèlement de rue peut être défini comme suit : « tous les comportements non sollicités, irrespectueux, menaçants et/ou agressifs, qui s’expriment dans l’espace public à l’égard de certaines catégories de personnes, du fait de leur genre ou de leur apparence physique ou vestimentaire. Ce sont leurs répétitions qui en font un harcèlement, inévitable par le simple fait d’être dans l’espace public » (4).


En l’état actuel de notre droit pénal, le harcèlement de rue est-il punissable ?

La définition du harcèlement sexuel stricto sensu consiste à imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle.

Toute la difficulté du harcèlement de rue repose sur le fait que généralement la même victime va subir les propos ou comportements irrespectueux, menaçants ou agressifs de plusieurs individus.


Le harcèlement de rue est constitué par la répétition de propos ou comportements de plusieurs individus vis à vis de la même victime alors que le harcèlement sexuel impose, au contraire, de caractériser une répétition d’actes du même individu.

En d’autres termes, l’accumulation de propos ou comportements à caractère sexiste constitue un harcèlement dans sa globalité mais ne permet pas de retenir le délit de harcèlement sexuel à l’encontre d’un individu qui n’aurait eu qu’un seul propos ou comportement déplacé. Du moins, sauf interprétation extensive de la part de la Cour de cassation, le délit de harcèlement sexuel ne semble pas correspondre à la spécificité du harcèlement de rue. En effet, nul n’est responsable pénalement que de son propre fait et il paraît contestable d’imputer à un seul individu une situation de harcèlement causée par plusieurs individus.

Qu’en est-il du délit assimilé au harcèlement sexuel ? La raison d’être de ce harcèlement instantané se trouve peut-être dans la répression du harcèlement de rue puisque ce délit assimilé peut être constitué par un seul acte de pression grave à l’encontre de la victime.

Toutefois, interprétation stricte de la loi pénale oblige, le texte fait référence à un acte de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle. Peut-on réellement considérer d’un point de vue juridique qu’un sifflement, une insulte ou un regard insistant puissent être qualifiés d’actes de « pression grave » dans le but « d’obtenir un acte de nature sexuelle » ? Une telle interprétation extensive entrerait nécessairement en contradiction avec les principes essentiels du droit pénal.

Reste le délit d’injure à caractère sexiste prévu par l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 qui punit de six mois d’emprisonnement et 22.500 euros d’amende, l’injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

Toutefois, il ne faut pas se faire d’illusion sur ce texte dans la mesure où l’injure à caractère sexiste est une infraction qui relève du droit pénal de la presse et soumis, par voie de conséquence, à une procédure dérogatoire particulièrement protectrice de la liberté d’expression.

De plus, si l’injure peut être formulée aussi bien par écrit que par oral conformément à l’article 23 de cette même loi, la preuve d’une telle infraction demeure particulièrement difficile à rapporter pour les victimes face à des comportements furtifs, relativement discrets dans leur mode d’exécution et qui ne se limitent pas à l’expression d’une injure.

Encore une fois, l’injure à caractère sexiste apparaît inadaptée à la situation particulière du harcèlement de rue.

Au regard de cette analyse, le droit pénal ne semble pas à la hauteur de cette problématique dans la mesure où ce type de harcèlement spécifique demeure impuni, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique.

Il est alors temps d’envisager l’adoption d’un texte qui permette de sanctionner le harcèlement de rue. Nécessaire sur le plan symbolique, ce nouveau texte permettra de sanctionner un phénomène nuisible qui échappe aujourd’hui à la sphère d’intervention du droit pénal.

Certains comportements peuvent néanmoins tomber sous le coup de la loi pénale mais c’est parce qu’ils constituent une infraction sexuelle à part entière. En ce sens, il faut rappeler qu’un attouchement sexuel non consenti est une agression sexuelle et ne peut être simplement considéré comme relevant d’une question de harcèlement de rue sous peine d’encourager la disqualification pénale. De la même façon, l’exhibition sexuelle est une infraction sexuelle à part entière et ne recouvre que très marginalement la problématique du harcèlement sexuel ou de rue.

Le harcèlement sexuel et l’injure à caractère sexiste ne permettent pas de sanctionner efficacement le harcèlement de rue qui relève d’une problématique spécifique propre à l’espace public.

