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Pourquoi le Sénat n'aurait pas du reculer au sujet du harcèlement sexiste

Lorraine Thouéry est étudiante à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas ainsi qu'à l'Institut de Criminologie. Elle propose une critique du projet de loi consacrant le harcèlement sexiste.

 

Le projet de loi n° 3109 relatif au maintien de la sécurité dans les transports consacre une notion jusqu’alors inconnue de notre droit: le harcèlement sexiste. A peine ajouté, cet amendement a connu, en dépit de son apparente vertu…quelques infortunes : il est ainsi supprimé une première fois par un Sénat sourd aux contestations féminines et féministes avant d’être réintroduit dans un nouvel article 14.

Désormais toléré par la Haute assemblée, le texte entend mettre en place d’un rapport annuel sur les faits de harcèlement sexiste dans les transports, lequel sera transmis au défenseur des droits ainsi qu’à différentes institutions pour l’égalité des sexes et la protection des femmes. Il prévoit de même une formation spéciale des agents de transports pour mieux prévenir et réprimer les actes dits de harcèlement sexiste, lesquels forment dès lors une incrimination à part entière.


Reste désormais à se demander si les primes mésaventures de ce texte devant le Sénat n’étaient pas justifiées.


Les parlementaires avaient alors expliqué leur refus en pointant une incrimination « totalement inutile et de pur affichage », visant « des violences ou du harcèlement sexuel déjà présents dans le Code du transport ». Ce refus originaire, que l’on ne peut que saluer, s’est cependant trouvé pris pour cible des foudres féministes et journalistiques plaignant un harcèlement sexiste « victime d’un train de Sénateur ». Il semblerait néanmoins que ces personnes, dont l’émotivité fait moins de doute que la raison, aient occulté des problématiques majeures : la problématique des finalités de la matière pénale, celle de la légalité criminelle et, enfin, celle relative aux dangers de la juxtaposition des textes.


Le premier écueil de ce texte réside dans la confusion faite entre les fins préventives et éducatives devant être visées en théorie et les fins répressives atteintes en pratique. En effet lors de ce débat houleux a bien souvent été évoquée la nécessité « d’ouvrir les yeux » sur le harcèlement sexiste dans les transports et de « prévenir » les comportements abusifs de certains hommes… force est de constater que toutes ces revendications se rapportaient alors la prévention du harcèlement et non à sa répression !

Or, le texte il semblerait que l’article 14 du projet de loi, qui devait avoir des vertus prophylactiques, use du répressif pour dénoncer un comportement déjà traité pénalement par le biais d’autres incriminations. Dès lors, par maladresse ou par démagogie, est attribuée au droit pénal une finalité qui n’est pas la sienne : celle de la satisfaction psychologique des foules par la mise en avant d’un répressif superflu, là où la véritable problématique était celle de la prévention et de l’éducation.

Il nous faut également (une énième fois) rappeler un des principes directeurs de la matière pénale, celui de la légalité criminelle qui exige clarté et précision de la loi pénale, prévenant ainsi toute dérive arbitraire. Or, bien candide serait celui qui affirmerait pouvoir définir avec suffisamment de précision le harcèlement « sexiste ». Les illustrations des difficultés du législateur à accomplir cette exigence ne manquent pourtant pas. L’une d’elles mérite une particulière attention en raison de sa proximité avec le harcèlement sexiste : le harcèlement sexuel et de son chemin de croix législatif.

Cette incrimination jouissait de 1998 à 2002 d’une définition assez satisfaisante mais également restrictive, faisant référence à des comportements précis. Dans un souci d’élargissement de la répression de ce type de harcèlement, le législateur de 2002 a néanmoins supprimé cette énumération pour une qualification plus large… trop large au goût du Conseil constitutionnel qui l’abroge en 2012 et laisse place à la définition que nous en connaissons désormais via l’article 222-23 du code pénal.


On peut aisément se faire une idée, par cette illustration, de l’impasse dans laquelle s’avance notre législateur en souhaitant créer une incrimination dont il sait la définition malaisée.

Enfin, l’ultime menace que fait peser le harcèlement sexiste est celle de la juxtaposition des incriminations. En effet, ces comportements sexistes que le Sénat est accusé d’ignorer, entrent déjà dans le cadre de la « délinquance » visée le Code des transports et peuvent ainsi être réprimés sur le fondement d’infractions préexistantes comme l’injure, le harcèlement sexuel ou l’agression sexuelle. La création du harcèlement sexiste va donc avoir comme effet, vicieux et principal, de faire sortir les comportements que l’on aura qualifié de « sexistes » des mécanismes répressifs auxquels renvoie déjà le Code des transports.Dans ces conditions, une telle initiative légale n’aboutira qu’à un texte artificiel, prouvant la bonne volonté du législateur mais mettant à mal l’efficacité du système répressif préexistant.

Malgré ces critiques, la polémique se verra clôturée par une capitulation du Sénat, terrassé par un flot de hashtag biens pensant et d’insurrection féminine qui, s’ils ont toute légitimité dans le débat d’idée, n’en ont plus aucune dans le débat juridique.


Il existe bien des intentions louables…. souvenons-nous néanmoins que l’enfer en est pavé.

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