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La police judiciaire à la place du juge d'instruction

Avocat au barreau de Paris, ancien deuxième secrétaire de la conférence, Jean-Baptiste Rozès nous fait le récit de 48h de garde à vue, dans un dossier de droit pénal des affaires qui aurait mérité une mise en examen et une instruction !

 

Cela devient une habitude redoutable.

En matière de droit pénal des affaires, alors qu’elle se contentait au préalable d’être à son service, la police judiciaire remplace désormais de plus en plus souvent le juge d’instruction.

Il n’y a pas si longtemps que cela toutes les affaires de droit pénal des affaires d’envergure étaient confiées au juges d’instruction à l’issue de la garde à vue policière.

La présence de l’avocat tout au long de la garde à vue ainsi que lors d’une audition libre par la police judiciaire a manifestement contribué à changer les habitudes.

Une garde à vue de 48 heures remplace ainsi dorénavant très régulièrement une instruction qui aurait duré en moyenne une année et demie. Cela coûte moins cher évidemment mais cela se fait assurément aux dépens de l’équilibre de la justice.

Mon client a reçu une convocation par la Police Judiciaire par téléphone.

A son arrivée, le policier le place en garde à vue et, conformément à la loi, l’informe uniquement de « la qualification, la date et le lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6¨° de l’article 62-2 justifiant son placement en garde à vue. ».

Je suis appelé quinze minutes plus tard. Je m’entretiens une demi-heure avec lui avant le premier interrogatoire par le policier. Nous pourrons parler à nouveau seuls tous les deux que dans 24 heures.

Mon client a été placé en garde à vue du chef d’abus de bien social et de banqueroute pour les années 2013 et 2014 en qualité de dirigeant de fait. Dès mon arrivée, le policier en charge du dossier me fait comprendre que l’enquête préliminaire dure depuis de nombreux mois et que mon client est placé en garde à vue en toute fin d’enquête.


Naturellement mon client et moi-même ne connaissons rien des résultats de cette enquête car nous n’avons pas accès au dossier. Les policiers, eux, en revanche maitrisent parfaitement les éléments qu’ils ont pu réunir grâce aux actes qu’ils ont décidés d’accomplir et aux témoignages des personnes qu’ils ont décidé d’interroger.

Dans le cadre de l’enquête préliminaire, préalablement à sa garde à vue, mon client n’a naturellement pas eu son mot à dire. Vivement la saisine du juge d’instruction que mon client ait enfin accès au dossier, puisse formuler des demandes d’actes et apporter tout élément adéquat !


Peine perdue.


Le policier m’informe que le procureur lui a laissé entendre qu’un juge d’instruction ne serait pas saisi et qu’un classement sans suite était pour le moins peu probable.


J’assiste à tous les interrogatoires sans connaître le dossier. Bientôt probablement, cet état de fait paraitra être d’un autre temps. Aujourd’hui c’est la réalité de l’avocat en garde à vue.



Bien sûr mon client a le droit de garder le silence, mais est-ce son intérêt ? Lui veut montrer son innocence. Il répond à toutes les questions. Pour démontrer que ses réponses correspondent à la réalité, il a besoin de produire de nombreux documents qui sont chez lui, à l’étranger. Il apprend que certaines personnes l’accusent. Il a besoin d’être confronté à ces dernières et que d’autres soient également entendues.


Il a ainsi besoin d’une instruction avant que la décision sur son éventuelle comparution devant un Tribunal correctionnel soit prise. Au bout de 24 heures, la garde à vue est renouvelée. Nous nous entretenons à nouveau une demi-heure.

Mon client est interrogé jusqu’à 2h00 du matin. Toutes les questions paraissent orientées. Je me fais fort de poser les questions qui peuvent amener l’existence de doutes.


J’émets des observations écrites pour faire savoir que mon client désire que soit désigné un juge d’instruction et qu’il souhaite, a minima, avant la fin de l’enquête préliminaire, quelques jours pour pouvoir apporter aux enquêteurs des éléments à décharge.


Peine perdue. Le policier vient d’appeler le procureur. La décision est prise. L’enquête préliminaire est terminée. Mon client ne sortira pas libre à la fin de sa garde à vue. Il passera la nuit au Palais de Justice. Le lendemain matin, il est déféré devant le procureur. La sanction tombe. Il n’y aura pas de juge d’instruction et il comparaitra devant le Tribunal correctionnel dans cinq semaines.


J’assiste le lendemain à l’audience du juge des libertés et de la détention pour qu’il soit statué sur un éventuel contrôle judiciaire. A ma grande surprise, et c’est pour moi une première, le juge des libertés avoue à mon client qu’il ne connait pas le dossier. Pourquoi n’a-t-il pas pris le temps pour cela. ? Il faut dire que nombre de pièces, et celles que nous avions amenées avec mon client en début de garde à vue, ne sont de toutes les façons curieusement pas insérées dans le dossier pénal mais placées sous scellé. Naturellement les scellés ne sont pas amenés au Palais.


La décision tombe. Mon client doit consigner sous trois semaines une somme importante et n’a pas le droit de quitter la France sans autorisation quand bien même il habite là-bas.

Devant le juge des libertés j’avais résumé la situation : le parquet avait voulu que mon client comparaisse à l’audience sous cinq semaines, sans qu’il y ait d’instruction et sans qu’il n’ait eu la possibilité, avant la prise de décision de sa comparution devant une juridiction de jugement, d‘apporter auparavant des éléments à décharge.

Pourquoi un tel acharnement à éviter le contradictoire et le juge d’instruction avant la comparution devant le Tribunal correctionnel ?

Une évidence s’impose. Une garde à vue de 48 heures, sans connaissance du dossier ne saurait remplacer pour une personne gardée à vue les droits d’une personne mise en examen lors d’une instruction judiciaire. Il incombe aux tribunaux d’empêcher cette restriction des droits de la défense en faisant droit à nos demandes de nullité, en relaxant les personnes prévenues dans ce conditions ou en renvoyant l’affaire devant un juge d’instruction.

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