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Nuremberg ou les prémisses de la justice pénale internationale

Jeremy Laloum est élève avocat au barreau de Paris, Il revient sur le procès de Nuremberg, berceau de la justice pénale internationale.

 

« Que quatre grandes nations victorieuses mais lésées n'exercent point de vengeance envers leurs ennemis prisonniers, c'est là un des tributs les plus importants qu'une puissance ait jamais payé à la raison. » C’est par ces mots que le chief justice Jackson ouvrit le procès de Nuremberg qui se déroula dans la ville éponyme du 14 novembre 1945 au 1er octobre 1946. Furent à cette occasion jugés, pour des actes commis durant la seconde guerre mondiale, 23 individus (souvent des dignitaires nazis dont le plus connu, Hermann Goring, fut maréchal du Reich et commandant en chef de la Luftwaffe) mais aussi 6 organisations (parmi lesquelles la Gestapo, les SS ou les SA). Les chefs d’accusation retenus et discutés tout au long du procès sont au nombre de 4 : complot, crimes contre la paix et guerre d’agression, crimes de guerre, et crimes contre l’Humanité. En définitive, sur les 23 accusés, 20 seront condamnés dont 12 à la mort et 3 à la prison à vie.


Vers le procès


Le procès de Nuremberg est le premier procès pénal international sanctionnant les crimes commis lors d’un conflit. Pourtant l’idée n’est pas neuve, loin de là. La réprobation la plus ancienne que nous connaissons des massacres de guerre se situe à la fin du IVème siècle ; Ambroise, évêque de Milan, ne craignit pas de condamner la conduite de l’empereur Théodose 1er dont les armées avait tué quelques 7000 habitants de la ville de Thessalonique. Plus proche dans le temps et dans la nature de l’intention, l’article 227 du traité de Versailles ratifié à la fin de la première guerre mondiale prévoyait la mise en place d’un tribunal spécial pour juger Guillaume II « d’offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ». Le même texte estimait nécessaire le jugement de l’ensemble des criminels de guerre. Finalement, devant le refus du gouvernement des Pays-Bas de livrer l’empereur en exil, seul un discret procès se tint à Leipzig en 1921. D’ailleurs à la lumière du peu de condamnation et de l’inexécution des sentences prononcées celui-ci s’apparente plus à une mascarade qu’à une véritable volonté de juger. Le souvenir de cet échec s’avérera essentiel dans le processus de construction et dans la mise en place du tribunal de Nuremberg. Très vite les informations sur les actes criminels arrivent de manière fragmentaire à Londres et Etats-Unis, insufflant dès le début du conflit une volonté de rendre justice et de châtier les coupables. Le 13 janvier 1942 les représentants de 8 gouvernements en exil se réunissent au St James Palace de Londres. Il y débouche la rédaction d’un texte consacrant déjà leur volonté de « poursuivre, rechercher, juger les criminels et de veiller à l’exécution des sentences dans le cadre d’une juridiction internationale ». On voit qu’ici le souvenir de Leipzig pousse les acteurs à s’assurer de la réalisation pratique des procès par la création d’une juridiction spécialisée. Pour beaucoup c’est bien ce 13 janvier 42 que prend corps l’idée d’un procès international. A partir de cette date, les déclarations d’intentions visant à punir les coupables se multiplient sans pour autant indiquer la nature et les moyens de ce châtiment. C’est en octobre 1943 que les choses commencent à s’éclaircir avec la création d’une commission des crimes de guerre des Nations unies qui regroupe tout de même 17 Etats (on note ici une des premières utilisations de la sémantique onusienne). Elle est supposée enquêter sur les crimes mais dispose de moyens dérisoires. Elle tournera finalement son travail vers la résolution de problèmes juridiques qui constitueront un défrichement extrêmement utile aux juges de Nuremberg. Le sort des criminels de guerre sera discuté en personne par Churchill, Roosevelt et Staline lors de leur première rencontre début décembre 43 à Téhéran. Staline profite alors d’un toast pour déclarer que 50000 officiers allemands devront être passés par les armes. Churchill, prenant ses paroles au premier degré malgré le sourire sardonique du chef de l’URSS, lui répond que ni lui ni l’opinion britannique ne saurait le tolérer. Cette anecdote met en lumière que la tenue d’un procès international après la guerre n’est pas un fait acquis mais bel et bien le résultat de tractations diplomatiques dictées aussi bien par les enjeux politiques que par la nature des crimes. Ainsi au départ Churchill non plus ne souhaite pas un procès, il envisage d’exécuter les principaux responsables nazis dont il faudra établir la liste. C’est ce qu’il répètera lors de la conférence de Yalta. C’est finalement la mort de Roosevelt et son remplacement par Truman, qui est sans ambiguïté sur son refus des exécutions sommaires, qui fera infléchir la position de ses homologues russes et britanniques.

