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Enseigner la prison aux étudiants en droit: voir pour mieux comprendre ?

Mikaël Benillouche est maître de conférences, il est directeur des études de Supbarreau et dirige la branche droit pénal de l'université d'Amiens. Il propose de sensibiliser les étudiants au système carcéral.

 

L’enseignement en droit - en général - et en droit pénal - en particulier - suppose de combiner les connaissances théoriques inculquées dans les Universités, mais aussi pratiques. S’agissant du droit pénal, les étudiants, s’ils se passionnent facilement pour la matière, ont souvent de nombreux préjugés sur ce qui constitue le cœur de la matière : la privation de liberté.

Estimant que la simple présentation de celle-ci est insuffisante pour en appréhender les enjeux, je détaille dans cette deuxième contribution d’un triptyque sur l’enseignement en droit, après "Renouveler les méthodes d’enseignement en droit : pour une pédagogie 2.0 innovante", ma démarche qui m’a conduit à organiser des visites dans les maisons d’arrêt auprès des étudiants, car je considère que c’est en constatant que les étudiants peuvent mieux comprendre...

Voilà déjà de nombreuses années que je dispense des enseignements de droit pénal et la même question se pose systématiquement : comment aborder ce cours ? Très rapidement, la solution s’est imposée. Le droit pénal véhicule un grand nombre de fantasmes et d’incompréhensions, qu’il faut évacuer. J’ai donc pris l’habitude de commencer par une question toute simple « à quoi sert la prison ? » J’ai tout de suite été frappé par la vision répressive des étudiants. Il faudrait punir, écarter, éliminer le délinquant.

Il fallait remédier à la situation, c’est pourquoi j’ai pris attache avec plusieurs maisons d’arrêt pour leur demander s’il était possible de faire « visiter » les lieux aux étudiants. Ils sont toujours très heureux de participer à ces visites et je dois l’avouer en plus de dix ans d’expérimentation, il n’y a eu aucun incident, tant leur comportement a été exemplaire.

Les seules difficultés tiennent dans la sélection des étudiants et dans les obstacles mis à leur participation à une telle visite. En effet, tous les étudiants ne peuvent participer. Je m’efforce de ne retenir que les plus motivés, les plus disponibles mais aussi et également ceux qui ont d’ores et déjà un point de vue très tranché sur la question… . Plus encore, de telles visites ne sont pas toujours vues d’un bon œil par certains collègues pour lesquels la pédagogie doit s’exprimer dans les murs de l’Université avec des méthodes d’enseignement plus classiques. Il y a donc – et je le regrette – régulièrement quelques étudiants défaillants car, malgré l’attestation délivrée, tel chargé d’enseignement les a informé du caractère obligatoire de suivre les cours. Passons, cela ne présente pas trop d’intérêt. Bien sûr, il est vrai que lors de ces visites, nous ne visitons que ce que l’on veut bien nous montrer, à l’instar d’une cour réaffectée au détriment d’autres endroits insalubres.


Désormais, je m’efforce sur les réseaux sociaux de conserver une trace de ces visites, de recueillir le « pouls » des étudiants. C’est toujours particulièrement intéressant… A ce titre, je me souviendrais toujours des interrogations de cet étudiant résumant à elle-seule toute son incompréhension face au manque de personnel pénitentiaire s’étonnant de constater des « parachutages » dans la cour de tel établissement (Olivier, 2005). En effet, les surveillants ne peuvent pas systémiquement intervenir. De façon plus générale, les étudiants sont impressionnés par le bruit et le mouvement perpétuel. Le personnel qui fait visiter la maison d’arrêt est toujours particulièrement à l’écoute des étudiants, il explique et fait preuve d’une grande pédagogie tout en restant ferme sur les questions de sécurité. Au cours des années, je n’ai pu qu’être frappé par le professionnalisme de M. Sébastien Godé de la maison d’arrêt d’Amiens.

Une expérience m’a également marqué, début 2015, nous avons visité, avec l’un de mes collègues que je qualifierais de « civiliste curieux », M. Daniel Bert, la maison d’arrêt de Fresnes. Nous avons eu la chance d’être reçus avec les étudiants par M. Stéphane Scotto qui nous a notamment expliqué les initiatives de déradicalisation mises en œuvre dans son établissement. Les échanges furent riches mais frustrants, puisqu’il était difficile de se rendre compte effectivement du fonctionnement du processus.

Mais ce n’est pas tout, en tant qu’ancien assesseur en commission de discipline à la maison d’arrêt d’Amiens, je n’ai pu que confronter mes connaissances théoriques aux nécessités pratiques. Les droits de la défense et le principe du contradictoire y sont-ils bien respectés ? Les règles élémentaires du procès équitables sont-elles appliquées ? J’ai bien évidement une idée sur la question, mais j’échange avec mes étudiants, je leur explique le contexte, la rapide évolution du droit positif qui a progressivement fait entrer la lumière du principe du contradictoire dans les ténèbres de l’univers carcéral.

Enfin, pour parfaire cet apprentissage, je m’efforce de faire intervenir auprès des étudiants des professionnels de renom à l’instar de Me Delphine Boesel, que j’ai rencontré à deux reprises, qu’il s’agisse pour elle d’être l’invitée d’honneur d’un jeu – le PenalTrophy – lors duquel elle a pu présenter son cheminement et son profil qui l’ont conduit à la présidence de la section française de l’Observatoire international des prisons ou encore à l’occasion d’une conférence consacrée au rôle de l’avocat dans les lieux de privation de liberté organisée par la branche « droit pénal » dont je suis responsable du Master de droit privé approfondi de l’Université de Picardie - Jules Verne.

Je ne pense pas détenir une quelconque vérité sur l’univers carcéral, mais j’espère contribuer – comme d’autres ou plutôt avec d’autres – à le faire connaître davantage, à ma petite échelle, à mes étudiants. Dès lors, j’espère que lorsque ceux-ci s’exprimeront sur un tel sujet, ils auront une opinion plus éclairée, moins aveuglée par des clichés souvent véhiculés ici ou là…

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