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Délinquance et criminalité féminine : une exception difficile à appréhender

Longtemps ignorée par la grande majorité des criminologues, la criminalité féminine a fait l’objet d’une plus grande attention depuis une trentaine d’années, notamment en raison de la pression jouée par les mouvements féministes. Si le nombre de femmes mises en cause pour des délits et crimes a augmenté au fil des décennies, la part de ces dernières au sein de la criminalité reste, cependant, une exception.

A partir de ce constat, des éléments d’explication ont été dégagés par des courants de pensée, la plupart jugés sexistes, souvent à tort ou à raison car des différences existent bel et bien entre l’homme et la femme. Des différences sexuelles qui seraient confortées par l’apparition des genres. Doivent-elles pour autant mener à une répression différente de la criminalité féminine ? Eléments de réponse.

Le constat : une véritable exception

Les statistiques le démontrent : les femmes commettent des délits et crimes dans une proportion moindre comparé à leurs comparses masculins.

Dans nombreux de ses rapports, l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale, se basant sur les chiffres de la police et gendarmerie nationale, a mis en avant l’existence d’une délinquance et criminalité féminine. Par exemple, dans son rapport de 2014[1], il révélait que plus de 118 000 femmes avaient été mises en cause en 2013 par la police nationale pour des délits et crimes commis en métropole. Une statistique qui n’a fait qu’augmenter pendant des décennies, avant de se stabiliser depuis 2008.

Néanmoins, cette criminalité féminine doit être relativisée. En effet, toujours en 2013, c’est 589 000 hommes qui étaient mis en cause par la police nationale pour délits et crimes. En outre, selon les derniers chiffres publiés par le Ministère de la Justice, 78 305 personnes étaient écrouées au 1er mars 2016, dont 2795 femmes, soit environ 3,6%[2]. Au 1er janvier 2015, elles étaient 2628 sur 77 291 personnes. La part infime des femmes au sein de la population carcérale a toujours quasiment été égale : sur les dix dernières années, elle s’est établie autour de 3,4% à 3,7% alors que la gente féminine compose 51,5% de notre population au 1er janvier 2016[3].

Des tentatives d’explication : retour sur les principales théories[4]

Facteurs biologiques et physiologiques : entre sexisme et absence de preuve scientifique

Au XIXème siècle et pendant la première moitié du XXème siècle, les criminologues se sont particulièrement intéressés à la criminalité masculine. La femme « normale » ne pouvait être une criminelle. Se basant alors exclusivement sur des facteurs biologiques et physiologiques – l’existence d’un cortex cérébral plus petit chez la femme par exemple -, ils assimilaient la criminalité chez cette dernière à une pathologie, une anormalité devant être soignée. Le recours à la stérilisation et à des peines de prison très longues était alors conseillé. Lombroso allait même jusqu’à suggérer une plus forte probabilité des femmes noires à commettre des crimes. Aux arguments sexistes s’ajoutaient parfois les arguments racistes.

En pratique, ces éléments biologiques et physiologiques ont pu servir d’excuse partielle, de moyen de défense afin de justifier le passage à l’acte : la ménopause, les menstruations ou encore l’apparition d’une dépression post-natale pour excuser l’infanticide. Ces théories n’ont cependant jamais été prouvées scientifiquement.


Facteurs sociologiques : la théorie des sexes confortée par celle des genres

A défaut d’expliquer la criminalité féminine, les criminologues positivistes ont tenté d’apporter des réponses à leur conformisme. Mettant de côté les différences biologiques, ils se sont alors davantage concentrés sur les facteurs externes en recourant aux notions de contrôle et pression sociale. Un contrôle plus poussé s’exercerait sur la femme, en raison de son rôle d’épouse et de mère. Pilier au sein de cette sphère familiale, la femme céderait aussi moins à la pression et à la tentation de passer à l’acte dans la mesure où elle trouverait une plus grande satisfaction auprès de ses proches.

Pour d’autres, cependant, la différence des sexes serait accentuée par celle des genres inculqués à l’enfant dès son plus jeune âge. Ainsi, pour Parsons, la jeune fille s’identifierait à sa mère – femme passive et dévouée – alors que le jeune garçon s’identifierait à son père, homme actif et viril. La criminalité serait un moyen d’affirmer sa masculinité. Chez la femme, une rupture dans ce processus et/ou l’adoption d’une certaine masculinité expliquerait pourquoi les femmes passeraient à l’acte. Or, dans ce cas, pourquoi une majorité d’hommes ne commet pas des crimes ? Serait-ce en en raison de leur plus ou moins grande part de féminité ?