A partir de mai 45 les négociations ne portent donc plus sur la tenue d’un procès mais sur son organisation. Elles aussi seront tendues et laborieuses mais aboutiront finalement à la conclusion des accords de Londres fixant les acteurs, les lignes directrices et les modalités de l’instance. C’est autant la lettre de ce traité que le travail des juges et des procureurs à Nuremberg qui feront de ce procès un événement marquant pour l’histoire et pour le droit international.



Postérité


Etudier le procès de Nuremberg sans relater les critiques nombreuses et virulentes qu’il a suscité serait faire preuve de partialité. Ainsi dès la constitution du tribunal certain y ont vu l’expression la plus flagrante de la justice des vainqueurs. Le chancelier Ludwig Erhardt qui succéda à Adenauer à la tête de la RFA considérait par exemple que « la promesse que le droit des gens, et non celui des vainqueurs, serait appliqué aurait été plus convaincante si le glaive de la loi avait été laissée entre les mains des puissances neutres ». D’autres critiques avaient un fondement plus technique, plus juridique. Ainsi on reprocha à certaines inculpations (notamment le complot) d’être mise en œuvre en violation du principe de nulla poena sine lege. D’autres encore s’offusquèrent de la dureté du verdict. Il ne peut en revanche être fait grief au procès de s’être tenu selon une procédure partiale et arbitraire. Les accusés eurent toute liberté de s’exprimer et de contester les faits qui leur étaient reprochés. Avec le recul du temps, ces critiques, si elles ne semblent pas infondées, sont voilées sous le poids de l’héritage positif légué par ces 11 mois de procès. En effet, outre l’importance historique de l’analyse minutieuses des documents et des témoignages soumis au contradictoire, le grand apport de ce procès est avant tout juridique. Le raisonnement des juges et des procureurs aura permis, si ce n’est de créer du moins de révéler, un corpus important de normes internationales. On parle d’ailleurs d’un droit de Nuremberg qui a inspiré par la suite de nombreux juges et législateurs, dans un cadre international ou non. Ainsi la justice israélienne disposait, lors du procès d’Eichmann d’une base juridiques largement imprégnée par le droit de Nuremberg. En effet, la loi interne de 1950 reprenait mot pour mot les définitions du statut de tribunal international pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. De la même manière le jugement de Nuremberg a largement inspiré les magistrats français lorsqu’ils eurent à juger Klaus Barbie ; la Cour de cassation citant expressément le traité de Londres dans sa décision du 20 décembre 1986. On note toutefois que la définition du crime contre l’humanité est alors élargie pour y inclure les actes commis contre les résistants. Si sur le plan matériel le droit de Nuremberg a dès l’origine une influence indéniable, sur la plan institutionnel en revanche les suites du procès s’avérèrent longtemps décevantes. René Cassin pour le 25ème anniversaire du procès déplore « qu’en ce qui concerne les crimes contre l’humanité, cette dernière ne soit pas suffisamment armée et que le retour à la barbarie ne soit pas impossible ». Si l’on ne peut toujours pas affirmer à la suite de René Cassin que l’humanité est aujourd’hui suffisamment armée, il est toutefois indéniable que l’on assiste ces dernières années à un développement considérable des juridictions pénales internationales. Les années 90 furent d’abord théâtre de la création des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda par résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Puis le traité de Rome de 2001 entérina la création d’une Cour pénale internationale. Cette juridiction à vocation universelle présente encore de nombreuses faiblesses et cristallise toujours beaucoup de critiques mais elle semble participer à un mouvement plus large d’universalisation et de juridictionnalisation de la répression des crimes humanitaires. Le procès qui s’est tenu à Nuremberg à partir de 1945 fait donc aujourd’hui office de fondation, de pionner. En ce sens, il représente le concentré des questions que ses successeurs continuent à susciter à l’heure actuelles. Des questions qui révèlent l’extrême sensibilité des opinions autour de la mise en œuvre de cette exigence de répression des crimes de guerre et des crimes de masse.

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