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L’hypnose, réelle aide au témoignage oculaire ou simple illusion ?

Olivier Dodier est doctorant en psychologie sociale et cognitive à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, et à l’université Toulouse II – Jean Jaurès. Ses recherches portent sur le recueil de la parole des mineurs témoins et/ou victimes de faits criminels, et sur les différents facteurs pouvant porter atteinte à la fiabilité des témoignages oculaires. Il nous propose une tribune sur l'hypnose et le témoignage occulaire.

 

Le 4 mars 2016, le cabinet de la secrétaire d’Etat à l’Égalité des chances belge, Elke Sleurs, a indiqué que la police allait bientôt pouvoir auditionner les victimes de violences sexuelles en utilisant l’hypnose [1], sous condition de l’accord de la personne interrogée. L’argument avancé est que les victimes, étant traumatisées, éprouvent souvent un blocage à parler des faits, à révéler des abus. Ce qui est vrai. Cependant, cette mesure peut inquiéter, tant l’efficacité de cette méthode pour aider à retrouver des souvenirs peine à être démontrée. Si nous lui connaissons un effet bénéfique en thérapie [2], son utilisation dans un contexte d’enquête judiciaire reste non recommandée par les scientifiques.

Cette décision du gouvernement belge fait écho à une croyance largement répandue selon laquelle l’hypnose permettrait d’améliorer les souvenirs les plus lointains. Il est même largement admis qu’elle permettrait de rappeler des souvenirs (traumatiques) refoulés. Afin de clarifier les choses, et parce que ce n’est pas le sujet principal de cet article : non, le principe de souvenirs refoulés n’est pas accepté par la communauté scientifique. Aucun travail empirique n’a, à ce jour, mis en lumière l’existence de ce phénomène. Au contraire, les études vont plutôt dans le sens inverse : on ne se souvient que trop bien des événements traumatiques. Leur oubli, lorsqu’il survient, ne serait pas lié à quelconque volonté inconsciente de se protéger d’un traumatisme psychologique, mais plutôt à des caractéristiques physiologiques ou liées au développement des enfants [3, 4].

Intéressons-nous maintenant aux risques de l’utilisation de l’hypnose avec des témoins et/ou victimes d’abus sexuels. Une des bases enseignées à tout enquêteur judiciaire est de ne pas suggérer d’informations lors d’auditions. Le risque est alors que le témoin confirme l’élément suggéré. Cela va, dans un premier temps, laisser penser au témoin que l’enquêteur sait déjà beaucoup de choses, donc que s’il les suggère, c’est qu’elles sont vraies. Aussi, le témoin n’en deviendra que plus suggestible [5]. Dans un deuxième temps, si le témoin s’accorde à des informations qui s’avèrent être inexactes, les conséquences peuvent être graves ; les affaires d’Outreau et Loic Sécher sont des exemples parfaits de l’issue dramatique que peuvent avoir des suggestions faites à des témoins hautement suggestibles. Enfin, dans un troisième et dernier temps, la suggestion peut amener l’individu à non seulement s’accorder à la suggestion d’une information inexacte, mais aussi s’en rappeler. On parle alors de faux souvenir. L’hypnose est une méthode basée sur la suggestion. En effet, le niveau de suggestibilité est lié à la facilité, ou non, à rentrer dans un état d’hypnose. La question est de savoir si cette méthode, malgré l’utilisation des suggestions, permet d’améliorer le souvenir de faits criminels.


