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Contrôle d’identité ou « garde à vue préventive dissimulée » dénuée de droit ?

Mercredi 2 mars dernier, l’Assemblée nationale a donné son feu vert à une nouvelle forme de rétention de quatre heures après un contrôle d’identité. Cette mesure, que certains qualifient déjà de l’une des plus litigieuses de la réforme pénale, ne ferait qu’accentuer un peu plus les risques déjà inhérents aux contrôles.

Les dispositions du Code de procédure pénale relatives aux différents contrôles d’identité[1], se distinguant par leur instabilité et leur caractère foisonnant, font apparaître une certaine ambiguïté quant à la définition des contrôles d’identité. Présentés comme une invitation à décliner son identité, il semble qu’il s’agisse en réalité d’une injonction. Initialement, les contrôles d’identité étaient uniquement répressifs puisqu’ils ne pouvaient pas être envisagés indépendamment de la commission d’une infraction, puis au fur et à mesure des réformes sont apparus des contrôles préventifs, aux seules fins de surveillances et de prévention. Il y a donc désormais, les contrôles d’identité relevant de la police judiciaire fondés sur le comportement de l’individu, et ceux d’inspiration de police administrative pouvant être effectués « quel que soit le comportement de la personne ». Au-delà d’opérer un véritable glissement du répressif au préventif, les différentes réformes ont modifié considérablement le contrôle d’identité le rendant coercitif. En effet, le contrôle d’identité semble désormais se décliner en deux étapes :

  • d’une part, une phase initiale d’injonction, opérée par l’officier de police judiciaire, à tout individu ;

  • d’autre part, une phase subsidiaire de rétention ; aujourd’hui, possible uniquement si l’individu refuse ou est dans l’impossibilité de décliner son identité (article 78-3 du Code de procédure pénale), demain, elle pourra l’être également dès lors qu’il y aura « des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste » pour une durée maximale de quatre heures. Le contrôle d’identité apparait alors d’autant plus comme une véritable restriction à la liberté d’aller et venir[2], une sorte de garde à vue préventive de courte durée. En effet, le caractère coercitif exceptionnel du contrôle d’identité tend à devenir la règle au grès des différentes réformes souvent motivées par la lutte contre criminalité en bande organisée et le terrorisme, en raison de leur nombre croissant et de l’affaiblissement du caractère subsidiaire de la seconde étape ; sans que pour autant, les droits des personnes contrôlées ne soient parallèlement augmentés.


Selon la théorie du contrat social, défendue notamment par Hobbes et Locke, l’Etat et les individus seraient liés par un contrat selon lequel ces derniers ont accepté de se soumettre en échange de leur sécurité ; leur permettant alors d’assouvir ce besoin fondamental figurant parmi les besoins primaires dans la pyramide de Maslow. L’attitude de l’opinion publique, face à des événements tragiques pouvant remettre en cause leur sécurité (affaire de pédophilie, de terrorisme ou encore meurtres en série ou particulièrement sordides…), reflète ce lien contractuel. En effet, elle réclame souvent, en réponse, des mesures de prévention ou répressives fortes de la part de l’Etat, même si celles-ci peuvent restreindre leurs libertés individuelles. Les contrôles d’identité -coercitifs- pourraient donc être compris et admis comme la matérialisation d’une modalité de ce contrat de soumission, mesures permettant à l’Etat de remplir son obligation de sécurité. Cependant, si les libertés individuelles peuvent être restreintes, l’atteinte doit être adaptée, proportionnée et nécessaire au but recherché[3], ce qui semble contestable en l’espèce.

Si « toute personne doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité » (article 78-1 du Code de procédure pénale), le refus de s’y soumettre n’est pas pénalement sanctionné, mais peut justifier un placement en rétention aux fins de vérification d’identité. Sans être considérée explicitement comme une obligation, la déclinaison de son identité semble l’être implicitement. L’Etat possède donc un droit, celui d’obtenir la preuve, par tout moyen, l’établissement de l’identité de toute personne. Ce droit ne cesse de prendre de l’importance avec la multiplication des cas de contrôles et le fait que la rétention soit de moins en moins l’exception. En revanche, contrairement à d’autres mesures restrictives de liberté, comme la garde à vue, la personne contrôlée possède peu de garanties.

Ainsi, aucune disposition législative n’oblige les officiers de police judicaire ou agent sous leur responsabilité à informer la personne contrôlée des raisons de son interpellation, ce qui peut engendrer certaines dérives, notamment le « délit de faciès ». En effet, ce n’est qu’en cas de vérification d’identité qu’un procès-verbal est rédigé, dans lequel doit figurer les motifs du contrôle et de la vérification d’identité. La mise en place d’un récépissé lors du contrôle aurait permis d’atténuer ce risque sous-jacent ; puisque pour plus d’efficacité, les contrôles sont aujourd’hui possibles à l’encontre de « toute personne », et pour certains d’entre eux, indépendamment du comportement de l’individu. Cependant, ce dispositif, jugé par certains politiques « trop bureaucratique et lourd à gérer » a été rejeté par la Chambre basse. Aucune autre mesure n’est pour le moment envisagée, laissant apparaître la promesse « d’une procédure qui évite les délits de faciès », comme un mirage lointain. De surcroît, le procureur n’a ni à être informé du contrôle d’identité, ni de la vérification d’identité ; il ne s’agit que, dans le second cas, d’un droit de la personne retenue. Ce qui est regrettable, voir contestable, puisque dès lors qu’il y a privation de liberté, l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle[4], devrait être avertie, pour ne pas laisser l’appréciation aux seules forces de police, et ainsi amoindrir le risque d’une retenue non justifiée d’une personne contrôlée.

Nonobstant les conditions, posées par le Code de procédure pénale pour chacun des contrôles d’identité, celles-ci restent relativement souples et ne permettent pas d’établir d’équilibre entre restriction de libertés et droits. Réformer le contrôle d’identité, véritable atteinte aux libertés individuelles, en accordant plus de droits et garanties aux personnes contrôlées, permettrait donc qu’il ne soit plus considéré comme une zone de non droit, et ainsi de le légitimer. Mais si l’atteinte apparaitrait alors comme proportionnée, et sans aucun doute nécessaire, serait-elle pour autant réellement adaptée au but recherché, c’est-à-dire la sécurité ?

 

[1] Le contrôle de police judicaire : 78-2 alinéa 1 Code de procédure pénale, le contrôle sur réquisitions du procureur de la République : 78-2 alinéa 6, le contrôle ordinaire de police administrative : 78-2 alinéa 7, le contrôle frontalier Schengen :78-2 alinéa 8 et ceux ultras marins qui en sont d’inspiration :78-2 alinéa 9 et 10 (Guyane, Guadeloupe, Mayotte, Saint-Martin, Saint-Barthélemy), le contrôle sur réquisition écrites du procureur de la République des personnes occupées à travailler dans des lieux à usage professionnel :78-2-1, et le contrôle sur réquisition du procureur aux fins de recherches et de poursuites d’infractions graves 78-2-2.

[2] En ce sens : DC du 20 janvier 1981 n° 80-127 ; CEDH 28 mai 1985 Ashingdane C/ Royaume-Uni req n° 8225/78

[3] En ce sens : DC, 21 février 2008

[4] Article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958

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