Il est donc nécessaire de prendre conscience de ce déficit législatif et d’y répondre dans la mesure où ce phénomène généralisé contribue à la réification de la femme et au maintien d’un sentiment d’insécurité dans l’espace public.

Cependant, il ne faut pas être naïf dans la mesure où un nouveau texte se heurtera aux mêmes difficultés d’application et de preuve. Comment prouver un sifflement ? Comment prouver une insulte lorsqu’il n’y a pas de témoin ? Comment identifier l’auteur inconnu de ce comportement ?

Faut-il en conclure que si le droit pénal n’est pas à la hauteur, c’est avant toute chose parce qu’il ne peut pas l’être ?

En tout état de cause, ce n’est pas parce qu’un comportement répréhensible est difficile à prouver qu’il ne faut pas pour autant légiférer sur la question, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité.

Plus exactement, le législateur devra impérativement accompagner ce renforcement législatif d’une véritable politique pénale et sociétale afin de lutter contre le harcèlement de rue.

En ce sens, il est particulièrement regrettable que l’abrogation de l’ancien délit de harcèlement sexuel n’ait pas été utilisée comme une occasion de parfaire notre système répressif en intégrant une définition du harcèlement de rue. Au contraire, le législateur s’est fendu d’un texte partiellement inintelligible et contre-productif.

De la même façon, le plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles présenté le 9 juillet 2015 est particulièrement décevant dans la mesure où il tend à contourner les difficultés plutôt que de les traiter à la source (5).

A ce titre, l’expérimentation de l’arrêt à la demande des bus la nuit ne permet pas de résoudre le problème du harcèlement mais se contente de le contourner.

Il faut nécessairement se poser les bonnes questions. Quels sont les moyens pour lutter à la source contre ce phénomène ? Comment améliorer la formation des agents de police sur la problématique du harcèlement de rue ? Est-il possible de mettre en place des brigades dédiées à la lutte contre le harcèlement de rue ? Faut-il multiplier les campagnes de sensibilisation ? Faut-il renforcer la vidéosurveillance dans certains lieux aux fins d’interpellation des auteurs ? Quels sont les moyens juridiques qui peuvent accompagner ces politiques ?

L’actualité récente en la matière pourrait être l’occasion de se pencher de nouveau sur cette question fondamentale, à moins qu’il ne s’agisse là encore d’un coup d’épée dans l’eau.

A ce propos, une loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs a été promulguée. Elle fait de la prévention des violences et des atteintes à caractère sexiste dans les transports publics un axe prioritaire de l’action des autorités publiques.

Cependant, à la lecture de cette loi, la déception est grande. La référence au « harcèlement sexiste » ne débouche sur aucune mesure concrète et seul le Code des transports sera impacté. A ce titre, faut-il préciser que le harcèlement sexiste ne se limite pas aux transports en commun ?

D’ailleurs, la commission des lois du Sénat avait même décidé de supprimer cet article en première lecture dans un « souci de ne pas alourdir les lois » par des dispositions « redondantes ou tautologiques » déjà couvertes par le délit de harcèlement sexuel (7).

Si la justification de la suppression est très critiquable, il faut néanmoins reconnaître que cet article ne changera pas grand-chose en pratique et qu’il est temps de raisonner à plus grande échelle. Pour cela, encore faut-il que nos femmes et hommes politiques soient à la hauteur de l’enjeu.


 

(1) : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh_avis_harcelement_2015-04-16-vio-16.pdf

(2) : http://www.ifop.com/media/poll/2551-1-study_file.pdf

(3) : Cons. const., décision n°2012-240 QPC du 4 mai 2012.

(4) : http://www.liberation.fr/societe/2014/04/02/le-harcelement-de-rue-n-est-pas-une-fatalite_992608

(5) : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/action/piece-jointe/2015/07/plan-national-de-lutte-contre-le-harcelement-sexiste-et-les-violences-sexuelles-dans-les-transports-en-commun.pdf

(6) : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-281.html

(7) : http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/02/10/les-deputes-retablissent-l-amendement-sur-le-harcelement-dans-les-transports_4862893_3224.html

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