L’hypothèse d’une hypermnésie hypnotique est étudiée depuis le début des années 1970. Le principe expérimental est le suivant : des participants doivent rappeler un événement cible (vécu personnellement, ou bien induit via un film, des images, un texte) ; une partie d’entre eux est sous hypnose lors du rappel, et l’autre en état normal. Les chercheurs comparent ensuite la quantité (i.e., nombre) et la qualité (i.e., exactitude) des informations rappelées. Depuis les années 1990, un consensus apparaît au sein de la communauté scientifique : l’hypnose n’est pas particulièrement efficace [6]. En effet, lorsqu’elle permet aux participants hypnotisés de rappeler plus d’informations correctes, elle leur permet aussi de rappeler… encore plus d’erreurs. Pire, elle augmente la propension à créer des faux souvenirs [7]. C’est ainsi que l’hypnose s’est trouvée impliquées, lors d’affaires réelles, dans des souvenirs datant de la naissance des hypnotisés, de vies antérieures, ou d’enlèvement par des extraterrestres [8]. La particularité dramatique des faux souvenirs est qu’il est très difficile, voire impossible, pour un individu en faisant l’expérience, de le distinguer d’un vrai souvenir. La seule façon de révéler un faux souvenir, dans un cadre judiciaire, est de recueillir des preuves matérielles et/ou médico-légales venant contredire celui-ci. Seulement, obtenir ce genre de preuve est loin d’être systématique dans les affaires d’abus sexuels. Il ne faut pas avoir peur de parler du risque d’erreur judiciaire, si l’utilisation de l’hypnose se normalise dans les pratiques des enquêteurs ; les faux souvenirs peuvent causer des erreurs judiciaires. Proposer l’hypnose à un témoin va donc à contre-courant de l’objectif premier d’une audition judiciaire : recueillir des souvenirs fiables et faire émerger in fine une vérité objective des faits.

En plus de ne pas suivre les recommandations faites par les scientifiques, cette décision prise par la Belgique met de côté les avancées en ce qui concerne les techniques du recueil de la parole de témoins. En effet, certaines méthodes montrent un réel bénéfice pour le rappel de faits criminels et traumatisant. L’Entretien Cognitif [9], méthode d’audition de témoins basée sur les travaux en psychologie cognitive et sociale, est aujourd’hui la méthode dont l’efficacité est la plus validée à travers le monde, et ce pour plusieurs type de population (i.e., enfants, adultes, personnes âgées, personnes ayant des troubles mentaux ou des déficiences intellectuelles, etc.).

Il est légitime de s’inquiéter devant un tel rejet de l’approche scientifique pour s’intéresser à l’esprit humain dans un contexte judiciaire. Si la science est perçue et reconnue comme indispensable pour l’analyse de preuves matérielles et médico-légales, des progrès restent à faire du côté des pouvoirs publics en ce qui concerne l’analyse des souvenirs, et le recueil de la parole de témoins.


 

[1] http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-police-pourra-bientot-entendre-les-victimes-de-violence-sexuelle-sous-hypnose?id=9231158

[2] Fredette, C., El-Baalbaki, G., Neron, S., & Palardy, V. (2013). Using Hypnosis in the treatment of anxiety disorders : Pros and cons, in Durbano, F. (ed.), New Insights into Anxiety Disorders. Intech, Chapters published.

[3] McNally, R. J. (2012). Searching for repressed memory. In Belli, R. F. (Ed), True and false recovered memories: Toward a reconciliation of the debate. New York : Springer, p. 121-147.

[4] Patihis, L., Ho, L. Y., Tingen, I. W., Lilienfeld, S. O., Loftus, E. F. (2014). Are the “memory wars” over? A Scientist-practitioner gap in beliefs about repressed memory. Psychological Science, 25(2), 519-530.

[5] La suggestibilité est la propension d’un individu à s’accorder facilement aux suggestions.

[6] Mazzoni, G., Laurence, J-R., & Heap, M. (2014). Hypnosis and memory: Two hundred years of adventures and still going! Psychology of Consciousness: Theory, Research and Practice, 1(2), 153-167.

[7] Laurence, J. R., & Perry, C. (1983). Hypnotically created memory among highly hypnotizable subjects. Science, 222, 523–524. doi:10.1126/science .6623094

[8] Patihis, L., Younes Burton, H. J. (2015). False memories in therapy and hypnosis before 1980. Psychology of Consciousness : Theory, Research, and Practice, 2(2), 153-169.

[9] Fisher, R. P., & Geiselman, R. E. (1992). Memory enhancing techniques for investigative interviewing: The cognitive interview. Springfield, IL: Charles C. Thomas.

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