Antoine Chadanian est élève avocat.
Comme en témoignent les dernières données communiquées par Transparency International pour l’année 2015, la France n’est classée qu’à la vingt-troisième place mondiale en matière de lutte contre la corruption ; ce qui lui vaut – à juste titre – d’être régulièrement pointée du doigt pour son laxisme.
L’échec de notre politique pénale anti-corruption
Pour une large majorité d’experts, l’inefficacité de notre arsenal répressif s’expliquerait par l’archaïsme de notre procédure pénale, de plus en plus déconnectée de la réalité.
La répression de la corruption internationale est un exemple assez symptomatique du retard pris par la France en la matière : en quinze ans, les magistrats français n’ont réussi à coincer qu’une seule entreprise, quand les Etats-Unis ont prononcé un peu plus d’une centaine de sanctions sur la même période.
Parmi les principales raisons susceptibles d’expliquer un tel écart, l’utilisation, en droit américain, d’un mécanisme inconnu du droit français : le Deferred Prosecution Agreement (DPA).
D’origine anglo-saxonne, le DPA permet la conclusion d’une transaction pénale, par laquelle une personne, physique ou morale, sur laquelle pèsent des soupçons de participation à des faits de corruption, se soumet à un certain nombre d’obligations contractuelles, en contrepartie de l’abandon définitif des poursuites (dismissal with prejudice).
En pratique, la personne mise en cause accepte de reconnaître certains éléments de faits (statement of facts), de s’acquitter de sanctions financières et de mettre en place une procédure interne de prévention et de détection de la corruption (compliance), placée sous la surveillance d’un administrateur indépendant (monitor).
Cette forme de justice négociée est à la fois très appréciée des entreprises et des autorités de poursuite, puisqu’elle permet d’accroitre la répression, sans avoir à subir la lourdeur d’un procès à l’issue toujours incertaine.
Bien que le DPA présente de nombreux avantages, la France – à l’inverse de l’Allemagne et de l’Italie, qui ont décidé de s’en inspirer – demeure hostile à cette culture de la négociation.
Les statistiques de l’OCDE démontrent pourtant que lorsque la possibilité est laissée aux contrevenants de transiger avec les autorités de poursuite, les premiers n’hésitent pas à s’auto-dénoncer aux secondes…
En 2014, près de 30% des prévenus ont ainsi volontairement dénoncé leur participation à des actes de corruption transnationale.
La compliance encore trop peu développée en France
La compliance peut être définie comme le processus qui permet – par le biais de chartes éthiques, d’audits internes, de codes de conduite, de cartographies des risques et de formations des opérationnels concernés – la garantie d’un exercice financièrement et juridiquement irréprochable.
Si de plus en plus d’entreprises françaises mettent en place de tels programmes, beaucoup continuent néanmoins à ne pas y avoir recours.
Les raisons d’un tel choix sont multiples.
Il peut tout d’abord s’agir de motivations financières. Du fait de l’absence quasi-totale de sanctions prononcées par les juridictions françaises, nombre d’entreprises préfèrent courir le risque d’une condamnation, plutôt que d’allouer à la compliance une part qu’elles jugent trop importante de leur budget.
Dans d’autres cas, l’oubli de compliance peut tout simplement résulter de l’absence de connaissance, par les entreprises françaises, des législations étrangères sur le fondement desquelles elles peuvent être condamnées.
A titre d’exemple, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) permet aux juridictions américaines, de prononcer des sanctions aussi bien à l’encontre des sociétés domiciliées aux Etats-Unis, qu’à l’encontre des sociétés étrangères – notamment françaises – qui y sont cotées.
Enfin, de l’avis de nombreux observateurs, l’absence de legal privilege pour les juristes d’entreprises serait également un frein important au développement de la compliance.
Le legal privilege est la protection de la confidentialité des échanges que certains conseils ont avec leurs clients : en France, si les avocats en bénéficient, les juristes d’entreprises en sont quant à eux privés.
Pour être effective, la compliance nécessite la rédaction de rapports plus ou moins secrets et la tenue de discussions par nature confidentielles entre les juristes et les opérationnels concernés.
Or, en refusant de conférer le legal privilege aux juristes d’entreprises, le droit français rend dangereuse la rédaction de tels documents, susceptibles d’être saisis à l’occasion de perquisitions judiciaires.
Obligées de transférer le management du risque à des avocats externes, qui leur coûtent parfois très chers, beaucoup d’entreprises font finalement le choix de se priver de ces outils de prévention.
Les mesures imaginées par le projet de loi Sapin II
Présenté le 30 mars dernier en conseil des ministres, le projet de loi Sapin II a pour ambition de mettre la France au niveau des standards internationaux, dans le domaine de la transparence et de la lutte contre la corruption.
La création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption
Parmi les principales mesures inscrites dans le projet de loi, figure notamment la création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption (ANPDC).
Placée sous l’autorité conjointe du ministre de la Justice et du ministre des Finances, l’ANPDC se substituera au Service central de prévention de la corruption (SCPC) – dont elle reprendra les anciennes missions – et exercera des compétences nouvelles.
