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Les peines planchers dans la tempête des contingences politiques

Paul Blin, juriste en droit public et ancien président du think tank Terra-Nova, propose une critique du concept des peines planchers.

 

Dispositif juridique à visée politique, la peine plancher est un concept souvent discuté et largement controversé dans notre système de droit. Remis au goût du jour sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle a été supprimée avec fracas par le retour de la gauche au pouvoir. La peine plancher est un concept qui renvoie à l’obligation, pour le juge, de prononcer une peine privative de liberté dont le quantum ne peut être inférieur à un seuil fixé par la loi. La discrétion du pouvoir judiciaire se trouve alors encadrée par le pouvoir législatif. Ce concept, importé du common law, est basé sur une logique rétributive de l’infraction (v. pr. ex. le Three Strikes Law en Californie). En d’autres termes, la sanction est basée uniquement sur l’acte de l’infraction, à l’exclusion de tous autres éléments contextuels et circonstances entourant l’acte. Cette logique de déconnexion de la peine à l’infraction commise est extérieure au système de droit romain qui prévaut en France. En effet, sa culture juridique fait prédominer le principe d’individualisation de la peine qui consiste « à adapter une mesure à la personnalité propre et à la situation particulière d'un individu » (3: G. CORNU, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd, 2008). Ainsi, traditionnellement en droit français, la loi se contente de fixer, pour chaque infraction, une peine maximale mais pas minimale. Ce dispositif a la double-vocation de protéger l’accusé d’un arbitraire trop sévère de la part du juge, tout en laissant à ce dernier la possibilité de fixer une peine moins lourde en tenant compte des circonstances juridiques et factuelles de l’affaire.



Actualité des peines planchers


Le 10 août 2007 (La loi du 10 août 2007 relative à la lutte contre la récidive), le Gouvernement de Nicolas Sarkozy, tout juste entré en fonction, instaure les peines plancher pour les récidivistes. La loi prévoyait ainsi une peine automatique d’un seuil minimum, pour toute personne en situation de récidive, indépendamment de l’infraction commise. En 2011, le même Gouvernement élargit les situations de peines plancher à certains délits (violences aggravées), même lorsqu’ils ne sont pas commis en état de récidive. Le 5 juin 2014 (La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a supprimé les peines planchers), la nouvelle majorité de gauche supprime, avec grand fracas, cette mesure emblématique du quinquennat Sarkozy. A l’aune de cette évolution, il est aisé de voir que les peines plancher cristallisent le clivage gauche-droite (à l’instar du Three-Strikes Law). D’une divergence de culture juridique, la question de la peine plancher s’est transposée dans le débat politique. Christiane Taubira affirmait, à l’occasion de la suppression des peines plancher en France : « Nous sommes dans une philosophie et un rapport à la justice différent ». L’accaparation du concept par le système politique a substantiellement modifié les termes du débat, plaçant le curseur sur la question de l’efficacité préventive d’une telle mesure. Il convient ici, de discuter ce postulat à la lumière des conséquences qu’induit ce mécanisme. La référence au dogme sempiternel qu’une peine automatique minimum détourne le délinquant de l’infraction n’a toutefois jamais été établie. Les causes de l’infraction demeurent extrêmement complexes et ne se résument pas au seul degré de la peine encourue. La probabilité d’être arrêté ou reconnu coupable sont, par exemple, deux autres facteurs à prendre en compte. L’image que la prison exerce dans l’imaginaire de l’individu, ses liens avec la société, l’état psychologique et psychique du délinquant au moment des faits, le type d’infraction commise etc… sont autant d’éléments qui viennent nuancer l’effet dissuasif de la peine plancher sur le comportement individuel. Ainsi, un rapport sorti en Avril 2014 par le Think Tank Terra Nova indique que l’instauration des peines planchers par le Gouvernement Fillon n’a été suivi d’aucun effet sur la commission d’infractions. A contrario, les peines planchers disposent de nombreux effets pervers.



Effets pervers des peines planchers


La prison a un caractère criminogène établi. L’enfermement a un effet désocialisant qui ne favorise pas le retour à l’emploi ou à une vie familiale saine à la sortie. Le prisonnier, coupé de ses réseaux sociaux doit également quitter ses activités scolaires, professionnelles ou autres. Le milieu carcéral, par son caractère violent et isolateur, peut détériorer la condition psychique des prisonniers. La prison a tendance restreindre l’aptitude à retrouver à une sociabilité normale. À cela, s’ajoute la concentration, en son sein, de personnes condamnées pénalement. Les connexions et relations qui s’y forment peuvent avoir un effet d’entraînement sur les prisonniers. La capacité de la prison à créer des délinquants doit-être prise en compte par les pouvoirs publics lorsqu’ils élaborent les politiques carcérales. La peine plancher aggrave ce phénomène. Traditionnellement en droit pénal français, l’appréciation du juge peut conduire à une sanction alternative à la prison, accompagnée de dispositifs de réinsertion. Cela permet au juge de sanctionner l’infraction mais également de permettre à la personne condamnée de se réintégrée dans la société. Rappelons-le, l’exclusion économique et social sont des facteurs non-négligeables de l’infraction. Avec la peine plancher, le condamné est automatiquement écroué pour une certaine durée. La logique punitive devient omnipotente et entrave très nettement le processus de réinsertion du délinquant. Véritable catharsis pour les plus sécuritaires, cette mesure est susceptible de créer les résultats inverses de ceux escomptés. Cette logique de sanction automatique que fait peser la peine plancher sur l’individu paraît alors tout à fait inefficace si ce n’est qu’elle permet de répondre à l’attente d’expiation d’une société en émoi. Ses effets néfastes, en revanche, invitent à repenser les leviers susceptibles d’être actionnés a priori de l’infraction. Il apparaît indispensable de comprendre les causes et les raisons qui la sous-tendent pour la prévenir de façon adéquate. Une politique pénale efficace est celle qui regarde d’un œil rationnel et déductif les symptômes conduisant à la réalisation de l’infraction.

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