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Non bis in idem ou l'impossible dialogue des juges

Robin Binsard est élève avocat au barreau de Paris. Il propose une réflexion sur les récentes évolutions du principe de "non bis in idem" en droit pénal financier.

 

Qui embrasse trop mal étreint, ou plutôt qui interprète trop une règle l’éteint et la vide de sa substance. En effet, le principe de "non bis in idem" est devenu inaudible, déformé à grands coups d’interprétations et de jurisprudences contradictoires.

« Un comportement, une sanction » telle pourrait être la traduction du principe de non bis in idem. Garde fou de la procédure pénale française, cette règle assure qu’un individu ne pourra être condamné plus d’une fois pour des faits identiques. Inscrit dans le code pénal, non bis in idem est également gravé dans différents textes internationaux et européens[1] et est donc soumis à l’interprétation des juges internes, européens et internationaux. Cette multiplication des fondements et des juges compétents pour l'interpréter provoque l’illisibilité de cette règle, et fait naître dans l’esprit de chaque juriste la question suivante : peut on cumuler, pour des faits identiques, plusieurs poursuites et sanctions ?

En droit français, le conseil constitutionnel tenait depuis une décision du 30 juillet 2010[2] une position d’entre deux, de « ni-ni » selon l’expression consacrée : pour des faits identiques, le cumul des poursuites était possible, sous réserve qu’au terme de la procédure seule la plus forte des sanctions soit mise à exécution. Une jurisprudence à rebours de celle des juges de la Cour de justice de l’union européenne, qui prohibe le cumul des sanctions à caractère pénal, mais autorise la coexistence d’une sanction civile ou commerciale avec une sanction pénale. Dans un arrêt « Grande Stevens c/ Italie »[3] du 4 mars 2014, la Cour européenne des droits de l’homme s’est à son tour prononcée, ajoutant une confusion supplémentaire à cette chimère jurisprudentielle : en déclarant irrecevable la réserve italienne en matière de cumul des sanctions, la Cour a exprimé avec force le refus de toute exception au principe de non bis in idem.

Marginalisé par les cours de Luxembourg et de Strasbourg, le Conseil constitutionnel aurait pu, comme à son habitude, courber l’échine et adapter sa position aux exigences des normes européennes. Pourtant, dans un élan de chauvinisme ou par un éclair de lucidité, les sages de la rue de Montpensier ont adressé un véritable camouflet judiciaire aux juges européens : dans une décision du 18 mars 2015[4] concernant l’affaire EADS, le Conseil constitutionnel a réaffirmé la possibilité de cumuler les poursuites concernant un même comportement dès lors que ne seraient pas réunis quatre critères : des faits similaires, des intérêts sociaux identiques, des sanctions de même nature et une répression devant le même ordre juridictionnel. D’une importance stratégique en matière de droit pénal des affaires, de répression boursière et de lutte contre la criminalité financière ; la règle de non bis in idem est désormais dans une position délicate : absolue selon la CEDH, conditionnelle et disposant d'exceptions selon la CJUE et le conseil constitutionnel. Une situation périlleuse pour les justiciables dont la confusion est légitime : doit on faire primer la position française ou celle(s) des juridictions européennes ? A en croire les travaux parlementaires, deux pistes semblent envisagées : le maintien du statu quo, au risque de créer une insécurité juridique certaine, ou la mise en conformité avec la position des juridictions européennes. Pourtant, une troisième voie existe : profiter de la réforme constitutionnelle attendue pour réaffirmer la position de la jurisprudence française et lui donner une valeur suprême en inscrivant enfin le principe de non bis in idem dans la constitution. Nous pourrons dès lors conserver cette spécificité juridique sans craindre les positions des juges européens, et rejoindrons par la même occasion les Allemands pour qui le principe est déjà inscrit dans la loi fondamentale.

 

[1] Article 4 du protocole n°7 de la Convention européenne des droits de l’Homme ; article 14-7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques ; article50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

[2] DC, QPC, 30 juillet 2010 (n° 2010-14/ 22 QPC).

[3] CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie (req n° 18640/10)

[4] DC, QPC, 18 mars 2015, EADS (n°2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC)

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