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L’enseignement en droit pénal : la dictature du positivisme conduit-elle à l’obsolescence ?

Maître de conférences et directeur de la branche droit pénal de l'Université d'Amiens, Mikaël Benillouche met en lumière les difficultés de l'enseignement de la matière pénale en raison de ses incessantes mutations et nous propose des pistes de réflexion.

 

Avec cette nouvelle contribution sur l’enseignement après « Renouveler les méthodes d’enseignement en droit : pour une pédagogie 2.0 innovante ! » [1] et « Enseigner la prison aux étudiants en droit : voir pour mieux comprendre ? » [2] je me penche cette fois sur la difficulté d’enseigner le droit pénal et la procédure pénale dans un contexte d’instabilité législative.

Au gré des années, les réformes se succèdent et nécessitent une constante mise à jour du cours. Plus encore, l’« enchevêtrement des espaces normatifs » conduit le pénaliste que je suis à devoir m’informer non seulement des réformes internes et des décisions des juridictions pénales mais également des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, du droit de l’Union européenne et bien évidemment, depuis 2010, des décisions rendues par le Conseil constitutionnel.

II y a toujours une nouvelle actualité à prendre en compte, à analyser et à intégrer. Plus encore, il est parfois nécessaire de revoir l’intégralité du cours tant l’ensemble de ces réformes bouleverse la présentation même de la matière.

Ainsi, il est difficile de poser un principe, il existe une dizaine d’exceptions à celui-ci, il faut alors analyser en fonction des intérêts protégés.

A ce titre, je dois dire que nombre de pénalistes ont été ravis de voir enfin le droit des contrats être réformé, enfin les civilistes vont connaître notre calvaire…

Outre ces problèmes, un autre surgit assez rapidement, le risque d’obsolescence rapide du cours. Que vont retenir alors les étudiants de la matière ? Certes, il reste toujours possible de s’efforcer de publier ou de transmettre sous une forme ou une autre des supports pédagogiques, mais comment être certain qu’ils touchent les étudiants ?

Alors, certes, il est possible d’objecter qu’il demeure possible de se protéger contre le positivisme en se tenant aux grands principes du droit pénal et de la procédure pénale. En effet, quelques collègues suivent cette voie. Après une introduction historique, vient l’étude de la matière à travers les grands principes et les mêmes formes d’épistémologie juridique. Nous reprenons finalement les mêmes développements…que ceux de nos prédécesseurs qui reprenaient déjà ceux de leurs aïeux… Mais notre rôle n’est-il pas de former les futurs praticiens, de leur fournir les connaissances qu’ils devront utiliser une fois dans la vie active ?

Plus encore, il est fréquent pour le pénaliste de critiquer le code de procédure pénale dont les réformes successives ont achevé de ruiner la cohérence. Dans un article, je me permettais même de le comparer à un « édifice menaçant ruine » [3] ? Que dire du code pénal, et plus précisément de sa partie générale ? Celui-ci est plus récent et son ordonnancement devait permettre d’intégrer au fur et à mesure les réformes et ce, en raison notamment de sa numérotation décimale. Or, l’enseignement du droit pénal général est aujourd’hui une gageure. A quoi sert ce Livre 1er que nous enseignons en Licence 2, contredit quelques articles plus loin. Comment expliquer la complicité aux étudiants en indiquant aux étudiants que si les conditions ne sont pas réunies, elle ne saurait être retenue et que la distinction avec l’infraction principale est fondamentale alors même que le législateur entretient lui-même la confusion, soit en créant des cas de complicité spéciale [4], soit en incriminant certains cas de complicité non punissable, au titre de l’action [5] ?

S’agissant de la tentative, il faut user de trésors de pédagogie pour expliquer la distinction fondamentale entre actes préparatoires et commencement d’exécution, alors même que le législateur incrimine les actes préparatoires, lorsque cela lui convient [6].


Et encore, mes critiques ne portent que sur l’œuvre législative, comment comprendre certains arrêts de la Cour de cassation, notamment celui indiquant que la bande organisée et l’association de malfaiteurs ne reposent pas sur les mêmes éléments [7] alors même que les termes employés sont identiques.


Que faire pour remettre de la cohérence ? Le droit pénal est hautement symbolique, ce qui explique que la plupart des gardes des Sceaux ont cherché à apporter leur pierre à l’édifice en réformant la matière. Il faudrait éviter de multiplier les lois inutiles, celles dont on sait qu’elles seront réformées et se contenter des lois nécessaires. A ce titre, hélas une refonte du Livre Ier du Code pénal est – qu’on le veuille ou non – nécessaire. En effet, la partie du code consacrée aux sources est au mieux incomplète. Où sont les sources européennes et constitutionnelles ? Certains textes manquent cruellement de clarté et on ne peut que regretter que le Conseil constitutionnel n’ait pas été saisi des lois ayant instauré le nouveau Code pénal. Enfin, une mention toute particulière pour la responsabilité pénale des personnes morales, l’article 121-2 du code pénal ayant donné lieu à tant d’interprétations jurisprudentielles contradictoires [8].


Certes, le contexte politique ne semble pas tout à fait propice à un large consensus autour d’une refonte du code pénal, mais il reste possible d’espérer. Réformer bien, pour ne plus trop réformer !

Seul le législateur peut rétablir la cohérence du code pénal, en faire une véritable « constitution pénale » de la France actuelle, dont les modifications s’efforceraient d’en respecter les principes fondamentaux. Dès lors, l’enseignement en serait facilité, puisque les réformes, par définition, limitées pourraient être envisagées par les étudiants par eux-mêmes ultérieurement à leur cursus.


Entre-temps, il faut exhorter les enseignants à ne pas trop céder aux sirènes du positivisme et à tenter de continuer à enseigner durant le nombre d’heures imparti alors même que la matière devient de plus en plus dense. Il faut également s’efforcer de maintenir la matière intelligible et à expliquer les mouvements continus de réforme, tout en rappelant les fondements de l’instabilité législative.

 

[1] http://www.village-justice.com/articles/Renouveler-les-methodes,21578.html

[2] http://www.village-justice.com/articles/Enseigner-prison-aux-etudiants,21608.html ; http://www.justicepenale.net/#!Enseigner-la-prison-aux-étudiants-en-droit-voir-pour-mieux-comprendre-/cmbz/56d6b89a0cf20d226f1b21e8

[3] Le Code de procédure pénale : chronique d’une mort annoncée, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2009-4, p. 1924

[4] Ainsi, l’article 222-33-3 alinéa 1er du Code pénal créé par la loi du 5 mars 2007 prévoit un cas de complicité spéciale pour celui qui filme des images de violences ou encore l’article 213-4-1 du Code pénal créé par la loi du 5 août 2013 prévoit une complicité spéciale passive en cas de crimes contre l’humanité

[5] Parfois, le législateur incrimine des formes de complicité non punissables car il manque un élément constitutif de celle-ci. Il en va ainsi de la provocation au suicide (article 213-13 du Code pénal), de la provocation au génocide non suivie d’effet (article 211-2 alinéa 2 du Code pénal)

[6] La loi du 9 mars 2004 a créé le mandat criminel autrement appelé contrat d’assassinat (article 221-5-1 du Code pénal) et la loi du 2 mars 2010 crée l’infraction de participation à une bande violente

[7] Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-88329

[8] Voir notamment récemment Crim., 17 nov. 2015, n° 14-83.647, F-D, JurisData n° 2015-025746, Dr. pénal, n°2, février 2016, 22, comm. P. Conte

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