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La France, encore et toujours pays des droits de l’Homme ?

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour faire part de leurs inquiétudes concernant les différentes mesures sécuritaires adoptées en réponse aux menaces, attaques auxquelles la France doit faire face, pouvant alors remettre en cause l’image même de la France, son statut de pays des droits de l’Homme.


Joachim du Bellay, dans son célèbre sonnet intitulé « France mère des arts, des armes et des lois » exprime sa nostalgie envers son pays natal qu’il a quitté. France mère des lois … Quelle splendide métaphore !

La France compte plusieurs locutions, mais sans doute, la plus utilisée reste celle de Patrie de droits de l’Homme. Elle doit cette appellation à sa célèbre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui proclame de nombreux droits fondamentaux, appelés, dans le monde juridique, les droits de la première génération. A travers ses 17 articles, sont garantis, notamment, le droit à l’égalité (article 6), le droit à la sûreté (article7) ou encore le droit à la religion (article 10).

Rappelons, juste pour le plaisir, ces magnifiques dispositions :

Article 6 : « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Article 7 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites […] »

Bien plus tard, l’Hexagone réaffirmera qu’elle est bel et bien le pays des droits de l’Homme à travers le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 consacrant alors les droits de la seconde génération, parmi lesquels figurent le droit syndical (alinéa 6), le droit de grève (alinéa 7) ou encore le droit au travail (alinéa 5).

Ces textes dont la valeur juridique a longtemps été contestée - certains ne leur revendiquaient en effet qu’une valeur symbolique - sont aujourd’hui reconnus comme des normes juridiques supérieures figurant au sommet de la hiérarchie (Décision du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association)

Cependant, des études récentes remettent aujourd’hui ce prestigieux titre de pays des droits de l’Homme en cause. Le 21 juillet 2015, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a rendu ses observations concernant la France, faisant suite à l’examen périodique qui s’est déroulé au début du mois de juillet à Genève. Selon lui, lois antiterroristes, surveillance, respect des minorités, milieu carcéral et violences policières, droit d’asile et le sort des migrants, des Roms, Outre-Mer ; imposent un constat : la France est loin d’être le pays des droits de l’Homme[1]. Quelques années auparavant, Amnesty International avait déjà tiré la sonnette d’alarme, en affirmant que la France ne donne "pas toujours l’exemple que l’on pourrait attendre d’elle".


Et si c’était vrai ? Et si ce sentiment de malaise dans le pays venait en réalité de là ? La Déclaration des Droits l’Homme et du Citoyen de 1789 affirme en effet que " [...] l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements [...]".

Alors pouvons-nous toujours appeler notre douce France, pays des droits de l’Homme ? Ou devons-nous être nostalgiques de notre France mère des lois ?

Pour plusieurs raisons, il conviendrait de répondre malheureusement par l’affirmative à cette dernière question …

Un triste bilan doit être en effet dressé. La France compte de nombreuses condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme ; même si elle ne fait pas partie, pour autant, des pays les plus condamnés avec la Turquie et la Russie, comme aime l’affirmer le pénaliste Éric Dupont Moretti[2]. Mais, il est vrai que, les avancées en matière de droits, sont aujourd’hui en France, le plus souvent impulsées au niveau européen et non plus au niveau interne. L’exemple de la garde à vue est éloquent à ce sujet. La consécration du droit à l’avocat et au silence pour le gardé à vue n’est que la conséquence des nombreux rappels à l’ordre de la Cour de Strasbourg à la France[3] qui s’est finalement décidée à légiférer[4].

De surcroît, l’actualité juridique est loin d’être rassurante. En effet, la prorogation, incompréhensible, de l’état d’urgence est un véritable danger pour les droits fondamentaux. Ce dispositif législatif, issu de la loi du 3 avril 1955, permet de confier au gouvernement et à l’administration des pouvoirs exceptionnels. Ainsi, de véritables restrictions aux libertés peuvent être ordonnées - interdiction de la circulation dans certains lieux et à certaines heures ; assignation à résidence ; fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ; perquisitions de jour et de nuit ; mesures permettant le contrôle de la presse et des publications de toute nature - sans que l’autorité judiciaire, [seule] gardienne de la liberté individuelle (article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958), ne puisse les contrôler ; le juge compétent étant le juge administratif.

En outre, la réforme pénale en cours prévoit de mettre en place de nombreuses mesures pouvant être qualifiées de litigieuses au regard des droits fondamentaux, comme notamment : la présomption d’irresponsabilité pénale des forces de l’ordre, l’extension des perquisitions nocturnes, la consécration de la retenue sans droits ni garanties à l’issue des contrôles d’identité, l’avènement de l’IMSI-catcher (matériel d'espionnage qui permet d'intercepter l'ensemble des télécommunications et de pister les mouvements des utilisateurs de téléphones)…

Mais le tableau ne doit pas être noirci à outrance, notamment car le Conseil constitutionnel, bien que composé majoritairement de non-juristes, est là pour veiller à la garantie de nos droits fondamentaux, à travers le contrôle de constitutionnalité qui n’a cessé de prendre de l’importance. Uniquement prévu pour les parlementaires, tout justiciable peut aujourd’hui être à l’initiative de celui-ci grâce à la question prioritaire de constitutionnalité instituée par la révision constitutionnelle de 2008 (articles 61 et 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958). Véritable révolution en droit français ! Ce contrôle, qui peut désormais avoir lieu a priori et a posteriori, permet que toutes dispositions législatives jugées contraires au bloc de constitutionnalité - dont font partie la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 et le préambule de 1946 - ne soient pas promulguées ou soient abrogées ; et donc, a fortiori, la protection des droits fondamentaux.

Et si, pour des considérations plus politiques que juridiques, les sages laissent passer à travers leurs filets une loi peu respectueuse des droits de l’Homme, qui n’aura pas non plus été écartée par les juges ordinaires dans le cadre de leur contrôle de conventionnalité ; il sera toujours possible pour le justiciable, une fois avoir épuisé toutes les voies de recours, de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme.

La France s’est donc dotée de nombreux outils, garde-fous, pour que son statut de pays des droits de l’Homme ne soit pas trop endommagé. Restons donc optimistes et croyons en elle ! La France a toujours su, dans des temps troubles, conserver et même redorer son blason de Grande patrie. En effet, les normes suprêmes qui consacrent les droits fondamentaux, font suite à des périodes difficiles : alors que les droits de 1789 naissent durant la Révolution, ceux de 1946 apparaissent en pleine crise économique suivant la seconde guerre mondiale.

Alors, même si aujourd’hui, à l’aune de ces réponses sécuritaires, la question peut légitimement être posée ; il peut être affirmé que la France demeure le pays des droits de l’Homme, du moins un pays où règnent les droits de l’Homme.


 

[1]http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsmtlAMSUVPZr5NwSxcDwgKKo26EvxxEe4g%2f1ZtZQqip0I2B%2f0ihUcnG8Hok4ag8yP%2f6IQ2m88v931xQwirYCTuEVedqa5wGuz1wCwuysjFuV

[2] http://www.echr.coe.int/Documents/Facts_Figures_2014_FRA.pdf

[3] Pour illustration : CEDH, Dayanan c. Turquie, 13 janvier 2010, Req n°7377/03 ; CEDH, 5e Sect. 14 octobre 2010, Req. n° 1466/07

[4] LOI n° 2011-392 du 14 avril 2011 ; LOI n° 2014-535 du 27 mai 2014

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