L’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte
En premier lieu, l’ANPDC sera chargée de recevoir les personnes qui souhaitent dénoncer des faits de corruption, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt ou de favoritisme.
A cet égard, l’Agence conseillera les lanceurs d’alerte et pourra décider de « blanchir » leur signalement, en reprenant à son compte les informations obtenues avant de les transmettre à l’autorité judiciaire.
Il est néanmoins regrettable que cette protection, qui aurait pu bénéficier à tous les lanceurs d’alerte, ne soit offerte qu’en cas de délinquance financière.
D’après Transparency International, sur la soixantaine d’Etats qui protègent les lanceurs d’alerte, seuls douze d’entre eux ont adopté une loi globale.
Bien que le projet de loi Sapin II aurait pu être l’occasion de se doter enfin d’une loi d’ensemble en droit français, une telle évolution est pour le moment a priori exclue.
Enfin, s’il est prévu que l’Etat pourra désormais prendre en charge les frais de justice des lanceurs d’alerte, celui-ci n’aura en revanche pas la possibilité de les rémunérer pour leurs services.
La mise en place obligatoire de programmes de prévention de la corruption dans les grosses entreprises
En plus d’être chargée de la protection des lanceurs d’alerte, l’ANPDC aura également pour mission de contrôler la mise en place des programmes de prévention de la corruption, à laquelle toute entreprise de plus de cinq cents salariés et de plus de cent millions d’euros de chiffre d’affaire sera désormais tenue.
Pour assurer l’effectivité de son contrôle, il est prévu que l’agence aura la possibilité de sanctionner elle-même les défaillances qu’elle constate, en infligeant des amendes qui pourront aller jusqu’à 1.000.000 d'euros pour les sociétés et 200.000 euros pour les personnes physiques.
L’encadrement des lobbys
Autre mesure importante du projet de loi Sapin II, la publication d’un répertoire national des lobbyistes, qui sera tenu par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
L’objectif de ce document est de rendre accessible, à tous les citoyens, l’identité des représentants d’intérêts qui entrent en communication avec les membres du gouvernement, les hauts fonctionnaires et les conseillers des cabinets ministériels, pour influer sur la décision publique.
Cette nouvelle mesure viendra donc s’ajouter à l’obligation qui leur est déjà faite d’inscrire leur nom dans un fichier lorsqu’ils s’adressent à un parlementaire, député ou sénateur.
De manière assez incompréhensible, le texte exonère toutefois de cette liste, un certain nombre d’acteurs publics (élus, directeurs d’établissements publics…), ainsi que les représentants d’entreprises et d’organisations non gouvernementales.
Le projet de loi prévoit enfin d’interdire les cadeaux faits aux agents publics (bouteilles de vin, restaurants, voyages), sous peine d'une amende pouvant atteindre 30.000 euros.
La convention de compensation d’intérêt public finalement abandonnée
Si la France s’est toujours montrée plutôt opposée à la justice négociée, le projet de loi Sapin II envisageait pourtant, dans sa version initiale, d’instaurer la convention de compensation d’intérêt public (CCIP).
S’inspirant du DPA américain, cette convention devait permettre au Ministère public, de proposer à l’entreprise fautive, de payer une amende – dont le montant maximum était fixé à 30% du chiffre d’affaire moyen sur les trois dernières années – et de mettre en place un programme de conformité en matière de corruption, en échange de l’abandon des poursuites.
Ce mécanisme novateur a toutefois été tué dans l’œuf par le Conseil d’Etat.
Saisi pour avis par le gouvernement, l’ayatollah français a rejeté le dispositif imaginé, après avoir considéré que « la définition par le législateur des procédures permettant le traitement des infractions pénales doit s'inscrire dans le cadre des grands principes qui doivent gouverner l'équilibre de la procédure pénale. Au cas présent le Conseil d'État a considéré que le dispositif envisagé ne permettait pas à la justice pénale d'assurer pleinement sa mission qui est de concourir à la restauration de la paix publique et à la prévention de la récidive ». Dont acte.
Il est vrai que la convention imaginée présentait certaines imperfections :
Risque d’une transaction pénale réalisée à l’aveugle, à un moment de la procédure – l’enquête – durant lequel l’entreprise n’a pas accès à son dossier pénal ;
Possibilité pour les tiers de s’affranchir de la transaction conclue avec le Parquet, en déposant plainte avec constitution de partie civile devant le Juge d’Instruction ;
Exclusion des personnes physiques de la transaction, laissant craindre que le nombre d’auto-dénonciations n’aurait en réalité pas augmenté.
Pour autant, n’eut-il pas été plus ambitieux, de la part du gouvernement, qu’il prenne ses responsabilités, en maintenant la CCIP dans le projet soumis à l’Assemblée nationale ?
S’agissant d’un simple avis consultatif rendu par le Conseil d’Etat, le dernier mot revenait en effet au gouvernement.
Interrogé sur la question, le ministre des finances préférait naturellement botter en touche : « nous verrons si les parlementaires veulent s'emparer du sujet ».
Alea jacta est.