La critique féministe

Les différents courants féministes (libéraux – sociaux – radicaux etc.) se sont principalement efforcés à remettre en cause le caractère sexiste et patriarcal de notre société dans son ensemble. N’apportant pas réellement de réponse quant à la criminalité féminine, ils dénoncent davantage le concept de genre. Selon eux, la société dans laquelle nous vivons est l’origine du problème, cultivant la différence du féminin/masculin. Quand la petite fille doit être sage et gentille, le petit garçon doit être fort et « ne doit pas pleurer car les garçons, ça ne pleure pas ». Ainsi, les femmes seraient moins agressives, plus responsables, prenant davantage en considération les besoins des autres, au détriment des leurs alors que les hommes seraient plus compétitifs, individualistes mais aussi plus agressifs. Ces derniers seraient amenés à occuper les positions dominantes, ce qui appellerait parfois à commettre des actes répréhensibles (cols blancs).

Convaincues du lien entre libéralisation de la société et criminalité, certaines féministes ont aussi émis l’argument selon lequel la criminalité irait croissante au fil des décennies en raison d’un plus grand accès des femmes au marché du travail et d’une égalité de fait et de droit de plus en plus affirmée. Cette hypothèse doit être démentie dans la mesure où aucune corrélation n’a été démontrée. En effet, depuis 2008, l’augmentation constatée depuis de nombreuses années s’est stabilisée.

Adapter la réponse pénale aux spécificités féminines : éviter la peine d’emprisonnement ?

Si la place des femmes en prison est à relativiser au regard des statistiques, la question de l’opportunité d’une telle peine doit être posée. De nombreuses études ont en effet suggéré que la peine d’emprisonnement avait un impact négatif sur la femme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 50% des atteintes physiques portées à soi-même sont commises par des femmes, alors qu’elles ne représentent que 3,6% de la population carcérale. Le maintien des liens familiaux serait aussi beaucoup plus difficile dans la mesure où il existe moins de prisons pour femmes. Allant à l’encontre des politiques actuelles qui déplorent le nombre restreint de places en prison, des penseurs, tels que Lorston, ont proposé de réduire le nombre de places en prison. La peine d’emprisonnement ne devrait être infligée que pour les crimes les plus graves. Pour le reste, la peine devrait s’exercer au sein de la communauté.

Or, si cette hypothèse n’est pas souhaitée par une grande majorité de penseurs, un consensus existe quant à la prise en compte de certaines spécificités propres aux femmes. En l’état des choses, la prison ne serait envisagée que pour gérer la criminalité masculine. En février 2016, un avis[5] émis par le contrôleur des lieux de privation des libertés a d’ailleurs préconisé de revoir les conditions de vie des femmes en prison, en raison de nombreuses discriminations dont elles feraient l’objet. Le rapport nous apprend ainsi que la France ne compte que deux établissements exclusivement réservés à l’accueil des femmes. Dans certains autres, un quartier leur est réservé mais les femmes auraient alors un accès moindre à certaines activités – en cause la politique de ne pas mélanger femmes et hommes. En conséquence de l’éloignement, le lien familial et amical se déliterait, cause d’exclusion et d’isolement.

Cette réalité ne se restreint pas au cas français. En Angleterre aussi ces questions se sont posées, notamment au sein du gouvernement britannique travailliste lorsque la part des femmes en prison a atteint un taux record de 6,2%. L’Equality Act de 2006 prévoyait ainsi de traiter différemment les femmes et les hommes mais seule une petite partie des propositions a été retenue par le gouvernement.


 

[1] http://www.inhesj.fr/sites/default/files/ra_2014_ondrp.pdf, p772

[2] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/mensuelle_mars_2016.pdf

[3] http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=bilan-demo&reg_id=0&page=donnees-detaillees/bilan-demo/pop_age2.htm

[4] Textbook on Criminology, Williams.

[5] Avis relatif à la situation des femmes privées de liberté, février 2016

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